Cette histoire a été mise à jour avec une déclaration de Ben & Jerry’s rejetant la décision de sa société mère Unilever.
Israël affirme avoir forcé Ben & Jerry’s à revenir sur sa décision de principe de l’an dernier de cesser de vendre ses glaces dans les colonies illégales de Cisjordanie occupée.
Unilever, la société mère de Ben & Jerry’s, a annoncé mardi qu’elle avait vendu la marque Ben & Jerry’s en Israël à son licencié israélien, AQP.
AQP a promis de continuer à vendre la crème glacée en Cisjordanie occupée avec le nom Ben & Jerry’s en hébreu et en arabe, ce qui a suscité des cris de victoire de la part des responsables israéliens.
Toutefois, la crème glacée sera vendue contre la volonté explicite de Ben & Jerry’s, qui ne tirera aucun revenu des ventes en Israël.
"Nous sommes au courant de l’annonce d’Unilever. Bien que notre société mère ait pris cette décision, nous ne l’approuvons pas", a écrit Ben & Jerry’s à The Electronic Intifada mercredi.
"L’arrangement d’Unilever signifie que Ben & Jerry’s en Israël sera détenu et exploité par AQP. Notre société ne tirera plus aucun profit de Ben & Jerry’s en Israël", a ajouté la société basée dans le Vermont.
"Nous continuons à croire qu’il est incompatible avec les valeurs de Ben & Jerry’s que notre crème glacée soit vendue dans le territoire palestinien occupé."
We are aware of the Unilever announcement. While our parent company has taken this decision, we do not agree with it.
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— Ben & Jerry's (@benandjerrys) June 29, 2022
Ce qui semble s’être passé, c’est qu’Unilever est passé outre le la décision du fabricant de crème glacée dans le but d’apaiser Israël et son lobby.
Lorsqu’Unilever a acquis Ben & Jerry’s en 2000, l’accord prévoyait que le fabricant de crème glacée aurait l’autonomie nécessaire pour poursuivre les principes de conscience sociale de ses fondateurs.
Ben & Jerry’s a conservé un conseil d’administration indépendant. Selon le site web de la société, le conseil est "habilité à protéger et à défendre l’équité et l’intégrité de la marque Ben & Jerry’s."
Il semble qu’Unilever ait violé, au moins dans l’esprit, l’accord d’acquisition de 2000.
"Même look, même goût"
Unilever a annoncé mardi qu’il avait "vendu ses intérêts commerciaux dans Ben & Jerry’s en Israël à Avi Zinger, le propriétaire d’American Quality Products Ltd (AQP)", l’actuel titulaire israélien de la licence Ben & Jerry’s.
"Le nouvel accord signifie que Ben & Jerry’s sera vendu sous ses noms hébreu et arabe dans tout Israël et en Cisjordanie, sous la pleine propriété de son titulaire de licence actuel", a ajouté Unilever.
Le service de presse d’Unilever à Londres a confirmé à The Electronic Intifada que "la marque en Israël continuera d’avoir le même design et la même apparence qu’aujourd’hui".
"Le nom de la marque sera en hébreu et en arabe. Ce sera exactement la même crème glacée que celle que les consommateurs apprécient aujourd’hui", a ajouté la société.
Mais la multinationale a refusé de dire si Ben & Jerry’s elle-même soutient l’accord et l’utilisation continue de son nom par la société israélienne - bien que pas en anglais.
"Pour répondre à votre question sur Ben & Jerry’s et savoir s’ils soutiennent cette décision, nous ne commenterions pas des conversations internes, donc encore une fois, il est préférable que vous demandiez directement à Ben & Jerry’s sa réponse" a écrit Unilever à The Electronic Intifada.
Unilever n’a pas non plus répondu à la question de savoir si la société israélienne restera en contact avec Ben & Jerry’s en ce qui concerne, par exemple, le marketing ou le développement de produits.
Il est à noter que le communiqué de presse d’Unilever ne contient aucune citation d’un porte-parole de Ben & Jerry’s indiquant son soutien à la décision de la société mère.
La société mère reconnaît que "Ben & Jerry’s et son conseil d’administration indépendant se sont vus accorder le droit de prendre des décisions concernant sa mission sociale mais Unilever s’est réservé la responsabilité principale des décisions financières et opérationnelles et a donc le droit de conclure cet accord".
Comme indiqué, Ben & Jerry’s a maintenant confirmé qu’elle s’opposait à cette démarche.
La crise israélienne
En juillet 2021, après des années de campagne populaire, Ben & Jerry’s a annoncé qu’elle retirerait ses produits des colonies.
"Nous pensons qu’il est incompatible avec nos valeurs que la crème glacée Ben & Jerry’s soit vendue dans le territoire palestinien occupé", avait alors déclaré la firme.
Les dirigeants et les groupes de pression israéliens ont réagi de manière très virulente.
Le Premier ministre israélien Naftali Bennett s’est adressé à Alan Jope, PDG d’Unilever, le mettant en garde contre de "graves conséquences".
"Ben & Jerry’s a décidé de se présenter comme la crème glacée anti-israélienne" a affirmé Bennett.
Israël et son lobby sont alors passés à la vitesse supérieure pour tenter d’inverser une décision dont ils craignaient qu’elle n’encourage d’autres entreprises à faire de même.
En mars, le Brandeis Center, un groupe de pression israélien qui a recours au lawfare - harcèlement juridique - contre les partisans des droits des Palestiniens, a intenté une action en justice devant un tribunal fédéral américain au nom du titulaire de la licence israélienne contre Unilever et Ben & Jerry’s.
L’action en justice accuse Unilever de "mettre illégalement fin à sa relation commerciale de plusieurs décennies dans le but de boycotter Israël".
Le Brandeis Center a déclaré mercredi que la décision d’Unilever de vendre ses intérêts en Israël à Avi Zinger mettait fin à cette action en justice et marquait une "victoire majeure" contre le mouvement BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) dirigé par les Palestiniens.
Le règlement empêche Ben & Jerry’s de boycotter Israël et garantit que Zinger continuera à vendre des glaces Ben & Jerry’s en Israël et en Cisjordanie", affirme le Brandeis Center.
Mais c’est un peu exagéré, car rien n’indique que le conseil d’administration indépendant de Ben & Jerry’s soit revenu sur sa décision. Cela ressemble tout simplement à un coup de force d’Unilever, qui n’a jamais exprimé son soutien à la décision de Ben & Jerry en premier lieu.
Hypocrisie sur l’Ukraine et la Palestine
"Unilever rejette complètement et répudie sans équivoque toute forme de discrimination ou d’intolérance. L’antisémitisme n’a sa place dans aucune société", a déclaré la multinationale dans son communiqué mardi, approuvant de fait les diffamations d’Israël selon lesquelles faire campagne pour les droits des Palestiniens équivaut à un sectarisme anti-juif.
"Nous n’avons jamais exprimé un quelconque soutien au mouvement BDS et n’avons pas l’intention de changer cette position", a ajouté Unilever.
Se déclarant "très fière de ses activités en Israël", Unilever n’a pas condamné les violations systématiques des droits des Palestiniens par Israël, que les principaux groupes de défense des droits de l’Homme qualifient d’apartheid - un crime contre l’humanité.
Mais la société ne s’oppose pas aux boycotts en principe.
En mars, Unilever, qui possède des dizaines de marques de consommation connues, a condamné la guerre en Ukraine "comme un acte brutal et insensé de l’État russe."
"Nous avons suspendu toutes les importations et exportations de nos produits à destination et en provenance de la Russie, et nous cesserons toute dépense médiatique et publicitaire", a ajouté Unilever. "Nous n’investirons plus aucun capital dans le pays et nous ne tirerons aucun profit de notre présence en Russie."
Dans ce contexte, l’effort d’Unilever pour contourner la décision de Ben & Jerry’s ne peut être interprété que comme un soutien catégorique à la colonisation illégale par Israël des terres palestiniennes occupées - un crime de guerre qui fait l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale.
Yair Lapid, le ministre israélien des affaires étrangères, qui assume la fonction de premier ministre intérimaire en attendant les nouvelles élections de septembre, a qualifié la décision d’Unilever de "victoire" pour Israël.
"Les antisémites ne nous vaincront pas", a affirmé M. Lapid. "La victoire d’aujourd’hui est pour tous ceux qui savent que la lutte contre BDS est avant tout pour faire avancer le partenariat, la conversation et une lutte permanente contre la discrimination et la haine."
Ce n’est pas ainsi que les défenseurs des droits de l’homme voient les choses.
"La décision de Ben & Jerry’s, l’année dernière, de mettre fin aux ventes de ses glaces dans les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée évite de se rendre complice de graves violations des droits humains et de contribuer à un vernis de normalité sur les crimes d’apartheid et de persécution de millions de Palestiniens par les autorités israéliennes", a déclaré mercredi Omar Shakir, directeur pour Israël et la Palestine de Human Rights Watch.
Shakir a ajouté que le projet d’Unilever de vendre les opérations de Ben & Jerry’s en Israël à Zinger, "dans un contexte de pression importante du gouvernement israélien" cherche à saper cette décision.
"Mais cela n’aboutira pas : Ben & Jerry’s ne fera pas d’affaires dans les colonies illégales", a ajouté Shakir. "Ce qui vient pourra avoir une apparence et un goût similaires, mais, sans les valeurs de justice sociale reconnues de Ben & Jerry’s, ce n’est qu’un pot de glace."
Photo : The Electronic Intifada
Traduction et mise en page : AFPS / DD