Photo : Sommet de l’Union Africaine 2023 (Union Africaine)
Même pour un pays aux standards si bas, habitué à être régulièrement condamné pour ses violations des droits de l’Homme, son non-respect du droit international et ses crimes de guerre, février a été un mois plutôt mauvais pour Israël et sa réputation dans le monde.
Des révélations sur les entreprises israéliennes subvertissant des élections démocratiques dans le monde entier, aux scènes de cette semaine où l’on a vu des habitants de colonies illégales - protégés par l’armée israélienne - se livrer à un pogrom contre des Palestiniens dans la ville de Huwara en Cisjordanie occupée, le pays a, impitoyablement, minutieusement, vu son vrai visage exposé au monde.
Deux semaines auparavant, lors de la cérémonie d’ouverture du sommet annuel de l’Union africaine à son siège à Addis-Abeba en Éthiopie, une autre mauvaise surprise et une nouvelle humiliation attendaient l’État juif. L’ambassadrice Sharon Bar-Li, directrice adjointe de la division Afrique du ministère israélien des affaires étrangères, a été expulsée après s’être présentée en brandissant l’invitation qui n’était censée n’avoir été délivrée qu’à l’ambassadeur d’Israël auprès de l’Union africaine, Aleli Admasu.
Une vidéo publiée sur les médias sociaux montre le personnel de sécurité en uniforme l’escortant hors de l’auditorium. Moussa Faki, président de l’UA, a ensuite précisé que l’accréditation controversée d’État observateur accordée à Israël en 2021 - qu’il avait fini par obtenir après 20 ans d’efforts - avait en fait été suspendue et que "nous n’avons donc pas invité de responsables israéliens à notre sommet."
Le pire était à venir. Selon un projet de déclaration sur la situation en Palestine et au Moyen-Orient distribué aux journalistes à la fin du sommet, l’UA a non seulement exprimé son "soutien total au peuple palestinien dans sa lutte légitime contre l’occupation israélienne", décriant les implantations illégales "incessantes" et l’intransigeance d’Israël, mais a également exhorté les États membres à "mettre fin à tous les échanges commerciaux, scientifiques et culturels directs et indirects avec l’État d’Israël."
Cette dernière recommandation, qui fait écho aux demandes du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), pourrait, si elle est mise en œuvre, être le début d’un changement pour l’avenir d’Israël, non seulement sur le continent, mais dans le monde entier. Après tout, l’Afrique a l’expérience de la direction d’un mouvement mondial visant à isoler et à faire pression sur des régimes oppressifs et ethno-suprématistes, puisqu’elle a dirigé un mouvement ciblant le régime d’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980. Concrètement, le projet de déclaration appelle "la communauté internationale ... à démanteler et à interdire le système israélien de colonialisme et d’apartheid."
C’est un discours intransigeant. Mais il n’est pas certain qu’il soit suivi d’actions. La relation entre l’Afrique et Israël est complexe et a fluctué. En outre, la position de l’UA sur les relations avec Israël et les politiques étrangères de ses membres individuels ne sont pas toujours alignées. Si les actions d’Israël à l’égard de ses voisins ont constitué une source d’irritation majeure, elles sont loin d’être la seule considération des nations africaines. De plus, au cours des 21 dernières années, l’UA a eu tendance à adopter une position de principe, tandis que ses pays membres ont été plus pragmatiques.
Au départ, Israël a cultivé des liens étroits avec les pays africains nouvellement indépendants afin de contrer l’isolement et l’hostilité que lui imposaient ses voisins arabes. Dans les années 1960, plus de 1 800 experts israéliens menaient des programmes de développement sur le continent et, en 1972, Israël comptait plus d’ambassades africaines que la Grande-Bretagne.
Il avait établi des relations diplomatiques avec 32 des 41 États africains indépendants qui étaient également membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, l’ancêtre de l’UA, fondée en 1963. Pendant une grande partie de cette période, les tentatives des nations d’Afrique du Nord, dirigées par l’Égypte, pour obtenir le soutien du reste de l’Afrique à la cause arabe ont été largement infructueuses, les nations relativement jeunes ne souhaitant pas s’enliser dans le conflit.
Mais les attitudes ont commencé à changer après la guerre israélo-arabe de 1967. Les réactions africaines au conflit ont été mitigées : certains pays comme l’Afrique du Sud de l’apartheid et l’Éthiopie, au départ critique, exprimaient leur soutien à Israël, tandis que d’autres se rangeaient du côté des États arabes. Dans l’ensemble cependant, de nombreux dirigeants africains, qui ont encore en mémoire l’acquisition de terres par la force colonialiste, voient d’un mauvais œil les actions d’Israël. Le 8 juin, alors que les combats se poursuivent, l’OUA condamne l’"agression non provoquée" d’Israël et appelle à un cessez-le-feu immédiat.
Cependant, la véritable rupture est intervenue dans les années 1970 et surtout après la guerre d’octobre 1973. À cette époque, malgré la résistance de nombreux pays, les troubles au Moyen-Orient avaient gagné du terrain sur l’agenda africain et créé des dissensions au sein d’un continent qui valorisait le consensus et la solidarité. Lors de son sommet de 1971, l’OUA a fait une tentative timide et finalement inefficace de médiation entre les Arabes et les Israéliens, appelant à des négociations et nommant un comité dirigé par le président tanzanien Julius Nyerere pour superviser ses efforts.
Entre mars 1972 et le déclenchement de la guerre en octobre 1973, huit pays africains ont rompu leurs relations avec Israël. Lors de la réunion du 10e anniversaire, les tensions sur cette question ont éclaté au grand jour. Le secrétaire général de l’OUA, Nzo Ekangaki, déclara que "tant qu’Israël continuera à occuper des parties du territoire de l’un des membres fondateurs de l’OUA, l’Égypte, il continuera à être condamné par l’OUA". Cependant, de nombreux autres États africains ont refusé de sacrifier leurs relations avec Israël au nom de cette question, malgré l’insistance de l’OUA.
La guerre d’octobre et l’embargo pétrolier des États arabes qui en a résulté et a fait grimper les prix mondiaux du pétrole, ont changé ce calcul. En novembre, tous les États africains sauf quatre - le Malawi, le Lesotho, le Swaziland et l’île Maurice - avaient abandonné Israël, qui n’a fait qu’empirer la situation en entretenant des relations étroites avec le régime d’apartheid en Afrique du Sud, une décision qui continue jusqu’à aujourd’hui d’empoisonner ses relations avec le continent.
Malgré le rétablissement des liens dans les années 1980 et 1990, Israël n’a jamais retrouvé la stature qui était la sienne deux décennies auparavant. S’il entretient aujourd’hui des relations diplomatiques avec plus de 40 pays du continent, il reste exclu de l’UA et la grande majorité des 54 voix africaines à l’Assemblée générale des Nations unies sont toujours acquises aux Palestiniens.
Les efforts déployés ces dernières années pour améliorer les relations ont porté leurs fruits, mais ils se sont également heurtés au cours de l’histoire. En fait, la situation actuelle ressemble à celle de 1973 : l’Afrique est divisée sur la manière de répondre à l’oppression israélienne, ses pays trouvant un équilibre entre une opposition de principe à l’apartheid et une coopération économique et sécuritaire pragmatique.
Toutefois, une crise majeure pourrait faire pencher la balance en faveur de la première position. Les conclusions d’une évaluation interne du ministère israélien des affaires étrangères en juillet de cette année-là, sonne toujours juste, un demi-siècle plus tard : "L’image d’Israël en tant qu’occupant, son refus de se retirer de tous les territoires - ne sont pas acceptables en Afrique et les demandes arabes reçoivent un soutien émotionnel et même instinctif parmi nos amis... Il y a un risque que cette tendance continue à s’intensifier..."
Les événements d’Addis-Abeba en février dernier en ont été un signe.
Traduction : AFPS