Q – En recevant à l’Élysée l’édition 2008 du « prix du courage politique » décerné par la revue Politique internationale, le président français Nicolas Sarkozy a vanté sa politique étrangère qui a notamment permis, selon lui, d’en « finir avec la guerre au Liban » en s’ouvrant vers la Syrie. En tant qu’ancien ministre français des Affaires étrangères, que pensez-vous de la diplomatie française actuelle au Moyen-Orient ?
R – Au départ, Nicolas Sarkozy était parti d’un a priori assez critique concernant la politique étrangère sous la Ve République. Sa politique étrangère était une réaction contre celle de son prédécesseur Jacques Chirac. Dans un premier temps, il était assez idéologique et donnait l’impression de vouloir mener une politique quasiment américaine. Mais, en fait, ce n’est pas tout à fait le cas. Aujourd’hui, nous constatons que la diplomatie de Nicolas Sarkozy est beaucoup plus pragmatique. Concernant la Syrie et le Liban, par exemple, il a adopté une diplomatie qui s’est, en quelque sorte, démarquée de celle des Américains. Il a voulu se donner, en tant que président français, une certaine liberté de mouvement, et c’est pourquoi il n’a pas parlé de la Syrie comme faisant partie de « l’Axe du mal ». Je ne sais pas si cela va donner des résultats positifs ou pas, mais il n’a pas voulu s’aligner sur la politique atlantiste et c’est déjà une bonne chose. Par ailleurs, les Libanais ne peuvent pas demander au monde de ne pas avoir de relations avec la Syrie. C’est impensable. En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, je crois que le discours qu’il a prononcé en Israël est très positif et qu’il est comparable à celui de François Mitterrand devant la Knesset. Il a expliqué aux Israéliens que la France est à leurs côtés, mais qu’il n’est plus possible de continuer comme cela et qu’il faut régler la question palestinienne. La question de l’Iran est différente. L’attitude de Paris envers Téhéran est plus dure que celle de tous les autres pays européens. Les Français ont même l’air d’être inquiets de la possibilité de discussions entre les États-Unis et l’Iran. Donc, la politique étrangère de Paris est paradoxale.
Q – Que pensez-vous de l’établissement de relations diplomatiques entre la Syrie et le Liban ? Est-ce le résultat de la politique d’ouverture de Nicolas Sarkozy ?
R – Je crois que c’est un accomplissement, peut-être indirect, de la politique d’ouverture de Nicolas Sarkozy. Je ne suis pas un expert des relations libano-syriennes, mais je pense que c’est un énorme progrès étant donné que Damas, par le passé, refusait le principe même d’établir des relations diplomatiques avec Beyrouth. C’est le résultat d’une politique de dialogue qui peut être critiquée, mais qui a eu de bonnes conséquences.
Q – L’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis a été accueillie avec un optimisme prudent dans le monde arabe. Certains mouvements comme le Hamas et les talibans se sont même déclarés en faveur de l’ouverture de négociations avec la nouvelle administration américaine. L’Occident, à votre avis, doit-il désormais engager le dialogue avec ces mouvements ?
R – Il faut parler avec tout le monde. C’est le principe même de la diplomatie. La politique étrangère du président George W. Bush qui consiste à ignorer le Hamas, le Hezbollah, l’Iran, la Syrie et d’autres est absurde. Elle a été désastreuse envers le monde arabe. La diplomatie n’est pas une partie de plaisir. Elle est basée sur des négociations. Rappelez-vous comment les Américains négociaient avec les Soviétiques et comment toutes les puissances coloniales ont discuté avec des mouvements de libération violents. Évidemment, cela ne veut pas dire qu’il faut parler avec tout le monde n’importe comment. Il faut négocier avec intelligence et prudence. Sur le plan du principe, j’estime qu’il ne faut rien s’interdire. C’est pourquoi lorsque Obama dit qu’il ne va pas parler qu’avec des anges, cela ne m’inquiète pas. Mais j’espère qu’il le fera intelligemment. S’il y a un conseil que je pourrais lui donner, c’est qu’il se débarrasse de l’héritage de George Bush, surtout en matière de politique étrangère.
Q – Donc faut-il s’attendre à la fin de l’isolement du Hamas dans la bande de Gaza ?
R – Le Hamas est un sous-produit d’une politique occidentale débile. Je n’hésite pas à le dire. Lorsqu’on oblige les Palestiniens à tenir des élections démocratiques alors qu’ils vivent dans des conditions désespérantes, il est évident que leur vote sera radical. Et il est absurde de boycotter le Hamas après qu’il eut été élu démocratiquement. Que faut-il faire aujourd’hui avec le Hamas ? Je pense qu’il faut mettre en place un vrai processus, mais cela dépend avant tout des Israéliens puisque ce sont eux qui occupent les territoires palestiniens. Ils doivent se résigner à quitter ces territoires occupés. Une fois un tel processus établi, je crois qu’il serait intelligent de mener des négociations avec toutes les parties palestiniennes, dont le Hamas. Je crois qu’une telle ouverture obligerait le mouvement islamiste à trancher dans ses politiques.