Au cours des deux semaines qui se sont écoulées depuis que Donald Trump a dévoilé son « Affaire du Siècle » pour Israël et la Palestine, un bras de fer international s’est déroulé entre deux visions opposées. La première demande l’égalité des droits pour les Israéliens et les Palestiniens, y compris dans le cas d’une solution à deux Etats seulement, basée sur le droit international. La seconde formaliserait la soumission des Palestiniens à un régime militaire israélien vaguement défini, seul souverain entre le Jourdain et la mer Méditerranée.
Ce bras de fer, qui a provoqué de profondes divisions lors d’une session spéciale du Conseil de Sécurité de l’ONU à New-York cette semaine, s’est déplacé à Genève après que le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a sorti mercredi une base de données de 112 entreprises actives dans les colonies israéliennes. Commandé en mars 2016, le rapport a été reporté à plusieurs reprises en raison de pressions politiques exercées par Israël, les Etats-Unis et certains pays d’Europe.
La révélation du rapport est en soit un accomplissement, en ce qu’il fournit une base importante pour promouvoir la responsabilité des entreprises face à l’occupation israélienne. Cependant, un succès réel – c’est-à-dire pouvant réellement décourager les relations commerciales avec les colonies – reste incertain.
La grande majorité des entreprises répertoriées sont israéliennes, d’autres de Thaïlande, du Luxembourg, du Royaume-Uni, de la France, des Pays-Bas et des Etats-Unis. Elles comprennent des prestataires de services, des banques, des agences de voyage étrangères, qui sont toutes parties intégrantes du maintien et de l’expansion des colonies. Ces entreprises normalisent davantage les colonies comme faisant partie d’Israël tout en effaçant la distinction entre l’Etat et les territoires qui sont le fondement pour un Etat palestinien.
Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, la base de données n’est pas une avancée sans précédent de l’ONU, ni sa plus puissante. En 2003, une commission créée par le Conseil de Sécurité de l’ONU a détaillé l’implication de quelques 75 entreprises qui contribuaient au conflit en République Démocratique du Congo en exploitant illégalement les ressources naturelles du pays. En août 2019, des experts de l’ONU ont répertorié 59 entreprises étrangères ayant des liens financiers avec l’armée birmane et ont demandé que des enquêtes criminelles soient menées et des sanctions prises à leur encontre.
En revanche, la portée de la base de données sur les entreprises des colonies israéliennes semble plutôt conservatrice. Au contraire du rapport sur la Birmanie, il n’y a pas de conséquences directes au-delà d’une possible atteinte à la réputation. En outre, le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU s’en est tenu très étroitement aux critères énoncés dans sa résolution d’origine du Conseil des Droits de l’Homme pour décider des entreprises à inclure.
Par conséquent, il y a quelques omissions notables dans le rapport de l’ONU. Ceux impliqués dans l’exploitation illégale des ressources naturelles palestiniennes sont manifestement absents. Par exemple, les activités de Heidelberg Cement, qui exploite des usines et des carrières dans les zones de colonies en Cisjordanie, sont très bien documentées. Est également absent la FIFA dont la filiale israélienne, l’Association de Football en Israël (IFA), comprend six équipes des colonies, en violation des statuts de la FIFA.
Campagne de désinformation
Le rapport de l’ONU ne peut alors pas être un simple document ponctuel. Des mises à jour régulières permettraient de donner l’opportunité aux entreprises répertoriées de se dissocier de leurs activités liées aux colonies dans le but d’être retirées de la base de données. Les futures éditions doivent aussi élargir le champ et la proximité de leurs listes.
Néanmoins, beaucoup de choses se résumeront aux dures négociations politiques qui façonneront les décisions des membres du Conseil des Droits de l’Homme.
Les Palestiniens ont traditionnellement bénéficié d’une majorité au sein de cette assemblée, mais comme l’a montrée la préparation de la réunion du Conseil de sécurité de cette semaine, les États-Unis sont prêts à utiliser tous les moyens à leur disposition pour protéger le projet de colonisation d’Israël de la censure internationale et pour forcer les autres pays à se conformer. De telles tactiques vont sans doute se reproduire durant la session du Conseil des Droits de l’Homme le mois prochain, où des décisions concernant le futur de la base de données pourraient être prises.
Au même moment, une campagne de désinformation et de menaces est déjà en cours pour discréditer l’initiative, menée par les gouvernements des Etats-Unis et d’Israël aux côtés d’un réseau d’organisations pro-colonisation. Nombre de ces calomnies ont été lancées sur l’UE de la même manière à la suite de l’émission de directives sur l’étiquetage des produits des colonies israéliennes.
En plus d’accuser l’UE de perpétrer une « attaque de terreur économique », les défenseurs du mouvement de colons exploitent même l’imagerie de l’Holocauste à des fins politiques. En assimilant les mesures les plus minimales contre les colonies israéliennes illégales aux moments les plus noirs de l’histoire juive et de l’Europe, ces attaques tentent de faire pression et d’intimider tous les pays qui défendent les normes de droit international et les droits humains les plus fondamentaux.
Les pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas ont parfois rejoint ces efforts israéliens et américains pour faire obstruction à la base de données, les mettant en désaccord avec leurs positions de longue date d’opposition aux activités de colonisation israéliennes, conformément à la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies. A un moment où les Etats-Unis et Israël détruisent les bases d’une véritable solution à deux Etats, les membres de la communauté internationale, en particulier les Etats européens, devraient prendre un moment pour réfléchir à leur positionnement.
Plutôt que de rejoindre la lutte contre les mécanismes de responsabilité, les gouvernements devraient considérer la base de données de l’ONU comme un effort tangible pour préserver l’empreinte territoriale d’un futur Etat palestinien. Ils devraient également la voir comme une opportunité pour renforcer la vigilance interne obligatoire et élaborer des cadres réglementaires plus solides qui empêchent les pratiques commerciales dans les colonies israéliennes.
Ne pas défendre les convictions collectives de la communauté internationale ne fera qu’enhardir le mouvement de colons israéliens et ceux qui en bénéficient. Un tel échec aggravera également une réalité à un seul Etat caractérisé par une occupation et des inégalités sans fin, et érodera la pertinence de l’ordre international fondé sur des normes.
Photo : Travailleurs juifs Israéliens travaillant dans le vignoble de Beit El, situé dans la colonie juive de Beit El en Cisjordanie, le 4 septembre 2019 (Hillel Maeir / Flash90)
Traduction AFPS