Le régime israélien fait un usage généralisé de la détention administrative, où les Palestiniens - présentés comme un danger pour la "sécurité" et "l’ordre public" - à travers la Palestine colonisée sont détenus pour des périodes indéfinies sans accusation ni procès. Cette note fournit le contexte historique et juridique de l’utilisation par Israël de la détention administrative contre les Palestiniens, et explique comment cette pratique est liée au fonctionnement plus large des tribunaux militaires israéliens et à leur criminalisation de l’activisme palestinien.
La note met en évidence le boycott collectif des tribunaux militaires par les détenus administratifs palestiniens en 2022 et le situe dans le répertoire plus large de la résistance palestinienne aux politiques carcérales israéliennes. Bien que le boycott ait été annulé en juin 2022 avec quelques gains pour les détenus, il a affirmé qu’une action collective est nécessaire pour mettre fin à l’utilisation de la détention administrative par le régime israélien. Ce papier propose donc des recommandations sur la manière dont les dirigeants politiques palestiniens, les organisations de la société civile, les militants et les groupes de solidarité locaux et internationaux peuvent collectivement y parvenir.
Le régime israélien justifie la détention administrative comme étant nécessaire à des fins de "sécurité". Dans la pratique, cependant, Israël ne respecte jamais les restrictions fixées par le droit international, qui ne permet aux États de recourir à cette mesure que dans des circonstances exceptionnelles. Les détenus sont fréquemment empêchés d’accéder à une défense juridique efficace car les juges peuvent recevoir des preuves "secrètes" - non divulguées pour des raisons de "sécurité" - en l’absence des détenus et de leurs avocats. De plus, contrairement à la prétendue affirmation des tribunaux israéliens selon laquelle les ordres de détention font l’objet d’un contrôle judiciaire, les détenus attestent qu’ils ne sont libérés qu’après l’approbation de l’Agence de sécurité israélienne (le Shabak).
Fondamentalement, l’utilisation par Israël de la détention administrative est une forme de guerre psychologique : elle soumet les détenus et leurs familles à un état perpétuel d’incertitude, car les détenus ne savent jamais vraiment quand ils seront libérés. Mais plus largement, le recours généralisé d’Israël à la détention administrative affecte tous les Palestiniens sous contrôle israélien. Les Palestiniens, du fleuve à la mer, vivent dans une réalité dans laquelle ils ne savent pas quand, pourquoi ou pour combien de temps ils pourraient être arbitrairement emprisonnés. Cela a été mis en évidence par l’utilisation extensive de la détention administrative par le régime israélien pendant et après l’Intifada de 2021.
Cependant, depuis qu’Israël a recours à la détention administrative, les détenus palestiniens résistent par des protestations à l’intérieur des prisons, des grèves de la faim individuelles ou collectives, et le boycott des tribunaux militaires. L’efficacité des grèves de la faim en particulier est constamment débattue parmi les Palestiniens, mais il convient de noter qu’elles ont attiré l’attention internationale et illustrent la centralité de la détention administrative pour le régime israélien. Même si ces tactiques n’ont réussi qu’à obtenir la libération de détenus individuels, leur utilisation constante et leur durée historique signifient que les détenus administratifs remplissent un rôle critique et stratégiquement symbolique dans la lutte de libération palestinienne au sens large.
Le 1er janvier 2022, les près de 500 détenus administratifs qui se trouvaient alors dans les prisons israéliennes ont lancé un boycott collectif des tribunaux militaires et ont demandé aux avocats de ne pas assister aux sessions du tribunal ni de s’engager dans les processus judiciaires liés à leur détention. De plus, dans leur déclaration publique, les détenus ont menacé d’entreprendre une grève de la faim collective si le boycott ne parvenait pas à forcer Israël à mettre fin à cette politique. En présentant ces actions croissantes comme faisant partie d’un "mouvement de résistance de masse uni", les détenus ont affirmé leur conviction dans le pouvoir de l’action collective.
Le boycott des 2022 a démontré l’importance de l’action collective pour mettre fin à la politique de détention administrative du régime israélien. Pour soutenir les prisonniers palestiniens dans leur intifada et faire en sorte que cette politique de longue date prenne fin :
> L’Autorité palestinienne (AP) et la Commission des affaires des détenus et ex-détenus qui lui est associée doivent mettre en évidence les effets néfastes de la détention administrative sur les Palestiniens auprès de la communauté internationale, et plaider pour la fin de cette politique dans tous les forums internationaux, notamment en exigeant qu’Israël soit tenu responsable de ses violations des lois internationales relatives aux droits humains qu’il a ratifiées.
> Les organisations de la société civile palestinienne, notamment celles qui travaillent sur les questions liées aux prisonniers, doivent continuer à rallier le soutien aux détenus administratifs palestiniens, tant au niveau local qu’international.
> Dans toute la Palestine colonisée, les Palestiniens et leurs alliés devraient organiser plus activement des événements publics et des manifestations de soutien aux prisonniers palestiniens, y compris les détenus administratifs.
> Les familles des détenus administratifs devraient créer un comité de travail qui pourrait centraliser les efforts de solidarité en faveur des détenus. Cette démarche, à l’image d’autres comités organisés en Palestine et dans le monde (les Mères de la Place de Mai en Argentine, par exemple), permettrait de mieux comprendre l’impact plus large de cette politique sur la société palestinienne.
> Les groupes de solidarité internationale avec la Palestine devraient inclure le système carcéral du régime israélien dans leurs campagnes de boycott et de désinvestissement. Ces campagnes devraient viser toutes les entreprises qui bénéficient du système carcéral israélien. Ils devraient également amplifier les appels à mettre fin au programme d’échanges mortels entre les forces de l’ordre israéliennes et américaines - des tactiques qui se manifestent dans les prisons et les centres de détention à travers la Palestine colonisée.
Traduction : AFPS
Basil Farraj, membre de la politique d’Al-Shabaka, est un doctorant en anthropologie et sociologie à l’Institut universitaire de Genève. Son travail se concentre sur les prisonniers politiques, la violence à leur encontre et les moyens par lesquels ils résistent aux régimes d’incarcération. Il s’intéresse aux intersections entre la mémoire, la résistance et l’art des prisonniers et des autres personnes victimes de la violence. Basil a déjà effectué des travaux de terrain dans plusieurs pays, dont le Chili et la Colombie.
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