Photo : Face au vol de terres par des colons, la résistance populaire palestinienne érige une « Église des Nations » à Beit Jala © DR
Le 25 novembre dernier, le pape s’est clairement exprimé sur les massacres à Gaza. Par contre, malgré de multiples interpellations, l’Église catholique de France reste très ambiguë. Comment faut-il comprendre cette attitude ?
Le 23 décembre 2023, le pasteur Munther Isaac, Arabe, Palestinien, de l’Église évangélique luthérienne de Bethléem s’exprimait ainsi : « l’hypocrisie et le racisme du monde occidental sont évidents et effrayants ! […] Nous sommes indignés par la complicité de l’Église. Soyons clairs : le silence est complicité, (il en est de même pour) les appels creux à la paix sans cesser le feu et sans mettre fin à l’occupation, et les phrases vaines sur l’empathie sans action directe. Voici donc mon message : Gaza est aujourd’hui devenue la boussole morale du monde. Gaza était l’enfer sur terre avant le 7 octobre[…]Si vous n’êtes pas horrifiés par ce qui se passe ; si vous n’êtes pas ébranlés jusqu’au fond de vous-même – c’est que votre humanité est en défaut[…] Si vous n’arrivez pas à appeler cela un génocide, c’est à vous que cela incombe. C’est un péché, une part des ténèbres, que vous adoptez de plein gré ».
Des interpellations laïques ont été portées à plusieurs évêchés demandant : d’une part pour quelle raison l’Église n’exprime pas sa position face au génocide perpétré par l’État d’Israël, et d’autre part quelle est la signification du dialogue judéo-chrétien, alors que les autorités religieuses juives, dans leur grande majorité apportent un soutien aux agissements de l’État d’Israël ? Le silence fut la seule réponse.
D’autres voix religieuses se sont également exprimées, un moine cistercien de l’abbaye de Cîteaux interpellant son évêque sur le silence de l’Église, un appel du collectif chrétien Anastasis, signé par plus de 150 responsables catholiques, appelant à un cessez-le-feu, un communiqué des jésuites « Nous ne pouvons pas rester silencieux » etc... Face à ces demandes, la position officielle de l’Église catholique de France demeure ambiguë. Ainsi, la déclaration conjointe des responsables religieux chrétiens [1] de France, le 5 mars 2024, appelle au cessez-le-feu, à la libération des otages, à l’ouverture par le dialogue vers une paix durable. Alors que dans la déclaration du 10 novembre 2024, Message fraternel aux Chrétiens du Liban et à tous les Libanais, suite à l’assemblée des évêques de France réunie à Lourdes, la tragédie palestinienne est décrite en termes de « … souffrance qui continue de monter de la Terre Sainte depuis les massacres terroristes du Hamas et la réponse militaire israélienne », comme si cette tragédie commençait au 7 octobre, et sans que le mot « Palestiniens » soit prononcé. L’appel au respect du droit international est certes évoqué, mais les décisions et avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur l’accusation de génocide, l’illégalité de l’occupation et de l’annexion des territoires palestiniens par Israël, les mandats d’arrêt délivrés par la Cour pénale internationale (CPI) sont ignorés.
Qu’en est-il de l’expression « valeurs judéo-chrétiennes » entrée dans le vocabulaire courant en Europe au cours des dernières décennies, voulant ainsi marquer la réconciliation entre deux monothéismes si longtemps ennemis. L’origine de cette nouvelle relation entre Juifs et chrétiens remonte à 1947 lors d’un rassemblement à Seelisberg (Suisse). Un nouvel appel fut lancé en 2009 à Berlin, adressé aux communautés chrétiennes et juives à travers le monde, les Douze points de Berlin, définissant les objectifs de la relation judéo-chrétienne. Mais la réalité de ce dialogue en France se heurte à deux éléments incontournables de l’histoire contemporaine, d’une part la mémoire vive de la Shoah et la création de l’État d’Israël, d’autre part l’assimilation de toute critique de l’État d’Israël à de l’antisémitisme. Pour préserver la possibilité de la rencontre, les groupes de l’Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF) évitent les deux sujets. Pourtant, comme l’évoquait le Père maronite libanais Youakim Moubarac, cité par le grand intellectuel libanais Georges Corm, l’évolution contemporaine du judaïsme ne peut se résumer « à un titre de propriété foncière » sur la Palestine.
Soulignons que le 25 novembre 2024, le pape François dénonçait « l’arrogance des envahisseurs » en Palestine, après avoir abordé une semaine auparavant pour la première fois les accusations de « génocide » à Gaza, soulignant « l’hypocrisie de parler de paix tout en faisant la guerre », critiquant l’usage « immoral » de la force au Liban et à Gaza. Qui plus est le message de la crèche au Vatican avec l’enfant Jésus au creux d’un keffieh est clair. Dès lors, la frilosité de l’Église de France est-elle due à la prise en compte de considérations politiques ? La dimension de la suprématie de l’homme occidental, évoquée par le pasteur Munther Isaac, aurait-elle une influence ? Dans tous les cas, le peuple palestinien est invisibilisé, déshumanisé, ignoré dans la revendication de ses droits fondamentaux à vivre sur sa terre dignement et respectueusement.
Michel Marchand