- Reuters/Ammar Awad, File
Mourad Jadallah, chercheur juridique pour l’organisation pour les droits des prisonniers Addameer, déclare à Ma’an que le problème renvoie au rôle de l’Autorité palestinienne dans l’accord, et à l’attitude de celle-ci envers les prisonniers de manière générale.
Après qu’approximativement 2000 détenus palestiniens aient rejoint des détenus administratifs déjà en grève de la faim le 17 avril 2012, Israël s’est engagé à des « assouplissements » face aux revendications des grévistes de la faim – notamment, la fin de l’isolement, la permission des visites de famille, et l’amélioration des conditions de vie en prison.
Un représentant des prisonniers a aussi déclaré qu’Israël s’était alors engagé à ne plus renouveler les détentions administratives sans prévision de procès, avec la condition qu’aucune nouvelle information ne requière la détention.
Une terminologie ajustée
Jadallah explique que l’accord est insuffisant à deux niveaux : au niveau des termes utilisés, mais également dans l’oubli d’inclure le problème de la détention administrative dans l’accord écrit.
Avec cette marge de manœuvre, Israël a pu contourner les changements espérés de la situation des prisonniers. Le 11 juin, les prisonniers ont rencontré les autorités pénitentiaires israéliennes à la prison de Nafha comme première étape de « l’assouplissement », déclare le juriste.
Israël avait accepté de mettre sur pied une délégation composée de responsables des services pénitentiaires et du Shabak, le service de sécurité intérieure, pour les négociations avec le comité des prisonniers. Aujourd’hui, dit Jadallah, on explique aux prisonniers que seuls des représentants des services pénitentiaires les rencontreraient pour discuter de leurs demandes.
« Mais les prisonniers ne leur font pas confiance et ne croient pas les services pénitentiaires. Ce ne sont pas eux qui prennent habituellement ces décisions, puisqu’ils disent qu’ils doivent suivre les ordres du Shabak. »
Selon Jadallah, lors de la première réunion, les représentants israéliens sont revenus sur l’engagement pris pour transférer le dernier prisonnier en isolement, Dirar Abu Sisi, à une cellule normale, arguant qu’ils voulaient le garder en isolement pendant qu’ils préparaient une accusation contre lui. Il est incarcéré depuis février 2011 sans inculpation.
Concernant les conditions de vie des prisonniers, « ils ont dit qu’ils feraient de leur mieux sans faire de promesses », dit Jadallah.
Pour les autres revendications, les délégués israéliens ont dit qu’ils attendraient une décision de la Cour suprême avant de permettre l’accès à l’éducation, et malgré qu’ils aient admis avoir effectivement renouvelé des détentions administratives, ont promis que les prisonniers verraient un « progrès » concernant ce sujet.
Mais la semaine dernière, Israël a renouvelé la détention administrative de Hasan Safadi, qui a mis fin à son 71ème jour de grève de la faim sur la base de l’engagement israélien à ne plus le maintenir en détention administrative sans inculpation. Jadallah affirme que plus de 35 détentions administratives ont été renouvelées depuis la signature de l’accord.
Précipité et ambigu : « comme l’accord d’Oslo »
Les prisonniers attribuent ce problème à un accord incompétent et précipité qui a mis fin à leur grève de la faim, dit Jadallah.
« Un prisonnier a dit que ce que l’Autorité palestinienne a fait était comme l’accord d’Oslo. L’Autorité palestinienne cherchait à tout prix une victoire ou un rôle dans cet accord et donc elle s’est précipitée et a accepté les termes employés. Les prisonniers considèrent l’Autorité palestinienne comme responsable. »
« Israël ne veut pas que les Palestiniens sentent qu’ils ont obtenu une victoire avec la grève de la faim ou que les mouvements de prisonniers considèrent avoir obtenu gain de cause. Ils veulent dire : nous pouvons tout contrôler ».
Les accords d’Oslo en 1993 qui ont établi l’Autorité palestinienne sont largement perçus comme un échec, découpant le territoire palestinien en zones de contrôle israéliennes et palestiniennes comme mesure intérimaire devant durer 5 ans, et en deux décennies ayant abouti à une consolidation de l’étendue militaire et des colonies israéliennes en terre palestinienne, et marqué l’impuissance de l’Autorité palestinienne.
Selon Jadallah, l’indifférence officielle à l’égard des prisonniers date de ce moment-là. Le premier accord d’Oslo ne mentionnait pas les prisonniers, et ce n’est qu’après des lettres de colère que le second accord avait inclus cinq pages seulement sur la question.
Aujourd’hui, avec de nombreuses organisations travaillant en soutien des prisonniers, il existe une certaine coordination mais sans réelle organisation, dit-il. Il s’agit d’une décision spécifique, car les autorités sont incapables de fixer une stratégie cohérente pour la libération des prisonniers, poursuit Jadallah.
« Par exemple, certains avocats ont refusé de boycotter les cours militaires. Mais pourquoi devrait-on payer les tribunaux militaires avec des honoraires et des amendes ? »
Jadallah estime que ces paiements au système des tribunaux militaires coûtent environ 15 million de dollars par an, sans compter le soutien financier que l’Autorité palestinienne et des partis politiques versent directement aux prisonniers.
« Nous payons des millions pour notre occupation. A Oslo nous étions d’accord pour jouer le jeu du système, mais ceci est une manière de corrompre le mouvement des prisonniers ».
Une autre source de confusion consiste dans le fait que certains prisonniers ont leur propre avocat ; or durant la grève de la faim, Jawad Bolous, avocat engagé par l’influente Société des prisonniers, a été envoyé pour parler et négocier au nom des grévistes.
« Certains prisonniers ont leur propre avocat mais d’autres négocient en leur nom. Ce n’est pas professionnel », déclare Jadallah.
« Des prisonniers remettent en question son [Boulos] rôle. Ils disent que leur avocat doit être un défenseur des droits de l’Homme et non un négociateur », ajoute-t-il, en refusant d’en parler davantage.
« L’Autorité palestinienne utilise les prisonniers pour augmenter sa crédibilité, mais n’est pas réellement intéressée par leur sort. C’est une manière d’acheter la loyauté et non d’obtenir la libération. »
« Ils disent qu’ils font confiance au mouvement des prisonniers, mais sur le terrain, les forces de sécurité menacent les prisonniers en grève de la faim et arrêtent des partisans de la grève de la faim à Ramallah, Jenin et dans d’autres endroits. Il existe deux agendas ; le discours politique et la politique des forces de sécurité. »
La lutte pour l’unité
Mais Jadallah affirme que les grévistes de la faim ont pu surmonter de sérieux obstacles pour unir le mouvement des prisonniers dans le cadre d’une action non-violente pour la première fois.
« Certains prisonniers du Fatah s’y sont joint depuis le début, alors que d’autres ont dit des choses négatives : que la grève était un effort pour cacher les problèmes internes au sein du Hamas. C’était faux ; le Hamas n’était pas à l’origine de la grève de la faim. »
« Les prisonniers du Fatah ont entendu dire que s’ils participaient à la grève de la faim ils perdraient leurs salaires des forces de sécurité. Certains prisonniers ont alors joué la contre-révolution. »
Un groupe des prisonniers du Fatah ont déclaré, début mai, qu’ils avaient obtenu la moitié de leurs revendications après des négociations avec les autorités pénitentiaires. Jadallah dit que ce groupe a appelé à suspendre la grève de la faim collective pendant leurs négociations. « C’était également la position de l’Autorité palestinienne », souligne-t-il.
Mais la figure du Fatah incarcéré, Marwan Barghouti, a désavoué ce Comité du Fatah, le considérant comme non représentatif, aboutissant à l’échec des contre-révolutions, explique Jadallah.
« Je vais ramener la balle dans le camp des prisonniers », a dit Barghouti.
Le Printemps arabe, les attaques sur Gaza et les grèves de la faim actuelles
Avec la désillusion des espoirs liés à l’accord qui a mis fin aux grèves, Jadallah a insisté sur le fait que les autorités comme les mouvements de prisonniers doivent permettre aux détenus de continuer l’initiative.
Les manifestations populaires en soutien aux prisonniers en grève de la faim en Cisjordanie, à Gaza et dans le monde entier ont encouragé les prisonniers à persévérer dans leur combat historique, dit Jadallah.
« Après sept ou huit ans du mouvement des prisonniers, les forces spéciales israéliennes ont réussi à humilier les prisonniers en toute impunité. Mais le Printemps arabe et les manifestations palestiniennes en soutien aux prisonniers ont été des facteurs utiles pour leur victoire. »
« A l’extérieur des prisons, (les gens) veulent un héros. En prison, ce sont de vrais héros, luttant pour leurs droits dans la non-violence, parce qu’il est difficile de voir ceci au sein de la classe politique en dehors des prisons. »
Mais l’inquiétude règne sur le manque croissant d’attention pour trois détenus actuellement en grève de la faim, notamment le prisonnier malade Akram Al-Rekhawi , qui a entamé sa 75ème journée sans alimentation ce lundi passé. Les groupes de prisonniers déclarent que dû à son état de santé à long terme – il est incarcéré dans une clinique de prison depuis son arrestation en 2004 - la grève de la faim de deux mois le place en risque de mort immédiat.
Jadallah estime qu’ Al-Rekhawi « n’a pas bénéficié de l’attention qu’il mérite de la population et des médias. C’est triste, il est en prison, en grève de la faim, sans aucun mouvement dans la rue. »
« Mais nous savons que les gens se lassent des cas individuels. Chaque prisonnier a sa propre situation, et la jeunesse, les organisations des droits de l’Homme, et l’Autorité palestinienne ont tous leurs propres considérations. »
Les raids israéliens de la semaine passée, qui ont tué au moins 12 personnes, ont également dévié le regard de la population.
« Peut-être que nous n’avons pas réussi à clarifier le lien entre Gaza et Al-Rekhawi », dit Jadallah.
« C’est-à-dire : si vous n’êtes pas tué sur le terrain, vous êtes tué en prison. (Al-Rekhawi) se défend contre la sentence de mort en prison tout comme le peuple s’en défend sur le terrain à Gaza. »
Traduit par l’AFPS