L’attentat a été suivi de deux jours de présence policière et militaire intensive sur les rares voies restant ouvertes au Palestiniens entre la région de Ramallah et Jérusalem, et de rafles dans tout Jérusalem Est.
Les services du Shin Bet, seule source d’information utilisée par la presse israélienne, ont communiqué une version très précise des événements dès l’après midi de l’attentat. Les terroristes seraient venus en voiture de Jénine avec pour intention de faire un attentat à Jérusalem. Le Shin Bet aurait été averti de leur venue et l’alerte a été lancée 30 minutes avant l’explosion, conduisant à la mise en place de points de contrôle policiers un peu partout sur la voie allant de Ramallah à Jérusalem. Les terroristes ne seraient pas passés par Ramallah et le checkpoint principal de Kalandya, mais auraient rejoint celui-ci par la voie de jonction juste au sud du checkpoint, pour poursuivre vers Jérusalem. A quelques centaines de mètres au sud de la jonction de Kalandya, en direction d’A-Ram, ils seraient tombés sur un barrage de police. Voyant qu’ils ne parviendraient pas à Jérusalem, ils auraient placé leur bombe « entre deux voitures palestiniennes près d’étals de vendeurs Palestiniens », se seraient éloignés et auraient fait exploser la bombe à distance en appelant un numéro de leur portable.
Toujours d’après la police, le leader des Brigades d’Al Aqsa (Tanzim) de Jénine, Zakaria Zubeidi, aurait indiqué par téléphone la responsabilité de son groupe et dit qu’il avait été « forcé de faire détoner la bombe sur place » à cause du blocage policier.
Bien entendu, la presse israélienne unanime a interprété l’événement selon la seule vision étroitement sécuritaire de l’armée : les six mois de « calme » sont dus aux difficultés que le Mur cause aux auteurs d’attentats, et la voiture ne serait même pas parvenue là où elle est allée si… le chantier du mur dans la région d’A-Ram n’était pas provisoirement suspendu à la suite de plaintes devant les tribunaux. Déclaration du père d’un policier blessé : « Je suis sûr d’une chose : s’ils avaient continué le mur de sécurité à cet endroit précis, cet incident aurait pu être évité ». L’explosion a précisément eu lieu sur la portion de voie où les plaques de béton du mur sont prêtes à être dressées, prêtes à causer encore plus de souffrances à plus de 100.000 Palestiniens de la banlieue nord de Jérusalem. En écho, et dans le but manifeste de faire reprendre l’érection du mur au plus vite, le vice-ministre de la défense Ze’ev Boim a ajouté : « On ne construit pas le mur de sécurité parce qu’on n’y est pas autorisés. Il y a trop de requêtes contre le tracé de la barrière et je critique la lenteur avec laquelle la haute cour traite ces requêtes ». Bref, cet attentat miraculeux vient au bon moment et au bon endroit pour relancer la machine de propagande pour accélérer la dépossession et l’enfermement des Palestiniens.
Certains Palestiniens ne mettent pas en cause la version israélienne des événements. Ils critiquent les brigades d’Al Aqsa et estiment qu’elles ne jouent plus leur rôle de protection de la population, surtout depuis qu’elles ne s’en prennent plus exclusivement à des cibles israéliennes. L’emploi de la force armée pour « traiter » de problèmes politiques relevant du peu de pouvoir palestinien restant est vu par beaucoup comme un comportement mafieux, aussi faire sauter une bombe en sachant qu’elle tuera en majorité des Palestiniens, un acte contraire à toutes les traditions de la résistance, ne parait plus impossible à certains. Mais pour la grande majorité, un attentat aussi évidemment conforme aux intérêts israéliens ne peut être que l’œuvre des services israéliens eux-mêmes. C’est l’avis, par exemple, d’Abu Sneineh dont le mari a été tué par la bombe : « Des Arabes n’auraient pas pu le tuer, seulement des Israéliens ». C’est aussi l’avis des Palestiniens et des observateurs à qui nous avons parlés.
L’avis qu’il s’agit d’un attentat israélien est aussi celui des militants et militantes israéliennes contre l’occupation. Outre la trop évidente « utilité » de cette bombe pour les projets d’apartheid dans toute la région de Jérusalem, les militants voient une raison plus immédiate liée à l’histoire de Tali Fatiha.
Tali Fatiha est une jeune femme de 28 ans, originaire d’une famille orthodoxe modeste de Tel Aviv, politiquement bien à droite. Elle a découvert la colonisation, l’oppression des Palestiniens, et a décidé d’établir un centre pour enfants dans le camp de réfugiés de Jénine après avoir vu le film « Arna’s children » dans lequel Juliano Mer Khamis parle de sa mère Arna qui avait établi un petit groupe de théâtre pour enfants à Jénine dans les dernières années de sa vie. Tali s’est rendue plusieurs fois à Jénine, et ce qu’elle a vu et entendu a renforcé sa volonté de s’opposer à la colonisation et aux méthodes de l’armée d’occupation. Elle a aussi rencontré Zakaria Zubeidi, dont elle approuve le droit de résister par les armes à l’occupation. Elle a déclaré qu’elle accepterait de lui servir de bouclier humain : « J’ai décidé de dire son histoire et j’ai dit que je suis volontaire pour être un bouclier humain parce qu’un pays qui applique la loi ne peut pas assassiner, et si c’est un pays qui applique la loi, ils ne peuvent pas me tuer pour le tuer … Un jour, j’ai compris que je ne pouvais pas le sauver parce que l’armée ne suit pas la loi et s’ils veulent le tuer ils y parviendront finalement ».
Arrêtée le 24 mai sous prétexte de interdiction militaire, pour tout civil israélien, d’entrer dans les zones « A », puis accusée d’ « assistance à une organisation terroriste », elle a été placée en résidence surveillée puis finalement laissée libre de ses mouvements. Tali a alors relancé son projet de centre pour enfants à l’aide des quelques fonds recueillis publiquement, et est retournée à Jénine. C’en était trop pour le gouvernement et les médias déchaînés pour qui une femme israélienne aidant directement les Palestiniens des territoires occupés est soit une traître, au mieux une idiote (soi-disant séduite par Zakaria Zubeidi pour ce qui est de Tali). Le 9 août, elle a été arrêtée à nouveau, et cette arrestation a fait les gros titres des journaux du 11 août, le jour même de la bombe de Kalandya attribuée immédiatement au même Zubeidi.
Ainsi l’attentat attribué à Zakaria Zubeidi aura pour effet de justifier une chasse à l’homme pour le faire assassiner par l’armée dans les plus brefs délais, conformément à la politique systématique d’élimination des cadres de la résistance qui s’opposent effectivement à l’occupation. Et il servira aussi à justifier une détention de longue durée de Tali Fatiha et un procès pour complicité avec le terrorisme alors que rien ne justifie sa détention actuelle. Il faut s’attendre que Tali Fatiha devienne dans les mois à venir une figure emblématique de ce que toute la droite et l’extrême droite redoutent et détestent : les Israéliens, comme Mordechai Vanunu, et Israéliennes pour qui la loyauté à la vérité et à la justice se situent bien au dessus de l’appartenance tribale.