Photo : Le président américain Joe Biden et le Premier ministre intérimaire israélien Yair Lapid signent un engagement de sécurité à Jérusalem, le 14 juillet 2022.
Se préparant à une éventuelle guerre contre l’Iran, l’administration Biden a officiellement élevé Israël au rang de partenaire militaire. Le changement de statut d’Israël intervient au moment où l’armée américaine se recentre de la " guerre contre le terrorisme " vers un combat potentiel contre les quatre grands - Chine, Russie, Corée du Nord et Iran.
Alors qu’Israël est devenu un partenaire militaire à part entière, les services de renseignement américains mettent également davantage l’accent sur son programme en hébreu pour espionner leur principal allié du Moyen-Orient.
Pour le Pentagone, Israël est le partenaire militaire et de renseignement le plus prisé au Moyen-Orient, avec sa vaste expérience du combat et ses technologies avancées. Avec la fin des combats en Afghanistan et en Irak, et avec la négociation des accords d’Abraham par l’administration Trump, Washington voit une opportunité d’incorporer Israël dans une nouvelle alliance régionale. Les Accords ont établi des relations diplomatiques entre Israël et plusieurs de ses voisins arabes.
"Israël sort du placard, autorisé maintenant à coopérer ouvertement avec l’armée [des Etats-Unis] tout en se voyant refuser l’accès à un autre placard", déclare un haut responsable du renseignement, faisant référence au monde du renseignement américain. Ce responsable, qui a requis l’anonymat pour discuter de la planification militaire, affirme que pour certaines choses, comme le ciblage, les échanges font partie de la nouvelle alliance militaire. Mais là où les intérêts américano-israéliens pourraient diverger, comme le contre-espionnage contre l’espionnage israélien, ou la découverte de secrets sur le propre arsenal nucléaire d’Israël, les États-Unis ont redoublé leurs efforts de collecte.
Le président Biden a signé l’année dernière une modification majeure du Plan de commandement unifié bisannuel (UCP), codifiant le changement de position d’Israël dans la planification militaire américaine. Le plan de commandement unifié est le document de plus haut niveau qui détermine la zone d’opérations de chaque commandement. L’UCP 2021 a transféré Israël au commandement central américain (CENTCOM), le commandement responsable du Moyen-Orient, alors qu’il faisait auparavant partie du commandement européen (EUCOM). Le Commandement européen supervisait les dimensions militaires de la relation spéciale [avec Israël], travaillant avec le pays pour le défendre dans des circonstances très spécifiques contre ses voisins.
Selon le Pentagone, le système précédent de canaux spéciaux en dehors du Moyen-Orient permettait au CENTCOM de construire une coalition parmi les alliés arabes sans avoir la complication d’une relation avec Israël - un ennemi juré pour beaucoup de ces pays. Mais il empêchait Israël de s’associer officiellement avec le CENTCOM et de planifier des mesures d’urgence contre un ennemi commun.
"Le CENTCOM va maintenant travailler à la mise en œuvre de l’engagement du gouvernement américain en faveur d’une approche holistique de la sécurité régionale et de la coopération avec nos partenaires", a déclaré le commandement basé à Tampa après s’être vu confier la responsabilité d’Israël. "L’apaisement des tensions entre Israël et ses voisins arabes à la suite des accords d’Abraham a fourni une occasion stratégique pour les États-Unis d’aligner des partenaires clés contre des menaces communes au Moyen-Orient. Israël est un partenaire stratégique de premier plan pour les États-Unis, et cela ouvrira des possibilités supplémentaires de coopération avec nos partenaires du Commandement central des États-Unis tout en maintenant une forte coopération entre Israël et nos alliés européens", a annoncé le Pentagone.
Des sources gouvernementales affirment à Newsweek que, derrière l’apparente adaptation bureaucratique, cette nouvelle affectation constitue le changement le plus profond pour l’armée américaine depuis la fondation d’Israël. L’espoir, que certains qualifieront de chimérique, est d’ouvrir la voie à une alliance militaire régionale semblable à l’OTAN en Europe, non seulement pour se préparer à une guerre avec l’Iran mais aussi pour contrecarrer les empiètements russes et chinois dans la région.
Renseignements sur Israël
En dépit du nouveau statut et de la coopération, Israël figure toujours en tête des priorités des services de renseignement américains.
Israël est un leader militaire mondial et un expert dans de nombreuses formes de guerre moderne - défense antiaérienne et antimissile, armes à énergie dirigée telles que les lasers, et systèmes sans pilote - que le Pentagone considère comme cruciales dans toute bataille future. Israël possède des armes nucléaires et a des politiques et des projets unilatéraux contre ses adversaires qui intéressent les hauts décideurs de Washington. Dans ses relations avec Israël, Washington a suivi deux voies, parfois opposées, de coopération et de rivalité.
La CIA est chargée des relations avec les services de renseignement israéliens et de la collecte d’informations sur les dirigeants israéliens. Les forces armées américaines sont responsables du renseignement militaire sur tout, de la technologie d’Israël à ses capacités et à ses plans. Au sein de l’armée, la NSA écoute les communications israéliennes, tout en coopérant avec ses homologues israéliens, qui espionnent à leur tour les voisins arabes et l’Iran.
Environ 1 000 linguistes qualifiés en hébreu du gouvernement américain travaillent sur des questions liées à Israël. La plupart de ces linguistes ont des fonctions publiques - diplomates, attachés de défense et agents de liaisons. Mais environ un tiers d’entre eux travaillent dans la collecte et l’analyse de renseignements spécifiquement liés à l’espionnage d’Israël. La NSA - responsable du renseignement électromagnétique - compte actuellement quelque 250 linguistes qualifiés en hébreu qui traduisent les dépêches sécurisées du gouvernement israélien, les communications militaires et les échanges des téléphones cellulaires particulièrement ciblés. Un nombre important d’entre eux surveille et analyse également la presse israélienne, les médias sociaux et d’autres communications de source ouverte en hébreu. (Des centaines d’autres linguistes qualifiés en hébreu travaillent sous contrat, à la fois à la NSA et dans d’autres agences de renseignement, pour aider les employés du gouvernement et les membres des services armés).
D’ici 2025, selon des sources du renseignement, il est prévu que le nombre de linguistes qualifiés en hébreu dans l’armée double. Ce nombre augmente, selon les documents de renseignement et les sources gouvernementales, en partie pour servir la coopération accrue [entre Israël et les USA].
Des sources gouvernementales affirment à Newsweek que, derrière l’apparente adaptation bureaucratique, cette nouvelle affectation constitue le changement le plus profond pour l’armée américaine depuis la fondation d’Israël. L’espoir, que d’aucuns qualifieront de chimérique, est d’ouvrir la voie à un programme régional d’aide à la défense. La formation aux renseignements en hébreu est dispensée au Defense Language Institute de Monterey, en Californie, où les futurs linguistes apprennent également l’histoire des Juifs et d’Israël, les études culturelles et l’analyse de l’antisémitisme historique et moderne. De là, les personnes chargées des écoutes se rendent à Fort Gordon, à Augusta, en Géorgie, où la NSA exploite son imposant centre d’écoute et d’analyse du Moyen-Orient pour soutenir l’armée. (Les renseignements politiques les plus sensibles sont traités à Ft. Meade, dans le Maryland). La plupart des linguistes qualifiés en hébreu travaillant dans le domaine du renseignement sont affectés à ces deux bases, ainsi qu’aux plates-formes de collecte basées sur les navires et les avions.
Israël est un pays difficile à espionner, non seulement en raison de son expertise technique et de l’accent qu’il met systématiquement sur la "sécurité opérationnelle" contre ses voisins et autres adversaires. Cela signifie qu’il pratique une bonne discipline en matière de communication et de cybersécurité et qu’il utilise une cryptographie sophistiquée pour coder ses messages. Une grande partie de l’effort de collecte de renseignements des États-Unis est donc axée sur le micro-ciblage des individus (c’est-à-dire leurs téléphones portables, leurs ordinateurs et autres appareils) où les renseignements peuvent être glanés à partir d’appareils plus facilement exploitables.
"Plus Israël est un adversaire militaire crédible de l’Iran, la raison même de ce remaniement, plus il est suspect des capacités que nous contribuons à créer et à améliorer", explique le haut responsable du renseignement qui a travaillé sur cette relation. C’est un cas de "gardez vos ennemis à proximité et vos amis encore plus ", dit le fonctionnaire.
(Israël a toujours nié avoir espionné les États-Unis depuis que les relations ont été envenimées par l’arrestation en 1985 de Jonathan Pollard, qui a plaidé coupable d’avoir vendu des secrets militaires à Israël, mais les allégations de différentes formes d’espionnage se sont poursuivies au fil des ans).
Newsweek a contacté les Forces de défense israéliennes pour un commentaire mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.
Se faire des amis
Seul l’aspect amical des relations américano-israéliennes était visible lorsque le général Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées, a reçu son homologue, le général Herzi Halevi, futur chef d’état-major israélien, au Pentagone le 5 décembre.
Selon le compte rendu du ministère de la Défense, les deux hommes ont discuté, entre autres, de la "coordination de la défense contre les menaces posées par l’Iran". La réunion entre les deux chefs militaires a mis fin à un tourbillon d’activités militaires conjointes menées au cours de l’année écoulée depuis que le président Biden a approuvé le nouveau statut d’Israël, notamment des échanges similaires entre des commandants de haut rang, des exercices conjoints et des réunions bilatérales portant sur des sujets allant de la cybersécurité à la défense antimissile.
La réunion de décembre faisait suite à une visite à Washington du lieutenant-général Aviv Kohavi, actuel chef d’état-major général des forces de défense israéliennes, où il a rencontré le Conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan. Selon le compte-rendu de cette réunion établi par la Maison Blanche, leurs discussions "ont souligné leur détermination commune à relever les défis sécuritaires qui touchent le Moyen-Orient, notamment les menaces posées par l’Iran et ses alliés."
Le commandant américain du CENTCOM, le général Michael ("Erik") Kurilla, s’est ensuite rendu en Israël pour rencontrer Kohavi, effectuant ainsi sa quatrième visite en seulement sept mois depuis qu’il est devenu commandant du CENTCOM. Qualifiant l’alliance militaire de "très solide", Kurilla a déclaré que le Moyen-Orient "est au centre de la compétition stratégique de l’Amérique avec la Russie et la Chine". Mais le véritable objectif du CENTCOM est l’Iran.
À propos de la visite de Kurilla, Kohavi a déclaré que les deux pays "développent des capacités militaires conjointes à un rythme accéléré" contre Téhéran. Selon le Times of Israel, l’échange entre militaires a inclus une discussion sur "l’utilisation conjointe de la force" contre Téhéran.
"Notre re engagement mutuel est démontré sur une base hebdomadaire. Nous opérons ensemble sur tous les fronts pour recueillir des renseignements, neutraliser les menaces et nous préparer à divers scénarios dans une ou plusieurs arènes", aurait déclaré M. Kohavi.
Dans le cadre de sa visite, M. Kurilla s’est rendu à la base aérienne de Nevatim, qui accueille la nouvelle escadre israélienne d’avions de combat F-35i de fabrication américaine, les plus avancés de l’arsenal américain, que les États-Unis ont vendus à Israël. "Israël maintient une capacité de puissance aérienne remarquablement impressionnante", a déclaré Kurilla à Nevatim.
Quelques jours après la visite de M. Kurilla, des avions de chasse de l’armée de l’air américaine et d’Israël se sont envolés au-dessus de la Méditerranée orientale pour pratiquer des opérations combinées. L’ensemble de l’armée de l’air comprenait des ravitailleurs aériens KC-10 "Extender", des avions qui peuvent étendre la portée des chasseurs pour des frappes à longue distance. (En mars 2020, dans le cadre de "vente militaire à l’étranger" le département d’État a approuvé une éventuelle vente à Israël d’un maximum de huit avions de ravitaillement en vol KC-46 pour donner au pays sa propre capacité de frappe à longue portée).
En plus des nombreuses visites et échanges effectués par d’autres commandants du CENTCOM, d’autres composantes de l’armée américaine ont également accéléré les visites et la formation. L’armée a augmenté la coopération en matière de défense aérienne. Cela comprend un exercice Juniper Cobra actualisé et un nouveau groupe de travail combiné sur la défense aérienne. La Garde nationale du Missouri a conclu un partenariat de formation avec Israël. Les marines américaine et israélienne ont augmenté leur niveau d’entraînement conjoint et de visites portuaires. En janvier, l’Agence de défense antimissile du Pentagone et son homologue israélien ont également effectué un essai en vol de l’intercepteur de missile Arrow 3 développé conjointement. L’exercice militaire Cyber Dome VIi a également eu lieu entre les cyber-commandements des deux nations au début du mois.
La guerre en Ukraine, en particulier, a concentré l’attention de l’armée américaine sur la défense antimissile et les opérations anti-drones, deux domaines d’expertise de l’armée israélienne. Cet été, par exemple, les marines américaine et israélienne ont mené l’exercice bilatéral appelé Digital Shield pour tester la future guerre sans pilote "en essaim" et à intelligence artificielle.
Kurilla, anciennement commandant du XVIIIe corps aéroporté, est un partisan de l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle dans la guerre. "Nous pouvons prendre de vastes morceaux de terrain et identifier rapidement des centaines de cibles, les classer en fonction d’une liste de cibles hautement prioritaires qui détermine celles que nous devons frapper avec les ressources dont nous disposons", a déclaré Kurilla en mai. "... Cela se fait en quelques secondes alors qu’il faudrait normalement des heures, voire des jours, pour pouvoir développer ces cibles. Et cela se fait en temps réel à la périphérie de nos postes de commandement, et non pas dans un environnement informatique de garnison."
Dans le cadre de son nouveau statut, Israël a également participé à un certain nombre d’exercices multinationaux, dont l’exercice Rim of the Pacific 22 mené par les Américains en Asie et Global Sentinel 22, un jeu de guerre axé sur la guerre spatiale. Aucun de ces deux exercices n’incluait d’autres nations du Moyen-Orient, bien que des sources militaires affirment que de tels exercices communs incluront bientôt Israël et des États arabes comme participants.
Bahreïn, l’un des pays arabes ayant normalisé ses relations avec Israël, a autorisé des délégations gouvernementales et militaires israéliennes à visiter et à travailler avec la Cinquième flotte de la marine américaine, qui y est basée. En décembre dernier, une délégation de sécurité nationale du gouvernement israélien est arrivée à Bahreïn pour rencontrer le quartier général de la Cinquième Flotte, une visite sans précédent. En mars, le commandant de la Cinquième Flotte, le vice-amiral Brad Cooper, a également accueilli le lieutenant-général Kohavi à son quartier général.
Israël comme partenaire
Israël a toujours été un pays qui laisse perplexe l’armée américaine : dans les plans de guerre, il s’agissait d’un pays à défendre en cas de grand "si" mais jamais reconnu comme tel. En conséquence, Israël était traité comme un pays spécial, différent et secret, affecté à un commandement situé en dehors du Moyen-Orient. Après la guerre israélo-arabe de 1973, l’embargo pétrolier qui a suivi, l’invasion soviétique de l’Afghanistan et la révolution iranienne, l’idée de créer un commandement spécial pour la région s’est concrétisée par la création d’une force opérationnelle interarmées à déploiement rapide. Pour aider à défendre les intérêts américains dans la région, le nouveau CENTCOM, basé en Floride, a été mis en place avec l’approbation du président Ronald Reagan en décembre 1982, mais en raison de la complexité de la région, l’EUCOM a conservé la responsabilité des "États de confrontation" que sont Israël, la Syrie et le Liban, ainsi que le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye.
Cet arrangement est resté en place jusqu’au 11 septembre et au début de la guerre contre le terrorisme, lorsque le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a suggéré d’ajouter Israël, la Syrie et le Liban au portefeuille du CENTCOM. Tout le monde, à l’exception de l’armée de l’air, a rejeté l’idée, arguant que le changement pourrait influencer le "processus de paix" et que le CENTCOM et Israël avaient construit une solide relation de travail. Passant outre les généraux et les amiraux, Rumsfeld a trouvé un moyen de contourner le problème en obtenant du président George W. Bush qu’il accepte de transférer la Syrie et le Liban au CENTCOM. Seul Israël resterait au sein du commandement européen.
Avec la fin de la guerre contre le terrorisme, du moins formellement, les chefs d’état-major interarmées se penchent à nouveau sur la question d’Israël. Un commandement africain avait été créé et était désormais responsable de l’Afrique du Nord, laissant Israël comme seule anomalie. Qui plus est, le CENTCOM avait besoin de pertinence dans le dans le monde post-terroriste de la planification militaire.
Les discussions avaient déjà commencé lorsque le président Biden a pris ses fonctions. Des sources militaires s’accordent à dire que les accords d’Abraham ont facilité le changement, même si l’objectif principal derrière le renouvellement de l’alliance militaire était axé sur l’Iran.
"Israël apporte des capacités absolument uniques en termes de composante militaire qu’il pense pouvoir partager avec ses partenaires arabes dans la région", a déclaré le général Kurilla en mai lors de son audition devant le Sénat pour devenir le prochain commandant du CENTCOM. Le général Kurilla envisage une coalition militaire plus étroite entre Israël et les États arabes face à l’Iran. Si lui et d’autres dirigeants du Pentagone parviennent à atteindre cet objectif, une alliance militaire à l’échelle de la région sera mise en place au Moyen-Orient.
"Enfin, l’armée américaine récolte ouvertement les avantages des prouesses militaires et de la technologie d’Israël", déclare un planificateur du Pentagone qui a été impliqué dans les changements avec Israël. "Ouvertement... c’est le mot clé". Les États-Unis déploient déjà des unités de soutien logistique, des radars et une unité de défense aérienne en Israël, dit le planificateur, à qui l’on a accordé l’anonymat pour discuter de questions classifiées. "Ensuite, il y aura davantage de visites et d’entraînements conjoints et finalement des bases militaires, puis une alliance militaire de type OTAN. Tout cela au nom de l’Iran et de la Russie et de la transition vers une guerre majeure. Mais les voisins d’Israël suivront-ils le mouvement ? Toute la région s’unifiera-t-elle pour se préparer à la guerre contre l’Iran ? C’est la grande question."
Traduction : AFPS