Jérusalem a été au centre des mobilisations des Palestinien(ne)s ces dernières semaines. Au cœur d’une campagne de transfert forcé de la population palestinienne de la ville et d’une réécriture de la mémoire et de l’histoire, ce sont les Palestinien(ne)s vivant à Jérusalem-Est, en Cisjordanie, en Israël, à Gaza, au Liban, en Jordanie et dans le monde entier qui se sont organisés pour dénoncer la politique israélienne d’apartheid, d’occupation et de colonisation de la Palestine. Dans cet article, il s’agira de revenir sur les récents événements à Jérusalem afin de mieux interroger la place du numérique dans la résistance palestinienne et les questions qui découlent de l’usage de ces nouveaux outils.
La dépalestinisation de Jérusalem : objectif des autorités israéliennes.
Restrictions d’accès à la porte de Damas, interdiction de prier sur l’Esplanade des Mosquées pendant le ramadan, violences sur les Palestinien(ne)s de la part de colons qui crient « Mort aux Arabes », assaut d’Al-Aqsa par l’armée israélienne : cette violence, subie de façon quotidienne par les Palestiniens à Jérusalem-Est n’est pas nouvelle. Elle n’est pas non plus l’ex- pression du « droit de se défendre d’Israël », affirmé maintes et maintes fois sur les plateaux télé afin de nier la réalité de l’occupation. Elle s’inscrit dans un régime d’apartheid et dans un processus de colonisation, d’annexion, de transfert forcé de la population palestinienne de Jérusalem-Est. Elle a pour objectif de dépalestiniser la ville. Elle s’inscrit dans la continuité des schémas directeurs de 2000 et 2020 qui visent à modifier la composition démographique de Jérusalem (70 % de Juifs israéliens et 30 % de Palestiniens) et à effacer le patrimoine culturel, historique et religieux de la ville.
Plusieurs moyens sont employés par les autorités d’occupation.
Tout d’abord, les expulsions, les démolitions, la limitation du droit de construire. Les quartiers de Batan Al-Hawa à Silwan et de Sheikh Jarrah sont particulièrement visés par les organisations de colons afin d’expulser de force la population palestinienne de leurs foyers et de s’y installer à leur place. Dans le quartier d’Al-Bustan, les autorités d’occupation ont délivré 20 ordres de démolition à l’encontre de familles palestiniennes, impactant directement 1500 personnes. Ils ont l’obligation de détruire leur maison dans les 21 jours ou ces familles devront payer pour leur démolition.
Ensuite, le régime d’apartheid israélien dans lequel les Palestiniens dépendant des mêmes administrations que les Israéliens ne leur confère pas les mêmes droits. En témoigne l’expulsion forcée des Palestiniens jérusalémites : alors que les colons peuvent se prévaloir d’un droit de propriété rétroactif sur les terrains (et non sur les habitations comme ils le font), le droit au retour des Palestinien(ne)s tel que rappelé par les résolutions 194 et 237 du Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas respecté par Israël.
La population palestinienne de Jérusalem-Est vit toujours plus de violences. Violences administratives, juridiques, économiques. Violations quotidiennes des droits fondamentaux et du droit international par Israël. Violences quotidiennes de l’armée et des colons. Violence de l’occupation, de la colonisation et de l’apartheid. Face à ces violences, les Palestinien(ne)s se sont organisés collectivement dans l’espace public, dans les médias et sur les réseaux sociaux de façon à rendre visibles et à nommer ces violences.
La résistance par les réseaux sociaux
L’arrestation de Muna et Mohammed el- Kurd, habitants du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupée a été symptomatique de l’enjeu que représentent les réseaux sociaux dans les mouvements de résistance.
Ils constituent une arme redoutable dans une situation d’oppression : ils sont un outil de dé- nonciation, un moyen de preuve, un espace de réappropriation de la parole, et à ce titre, les mots sont importants. La couverture médiatique de l’occupation travestit souvent la réalité. Parler de « conflits », de « heurts », « d’accrochages », de « différends communautaires » entre « Arabes » et « Israéliens » nie la réalité de la colonisation et la violation permanente du droit international par Israël. Cette utilisation erronée voire tendancieuse du vocabulaire contribue à nourrir et diffuser le narratif israélien visant à expliquer qu’il ne s’agit là que « de légitime défense ».
Les réseaux sociaux se sont également avérés indispensables quand de nombreux articles de journalistes n’ont eu que la police israélienne comme seule source d’information locale. Ainsi, ces articles ont participé à la désinformation dans la me- sure où ils ne qualifient pas l’apartheid et la colonisation de l’État israélien et évoquent de façon équivalente les violences des colons et de l’armée envers les Palestinien(ne)s et la résistance palestinienne.
Si la diffusion des informations par les personnes principalement concernées par la violence coloniale a été fondamentale, celle-ci a fait l’objet d’une censure.
La censure et les questions inhérentes à l’utilisation des réseaux sociaux
Dans le contexte du transfert forcé de la population palestinienne par Israël, les réseaux sociaux sont d’autant plus importants qu’ils sont craints par les autorités d’occupation. Du 6 au 19 mai 2021, le centre arabe pour l’avancée des réseaux sociaux 7amleh a répertorié plus de 500 cas de censure de publications de Palestinien(ne)s sur les réseaux sociaux. Cette censure est intervenue de façon significative après la décision de la Cour suprême israélienne d’expulser de force les familles palestiniennes de Sheikh Jarrah, à la suite de l’attaque par l’armée israélienne d’Al-Aqsa et au moment des bombardements de Gaza (1).
Dans un contexte de résistance à une oppression politique, souvent du fait d’un État et de ses administrations comme c’est le cas en Palestine, les réseaux sociaux permettent de diffuser l’information et de mobiliser. Ils amènent toutefois à un paradoxe : alors que les militant(e)s utilisent des réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, Twitter ou encore Tiktok pour s’adresser au plus grand nombre, ce sont ces mêmes réseaux qui les censurent et les mettent en danger. On a d’ailleurs pu l’observer avec les comptes Instagram et Facebook de Muna et Mohammed el-Kurd ou encore le compte Instagram d’Adnan Barq. Ils ont en effet vu une baisse d’audience, une baisse de visibilité sur leurs publications ou encore leurs comptes suspendus ou supprimés par Twitter, Instagram et Facebook. Marwa Fatafta a rappelé, en réponse au porte-parole de Facebook, que cette censure n’était pas la conséquence d’un problème technique : « Il ne s’agit pas d’un incident ponctuel, c’est la poursuite d’une censure et d’une discrimination systématiques plus larges visant principalement les personnes marginalisées et opprimées, souvent à la demande de régimes oppressifs ».
Ceci n’est pas une grande surprise dans la mesure où au sein du groupe de surveillance de Facebook (qui est également propriétaire d’Instagram), siège une figure de l’extrême droite israélienne. Emi Palmor, ancienne directrice générale du ministère israélien de la justice, avait mis en place en 2016 un mécanisme de surveillance et de censure des Palestiniens sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Facebook, réseau social particulièrement utilisé par les Palestinien(ne)s.
Si les réseaux sociaux peuvent être un moyen pour l’État de contrôler la population afin de perpétuer un système de domination, ils peuvent être un outil de libération, de mobilisation comme les militant(e)s palestinien(ne)s nous l’ont montré. Le paradoxe soulevé par la situation actuelle démontre que les militant(e)s palestinien(ne)s sont tributaires de ces réseaux pour mobiliser, et que ceux-ci les desservent en les censurant et en renforçant les moyens de surveillance des autorités israéliennes. Reprendre le contrôle de nos moyens de communication, c’est reprendre le pouvoir.
MD
À noter qu’il y a plusieurs affaires en cours, des reports et de nouvelles décisions contestées…
© Ahmad Qaddura