La délégation a présenté la Campagne contre le Mur lancée en novembre 2003 et a informé M. Debré des 200 000 signatures de citoyens et résidents français ainsi que des 300 signatures de parlementaires français et européens demandant à la France de tout mettre en œuvre pour que l’Etat israélien se conforme à l’avis de la Cour internationale de Justice du 09 juillet 2004 et à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 20 juillet 2004.
La délégation a précisé les différents aspects de cette campagne, sa nature internationale d’abord, à partir de l’initiative palestinienne, soutenue par une « coalition israélienne contre le Mur ». Concernant la France, la délégation, s’appuyant sur plusieurs échantillons significatifs, a pu démontrer l’impact réel et potentiel de la pétition. Après avoir pris connaissance du nombre de signatures recueillies dans une petite ville (1400 à Romans), dans une ville moyenne (plus de 5000 à Nantes), du vote unanime du Conseil général d’Ille-et-Vilaine et du Conseil général du Limousin demandant au gouvernement français de respecter l’avis de la CIJ, le président de l’Assemblée nationale a admis sans réticence la représentativité nationale de la pétition. Il nous a alors fait clairement part de son accord sur le fond avec cette pétition. Par ailleurs, il savait parfaitement que 71 députés et sénateurs avaient déjà signé la pétition avant même l’avis de la CIJ et que des députés issus des quatre groupes de l’Assemblée nationale avaient posé des questions écrites relatives au Mur au ministre des Affaires étrangères.
Une première étape institutionnelle
Cette démarche soigneusement préparée en amont par la délégation (voir en encadré les questions posées à J-L Debré), visait plusieurs objectifs :
– Marquer un temps public, solennel, de remise de la pétition contre le Mur centralisée nationalement par le MRAP. Du même coup, ceux et celles qui ont signé cette pétition peuvent vérifier le débouché institutionnel et politique de leur signature et de leurs exigences.
– Etre reçu officiellement par le président de l’Assemblée nationale c’est faire reconnaître par la plus haute instance de la représentation parlementaire la légitimité de cette pétition comme forme d’expression citoyenne. Du même coup, le mouvement de solidarité voit reconnaître officiellement son action et se voit conforté pour continuer et élargir son travail.
Sur le plan politique, trois objectifs avaient été définis :
– obtenir un débat au parlement pour que l’Assemblée se prononce sur - et de préférence contre - la construction du Mur et sur - et de préférence pour - l’application des recommandations de la CIJ ;
– obtenir que le parlement se prononce sur la nécessité de pressions-sanctions politiques et économiques contre le pouvoir israélien,
– obtenir la promesse de l’envoi en Palestine d’une mission parlementaire représentative de tous les groupes sous la conduite du président lui-même pour établir des liens avec le Conseil législatif palestinien.
L’idée générale est de porter le débat de la rue - du mouvement de solidarité - au cœur des institutions politiques et du système de décision. Du même coup l’efficacité et l’utilité de la pratique de la pétition sont démontrées.
Des premiers résultats appréciables
Il faut préciser que la rencontre a eu lieu avec le président de l’assemblée nationale comme instance de représentation et non avec le gouvernement comme instance de pouvoir. Par conséquent, il ne fallait pas attendre de lui qu’il prenne la moindre position ou le moindre engagement sur la politique du gouvernement français.
Jean-Louis Debré a non seulement explicitement reconnu la légitimité de la pétition comme forme d’expression citoyenne, mais il en a reconnu aussi et surtout la légitimité sur le fond : sa condamnation du Mur est sans ambiguïté. Ce qui était inattendu car c’était la première fois qu’une haute autorité de l’Etat se prononçait publiquement sur ce sujet. Il a reconnu par ailleurs la possibilité - en nous précisant la démarche à suivre - et même la légitimité d’un débat de l’assemblée sur ce problème, débat qui serait conclu non pas par le ministère des Affaires étrangères mais par le Premier ministre, et qui obligerait le gouvernement à prendre position. Il a également reconnu la possibilité et l’intérêt politique de l’envoi en Palestine d’une mission parlementaire représentative de l’ensemble du parlement, ce qui aurait une signification plus grande qu’une mission parlementaire d’une commission.
Sur les questions concernant la nécessité pour le pouvoir français d’intervenir aujourd’hui pour faire pression sur le gouvernement israélien, Jean-Louis Debré a précisé qu’à la demande des Palestiniens, aujourd’hui, et probablement pendant une période qu’il estime assez courte, la priorité était plutôt d’encourager les deux parties à entamer un processus politique. Mais il n’a pas exclu que, dans un temps assez proche, l’Etat français intervienne plus activement, en liaison ou non avec l’UE, sur le pouvoir israélien. Quelques semaines après a eu lieu à la commission des Affaires étrangères du Sénat un débat qui, se référant à la pétition remise à Jean-Louis Debré, a débouché sur la demande d’un débat sur la question du Mur au Sénat.
Premières réflexions sur une stratégie institutionnelle du mouvement de solidarité
Il faut rappeler ici brièvement le travail considérable de nombreux groupes locaux pour cette pétition ainsi que celui de la Plateforme des ONG (élaboration et diffusion des plaquettes) et du CNP (élaboration et sortie du « 4 pages »). Certains ont tendance à oublier, ou même à mépriser, ce travail parfois fastidieux, avec ses moments d’incertitude. Mais il est une condition d’une certaine efficacité politique du travail institutionnel pour espérer peser sur les pouvoirs de décision.
Bien entendu la question du débouché politique concret de la démarche n’est pas indépendante de la conjoncture politique et des nouveaux processus internationaux en cours depuis l’époque du lancement de la campagne. En France, le problème est de savoir si les autorités françaises, pour se faire accepter par Israël dans une position de médiation d’une éventuelle négociation, sont prêtes à abandonner une partie de leurs exigences précédentes concernant la nécessité pour Israël de respecter le droit. Il semble que cette question fasse débat au sein du gouvernement et de l’UMP. Ce qui est un élément important sur lequel nous devons pouvoir peser. Pour le mouvement de solidarité, la tâche principale est de faire connaître le plus directement possible aux autorités françaises la volonté de l’opinion publique d’exercer une pression forte sur le pouvoir israélien dont tout montre qu’il n’envisage pas de s’engager sur la voie d’une négociation politique.
Il ne s’agit pas essentiellement de dénoncer de manière plus ou moins systématique la politique française (même s’il faut le faire parfois face aux décideurs politiques dans un cadre adéquat) mais de créer d’abord les conditions pour faire progresser le monde des décideurs politiques dans le sens que nous souhaitons pour franchir une nouvelle étape. Le but est d’exercer une pression pour renforcer la prise en compte de nos objectifs politiques dans les lieux de décision.
Aujourd’hui, le résultat positif de cette délégation doit permettre au mouvement de solidarité de franchir une nouvelle étape, en particulier auprès des différents élus, locaux et nationaux, et même européens. Il doit donc assurer une nouvelle avancée de la force de l’opinion publique qui, en dernière analyse, joue un rôle décisif. C’est ce qu’a exprimé à la conférence de presse le président de l’Association des Palestiniens de France (APF), Mahmoud Karmal, pour qui le résultat est « formidable » et, a-t-il ajouté, « inespéré ».
Bernard Ravenel