Construction de logements dans la colonie israélienne de Shilo, en Cisjordanie
Dans la colonie israélienne de Mishor Adumim, en Cisjordanie, les usines se succèdent le long d’une grande route principale. A l’intérieur des hangars, derrière les gigantesques machines à repasser d’un pressing, les fours d’une pâtisserie industrielle ou les massicots d’une fabrique de carton, les ouvriers sont tous palestiniens.
" Les Israéliens font moins appel aux Thaïlandais et aux Philippins, et de plus en plus appel à nous parce qu’ils ont besoin de main-d’oeuvre qualifiée ", lance un des jeunes employés. Le Bureau central palestinien des statistiques confirme la tendance : 15 000 Palestiniens travaillaient légalement dans une colonie au deuxième trimestre 2012, contre 13 000 au premier trimestre. Sans compter les 8 000 ouvriers sans permis.
Pourtant, en 2010, l’Autorité palestinienne, au pouvoir en Cisjordanie, a interdit le travail dans les implantations israéliennes. " Nous avons lancé une grande campagne médiatique et politique sur ce thème, tout en essayant de créer de nouveaux emplois pour ces ouvriers des colonies ", explique le ministre du travail du gouvernement palestinien, Ahmed Majdalani. Mais, après avoir baissé, ces effectifs repartent à la hausse. La loi prévoit théoriquement des sanctions allant de l’amende à la peine de prison pour les contrevenants, mais le ministre reconnaît qu’elles n’ont " jamais été appliquées ". L’Autorité palestinienne estime qu’elle n’a tout simplement pas les moyens de faire respecter cette loi, les colonies étant installées dans des zones dont elle n’a pas le contrôle.
A Mishor Adumim, les ouvriers n’ont jamais entendu parler de cette interdiction, qui provoque quelques railleries. Hassan, 21 ans, découpe des cartons depuis huit ans. Son père l’a fait venir à l’usine lorsqu’il avait 13 ans. " Je me dis que je suis en train de construire l’Etat ennemi, j’y pense souvent dans ma tête, mais où est l’Etat palestinien pour que je puisse le construire ?, s’agace-t-il. Je suis ici avant tout pour une question d’argent, on est deux fois mieux payé qu’à Ramallah. Les chefs religieux disent que ce n’est pas bien de travailler dans les colonies, mais que le mufti me donne la différence de salaire s’il n’est pas d’accord. "
Le gouvernement palestinien ne peut pas rivaliser. " En période de croissance économique, on peut essayer d’augmenter les salaires, avance le ministre du travail. Actuellement les caisses sont vides, les promotions de fonctionnaires sont suspendues ; dans le secteur privé, le chômage augmente et les salaires baissent. Les manoeuvres agricoles sans travail sont contraints d’aller frapper à la porte des colonies, et les ouvriers spécialisés compétents vont y chercher de meilleurs salaires. "
Ahmad Mahmoud habite le village palestinien d’Hizme, derrière un check-point, à la sortie de Jérusalem. " Dès qu’on a l’occasion de travailler dans les colonies, on y va. Un copain travaillait à Mishor Adumim et m’a prévenu qu’un contremaître avait besoin de quelqu’un, j’y suis entré illégalement pour le rencontrer et il m’a aussitôt embauché, raconte Ahmad. J’ai payé 500 shekels - 99 euros - pour avoir une autorisation, ça a pris environ une semaine. Dans mon village, entouré de colonies, on est au moins 500 personnes à travailler légalement pour les colons. " Ce grand jeune homme de 21 ans, en survêtement et polo, est en repos aujourd’hui. Un contremaître israélien, de la colonie d’Adam, passe en voiture et le salue d’un coup de klaxon.
Ahmad travaille de temps en temps pour lui et il l’apprécie. " Ici, ce n’est pas Naplouse, les colons n’agressent pas les Palestiniens. On travaille chez eux, ils achètent le gaz chez nous ou viennent faire laver leurs voitures. Et nous, on va faire nos courses dans leur supermarché Rami Levy parce que les prix sont moins chers qu’en Cisjordanie. "
Lorsqu’il était mineur, Ahmad a passé trois années en prison pour sa participation à l’Intifada. Il a tourné la page. " Aujourd’hui, un Palestinien se résume à ses besoins primaires : être nourri, nourrir ses enfants, avoir un toit. C’est l’essentiel pour nous, et peu importe pour qui on travaille. Je ne peux pas aller manifester le ventre vide. " Lorsqu’il était fonctionnaire de l’Autorité palestinienne, le jeune homme gagnait 1 400 shekels par mois. Fabriquer du béton à Mishor Adumim lui en rapporte 5 000. " Mais, pour les Israéliens, je ne coûte pas cher, et en plus je parle hébreu, contrairement à la main-d’oeuvre étrangère. A cause de mon passé, j’ai un dossier noir pour Israël, mais les tensions sont apaisées, l’Intifada est loin, je n’ai reçu ni Etat ni territoire, et ils voient bien que je ne suis plus dangereux. "
Ahmad a donc reçu sans difficulté son permis légal de travailler dans une colonie, théoriquement indispensable pour passer la grille d’entrée des implantations juives de Cisjordanie. Ce sésame, c’est aux employeurs ou contremaîtres de le demander au coordinateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires (Cogat). " On va voir les militaires, puis les services secrets, et après enquête sur les travailleurs palestiniens, ils nous donnent l’autorisation, note ce jeune patron juif orthodoxe, directeur d’une maison d’édition de livres sacrés à Mishor Adumim. Mais après, on a l’obligation de garder un oeil sur eux et de faire un rapport si on soupçonne des risques pour la sécurité d’Israël. "
Pour l’Etat hébreu, accorder aux Palestiniens davantage de permis de travail dans les colonies, mais aussi en Israël, n’est pas fortuit. " Nous constatons les difficultés de la population palestinienne et nous essayons de coopérer, c’est dans notre intérêt mutuel car la stabilité économique conduit à plus de sécurité : il vaut mieux travailler que de traîner dans la rue, justifie Guy Inbar, le porte-parole du Cogat. Par ailleurs, l’avantage des travailleurs palestiniens par rapport aux Philippins ou aux manoeuvres étrangers, c’est qu’ils rentrent dormir chez eux le soir, ils ne restent pas en Israël. "
Ces jours-ci, les ouvriers palestiniens participent malgré eux à l’actualité. Ils construisent de nouveaux logements pour les colons de Migron, une implantation sauvage qui doit être évacuée par la police et l’armée israélienne d’ici au 4 septembre.