Parce qu’il a été de toutes les négociations israélo-palestiniennes depuis vingt ans, Yasser Abed Rabbo parle d’expérience : " Au cours des sept processus de négociations que nous avons connus, déclare au Monde le secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), jamais les Israéliens n’ont adopté une position aussi intransigeante. " Sous la pression américaine, les discussions ont repris fin juillet sur la base d’un accord de principe : les deux premiers sujets sur la table seront les frontières du futur Etat palestinien et les garanties de sécurité réclamées par l’Etat juif.
Israéliens et Palestiniens se sont rencontrés à sept reprises, sans qu’aucune avancée ne soit perceptible : les premiers veulent commencer à parler de la sécurité, les seconds des frontières. " Les Israéliens nous disent : "Pas de définition des frontières tant que vous n’aurez pas accepté toutes nos demandes de sécurité, celles-ci devant déterminer le tracé des frontières" ! "
Et le secrétaire général de l’OLP d’énumérer les conditions posées par les négociateurs israéliens : " Maintien d’une présence militaire dans la vallée du Jourdain, maintien des blocs de colonies, du mur de séparation, présence militaire sur le sommet des montagnes, Jérusalem est exclue de la négociation et l’espace aérien sera sous notre contrôle... Je n’invente rien, c’est ce qu’ils nous disent ! " Yasser Abed Rabbo est l’un des premiers responsables palestiniens à s’exprimer sur le déroulement des négociations qui, à la demande de Washington, doivent rester secrètes.
Il voit trois raisons au durcissement de la position du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, reflété dans son discours à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv, le 6 octobre : " La première est que Nétanyahou ne croit pas à la solution de deux Etats. Cela ne nous étonne pas, il est le véritable faucon en Israël et a toujours été opposé aux accords d’Oslo ; la deuxième, c’est que l’extrême droite israélienne constitue son principal allié ; la troisième, c’est qu’il pense que, dans un an, l’administration Obama sera sur le départ et aura moins les mains libres. Alors il cherche à gagner du temps. " Selon M. Abed Rabbo, il pourrait y avoir une autre raison : " Nétanyahou envoie le message suivant à Obama : "Aussi longtemps que vous n’acceptez pas ma position sur l’Iran - Israël est hostile à tout assouplissement des sanctions dans le cadre des négociations sur le programme nucléaire de Téhéran - , je vais affaiblir le processus de paix israélo-palestinien."."
L’ex-ministre de Yasser Arafat, aujourd’hui conseiller du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas explique que les garanties demandées par Israël sont inacceptables : " Si nous leur donnons une seule colline, ils vont y installer dix soldats, puis réclameront une route pour y mener, une zone de sécurité pour protéger cette route, et ainsi de suite... Au bout du compte, nous finirons par une autre occupation, sauf que cette fois-ci, nous aurons mis notre signature ! " Yasser Abed Rabbo est convaincu qu’Israël parle de sécurité pour justifier l’annexion de territoires. Il en veut pour preuve l’exigence israélienne de faire de la vallée du Jourdain une zone-tampon : " Allez dans la vallée du Jourdain ! Vous n’y verrez pas de soldat, mais des sociétés israéliennes qui exploitent la terre et font d’énormes profits. Il ne s’agit pas de sécurité, mais de business et de colonisation. "
Les " garanties " demandées par Israël, insiste-t-il, visent à priver les Palestiniens des terres agricoles les plus fertiles, accaparer celles dont le sous-sol contient des nappes aquifères et celles qui servent à relier les différentes parties de la Cisjordanie. " Au bout du compte, résume-t-il, nous finirons avec des poches de territoire restant sous le contrôle d’Israël. "
A l’université Bar-Ilan, M. Nétanyahou a durci le ton, expliquant que la " clé la plus importante pour résoudre le conflit " est la reconnaissance par les Palestiniens qu’Israël est " l’Etat-nation du peuple juif ". Cette exigence est irrecevable, souligne Yasser Abed Rabbo, parce qu’elle revient " à demander aux Palestiniens de devenir sionistes. Comme condition de la paix, nous devrions reconnaître la nature d’un Etat qui nous occupe ? Un million et demi de Palestiniens vivent en Israël avec la citoyenneté israélienne. Nous savons par expérience qu’on ne peut résoudre un conflit aussi compliqué sur une base idéologique ou religieuse. "
Il n’y a qu’une seule méthode pour avancer, note-t-il : discuter tout de suite du tracé des frontières et cesser toutes les activités de colonisation : " Sinon, cela veut dire que nous discutons du sort du gâteau - l’Etat palestinien - pendant que l’une des parties mange en même temps le gâteau ! "
Yasser Abed Rabbo craint que l’inflexibilité israélienne aboutisse à la " destruction " du processus de négociations, dont l’arrêt est d’ores et déjà réclamé par plusieurs responsables israéliens et palestiniens. C’est pour tenter de débloquer la situation que les Américains essaient de favoriser une rencontre entre Mahmoud Abbas et Benyamin Nétanyahou. Mais le second a estimé, mardi 15 octobre, qu’il n’avait pas de " partenaire pour faire la paix ".
M. Nétanyahou justifie la " guerre préventive "
En s’exprimant, mardi 15 octobre, à l’occasion du 40e anniversaire de la guerre du Kippour, Benyamin Nétanyahou n’a pas fait de référence directe à l’Iran, mais ses propos sur la " guerre préventive " ont pris une résonance particulière après qu’Israël a menacé de recourir à des frappes militaires contre Téhéran. " La première leçon - de la guerre du Kippour - , a souligné le premier ministre israélien, est que les menaces ne doivent pas être sous-estimées. "
" La seconde est que des frappes préventives ne doivent pas être écartées. Il y a des situations où tabler sur une réponse internationale ne vaut pas le prix du sang que nous paierions en subissant une attaque stratégique à laquelle nous serions forcés de répondre plus tard ", a souligné M. Nétanyahou, qui a ajouté : " Une guerre préventive est l’une des décisions les plus difficiles qu’un gouvernement peut être amené à prendre, parce qu’on ne pourra jamais prouver ce qui se serait passé si on n’avait pas agi. "