Photo : Une femme marche à travers les ruines pour retourner chez elle, Gaza-ville, 11 octobre 2025 © Yousef Zaanoun / Activestills
Le 9 octobre 2023, alors que j’étais enceinte de sept mois, j’ai été déplacée de mon domicile dans le quartier de Tuffah à Gaza vers la maison de mon père à Shujaiya.
À l’époque, je souffrais de coliques biliaires, une affection provoquant de violentes douleurs abdominales. Comme la douleur persistait depuis plusieurs jours, je me suis rendue à l’hôpital local avec mon mari et mes parents.
L’établissement était bondé de blessés et de martyrs. L’odeur de la mort emplissait l’air, accentuant mon sentiment d’horreur.
Une médecin qui a examiné mon fœtus m’a dit que la douleur était déclenchée par la réaction de mon corps à la peur et au stress, dans un contexte de bombardements constants de Gaza par Israël. Elle m’a conseillé d’essayer de rester calme.
Le lendemain, cependant, l’armée israélienne a ordonné à plus d’un million de civils de Gaza de se déplacer du nord vers le sud. Bien que nous n’ayons aucun refuge dans le sud, nous avons décidé de fuir pour nous mettre en sécurité. Nous avons laissé derrière nous notre maison, nos biens et les vêtements neufs que j’avais préparés pour notre enfant à naître.
Après avoir marché pendant un kilomètre, nous avons fait du stop dans un camion qui se dirigeait vers le sud et nous avons voyagé jusqu’à al-Zahra, dans le centre de Gaza. De là, nous avons marché plusieurs kilomètres supplémentaires jusqu’à la région de Deir al-Balah, où une partie de ma famille élargie s’était réfugiée. Étant enceinte de sept mois, je n’aurais pas dû parcourir de telles distances à pied, mais je n’avais pas le choix.
Le mois suivant, en novembre 2023, la route entre le nord et le sud de Gaza a été fermée, empêchant mon mari de retourner voir sa famille, qui était restée dans le nord. Il m’a confié plus tard qu’il avait très peur et qu’il était très inquiet pour eux, même s’il ne regrettait pas d’avoir fui notre maison ; il craignait que si nous restions, notre bébé à naître en souffrirait.
Nous avons poursuivi notre voyage vers le sud, pour finalement atteindre Rafah.
Joie et douleur
Il était 22 heures (20 heures GMT) en décembre lorsque les douleurs de l’accouchement ont commencé. Assise dans une tente pour personnes déplacées dans la cour d’une école, aux côtés de mon mari, j’ai senti des frissons m’envahir alors que les douleurs du travail commençaient.
Ma mère a dit que nous devrions appeler une ambulance, et mon mari a essayé, mais il n’y avait pas de réseau cellulaire ; les attaques israéliennes avaient plongé Gaza dans un black-out des communications.
Mon frère et mon mari se sont rendus à pied à l’hôpital al-Helal pour aller chercher une ambulance, qui est rapidement venue me chercher. Alors que l’ambulance roulait à toute vitesse vers un hôpital de Nuseirat, les forces israéliennes ont bombardé une rue devant nous et je suis tombée de mon lit. Je m’inquiétais de l’impact que cela pourrait avoir sur la santé de notre bébé.
À l’intérieur de l’hôpital, il y avait des corps partout et le bruit des bombardements ne cessait pas.
À 00 h 30, le 16 décembre 2023, mon fils Rakan est né. Ce fut un moment joyeux, mais aussi douloureux. Alors que mon bébé venait au monde ce jour-là, d’autres familles perdaient leurs enfants. Je m’inquiétais également de la manière dont j’allais nourrir, habiller et prendre soin de Rakan dans des circonstances aussi horribles.
Pendant un mois, nous avons séjourné chez des proches à Deir al-Balah, dans une maison de deux étages bondée qui abritait 68 personnes. Nous sommes ensuite retournés au camp de déplacés.
Puis, en janvier 2025, Israël et le Hamas ont conclu un cessez-le-feu à Gaza. De retour dans le nord, nous avons trouvé notre maison partiellement détruite, mais nous avons pu nous installer dans une pièce. La vie était un peu meilleure qu’elle ne l’avait été dans le camp de tentes.
Mais le cessez-le-feu n’a duré que quelques mois avant qu’Israël ne le rompe unilatéralement en mars.
Début avril, les forces israéliennes ont largué des tracts avertissant les habitants de fuir à nouveau vers le sud de Gaza. Nous sommes partis, dans l’espoir de trouver un endroit sûr pour Rakan, mais aucun endroit n’est sûr à Gaza.
C’est également à cette époque que j’ai découvert que j’étais enceinte de mon deuxième enfant.
Maison détruite
Quelques semaines après avoir été déplacée une nouvelle fois, j’ai appris que l’armée israélienne avait totalement détruit notre maison à Tuffah, effaçant ainsi tout notre quartier. J’étais dévastée.
Pendant ce temps, alors qu’Israël maintenait son siège étouffant sur Gaza, le prix des couches avait explosé et j’ai dû apprendre à mon enfant d’un an à aller aux toilettes. Une seule couche coûtait 6 dollars, et mon mari n’avait pas les moyens de la payer.
Les toilettes de l’école où nous étions hébergés étaient sales, alors mon mari et moi avons dû donner à Rakan un pot rempli d’eau et de sable pour qu’il puisse se nettoyer.
Très vite, la famine s’est répandue dans toute la bande de Gaza. Je ne mangeais qu’un repas par jour et prenais des compléments vitaminés. J’ai perdu du poids et Rakan souffrait de malnutrition en raison du manque de nourriture et de lait maternisé.
Rakan est récemment tombé malade, avec une forte fièvre et une grave infection pulmonaire. Je suis restée à ses côtés à l’hôpital pendant deux jours, veillant toute la nuit pour prendre soin de lui. Sept autres enfants et leurs mères, qui sont restés éveillés toute la nuit sur des chaises, se trouvaient dans la même chambre que nous.
Je suis rentrée chez moi épuisée. Une semaine plus tard, j’ai ressenti de vives douleurs liées à ma deuxième grossesse. Je ne voulais même plus de cet enfant, sachant que je l’aurais mis au monde dans un monde de souffrance. Mais compte tenu du manque de services de santé à Gaza, je n’avais pas d’autre choix.
Je devrais accoucher de mon deuxième enfant en décembre, le même mois où Rakan est né. Mon corps est décimé, n’ayant consommé aucune protéine pendant la majeure partie de ma grossesse.
Malgré le cessez-le-feu, nous sommes toujours déplacés, nous vivons dans une tente et cuisinons sur un feu. Nous n’avons pas les moyens de nous nourrir. J’ai 25 ans, mais j’ai l’impression d’en avoir le double. Notre famille mérite les mêmes choses que n’importe quelle autre famille dans le monde : le calme, la sécurité et la stabilité.
Mais je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve.
Itemad Shallah est une journaliste basée à Gaza-ville.
Traduction : AFPS




