Le mouvement pour les droits des
Palestiniens et pour la paix entre
Israël et Palestine en Italie s’est
toujours caractérisé par un haut niveau
de politisation non seulement des groupes
de solidarité mais aussi des plus importantes
organisations sociales et pacifistes
qui ont conjugué solidarité concrète
et initiative politique. Les initiatives les
plus significatives - manifestations,
luttes, conférences - ont été produites
par une forte implication des grandes
associations : l’ARCI (Association
récréative culturelle italienne - un million
d’inscrits environ), la CGIL (Confédération
générale italienne du travail),
l’Association pour la paix (née en 1988).
La raison de fond de ce mouvement
puissant, en particulier dans les années
1980, est lié à l’existence d’une forte
culture politique et d’initiatives cohérentes
pour le dialogue entre Palestiniens et
Israéliens comme condition pour une
paix juste et durable, tout en menant
des projets de solidarité concrète avec
la population palestinienne. Ceci a été
rendu possible par l’orientation politique
des forces de gauche (parti communiste
et parti socialiste en premier
lieu) mais aussi par celle du gouvernement
italien dans les années 1970 et
1980 soucieux de construire des ouvertures
vers le monde arabe et méditerranéen
à travers des rapports diplomatiques,
commerciaux et d’échange. Le
conflit israélo-palestinien (en particulier
après 1967) et l’amitié entre les
deux peuples ont été considérés comme
la clé de voûte de la situation moyenorientale.
Un haut degré de politisation
En 1989, l’initiative « Time for Peace »
a eu une grande force et une grande
signification lorsqu’au moins mille militants
et militantes, des organisations,
des petits groupes, des syndicats, avec
une forte implication du président de
l’ARCI, Tom Benetollo, entoura la
Vieille Ville de Jérusalem par une
immense chaîne humaine avec des
dizaines de milliers de Palestiniens et
d’Israéliens. C’était l’époque de la première
Intifada, dont la société civile
palestinienne était l’indiscutable protagoniste,
tandis qu’un fort mouvement
pour la paix s’exprimait en Israël autour
de Peace Now. Déjà en 1988, j’avais
été amenée à organiser, avec soixantehuit
autres Italiennes, un camp de paix,
avec des femmes israéliennes et palestiniennes,
fondé sur le rôle de la subjectivité
politique féminine dans tous
les domaines : de la paix au travail, des
droits sociaux aux droits nationaux, de
l’autodétermination des femmes à celle
des peuples. Le dynamisme audacieux
des femmes palestiniennes fut une découverte
enthousiasmante. Le mouvement
des « femmes en noir » israéliennes,
combattantes courageuses contre l’occupation,
est né à cette époque ; c’est de
lui que s’inspirera le mouvement des
Femmes en noir en Italie.
L’Intifada des femmes et des enfants a
conquis une place hégémonique culturellement
et politiquement : conférence
de Madrid et accords d’Oslo en furent
le résultat. Il a semblé - à tort - que la
paix progresserait de manière irréversible.
En 1995, l’assassinat de Rabin, un des
artisans de ces accords, par un jeune
juif orthodoxe israélien, marqua lourdement
le processus de paix. Ce fut la
première rupture sérieuse, puis la nonapplication
des accords et l’expansion
des colonies israéliennes dans les territoires
occupés préparèrent l’échec de
ces accords et une nouvelle explosion
de l’Intifada, cette fois armée, tandis
que la participation populaire se réduisait progressivement. En 1998, Luisa
Morgantini [1] déclarait : « Jamais comme
aujourd’hui depuis les accords d’Oslo,
la situation n’a été aussi dramatique.
Si on veut sauver le processus de paix,
il faut une action forte et sans équivoque
en faveur de la paix et le respect des
droits humains, civils et nationaux. »
Crise et mutations:la naissance d’Action for Peace
Cette action forte n’eut pas lieu. La gravité
de la situation, ses causes politiques,
ne furent pas comprises. Du 2 au 9 septembre
2000, avec le soutien du ministère
des Affaires étrangères, « Une
semaine pour la paix en Palestine et en
Israël : l’Italie pour Bethléem 2000 »
promue par la « Table de la paix » (Tavola
da Pace) et des « collectivités locales
pour la paix », amena à nouveau un millier
d’Italiens dans les territoires palestiniens,
mais cette fois pour des échanges
culturels, commerciaux, une sorte de
festival de la culture italienne.
Une délégation de la FIOM fit des rencontres
politiques avec des Palestiniens
et des Israéliens à cette occasion. Nous
en sommes revenus impressionnés.
L’humiliation de l’occupation, les destructions
et les violations des accords
d’Oslo ont attisé la déception, la rage,
la division interne, les critiques au président,
les critiques de la corruption du
Fatah. Nous n’avons guère été étonnés,
quelques semaines après, par l’explosion
de rage contre la promenade provocatrice
d’Ariel Sharon, avec des centaines
de militaires sur l’esplanade des
Mosquées. Bombardements et assassinats
de Palestiniens nous ont mis face
à une nouvelle grande tragédie. La terrible
phase, caractérisée aussi par des
attentats-suicides contre des civils israéliens,
marqua une étape nouvelle et plus
difficile des mouvements et de la politique.
En 2001, tandis que le drame touchait
aussi Israël avec la désintégration du
parti travailliste et de Peace Now, sous
le gouvernement travailliste d’Ehud
Barak, en Italie naît « Action for Peace » :
initialement un projet pour la protection
de la population civile dans les territoires
palestiniens, sollicité par les
Palestiniens eux-mêmes
[2] ; des
dizaines de missions
pour demander aussi
aux institutions internationales
de protéger
la population
civile tandis que la
politique semblait
s’être éclipsée.
L’Union européenne
se limite à l’aide économique
au moment
où il serait indispensable
de jouer un rôle
politique fort.
A partir de 2003,
Action for Peace se
transforme en une
coalition de forces
diverses : CGIL,
FIOM, ARCI, Association
pour la Paix,
Collectivités locales
pour la paix, Plateforme
nationale des
ONG et beaucoup
d’autres. Dans un
premier temps, il y a aussi Refondation
communiste (Rifundazione comunista),
les Verts et le Parti des communistes
italiens (PDCI). On sent le besoin de
politique, surtout à gauche, tandis qu’en
Italie, la politique gouvernementale, en
s’alignant pleinement sur celle des Etats-
Unis (surtout après le 11 septembre
2001), effectue un tournant radical visà-
vis de la tradition politique italienne
et choisit le soutien inconditionnel à la
politique israélienne. On glisse progressivement
de « l’équidistance » vers
une position de soutien au plus fort sans
prendre en compte en aucune manière
les principes du droit international, des
droits humains, de la paix et de la justice.
Comment ne pas voir une triste
liaison entre le refoulement par la force
de deux délégations italiennes (composées
d’associations, du syndicat CGIL
et de parlementaires) à l’aéroport de
Tel-Aviv et l’agression de quelques
représentants de la communauté juive
romaine contre des participants (de ces
mêmes mouvements) à un séminaire
dans les locaux d’un centre social dans
le quartier juif ? Mais, entre temps, naît
un réseau : « Juifs contre l’occupation »
pour affirmer l’existence d’un autre point de vue. Il participera à des manifestations
et des délégations en Palestine
et en Israël ; il est membre aujourd’hui
des « Juifs européens pour une paix
juste ».
La nouvelle politique du gouvernement
italien sera récompensée, après plusieurs
missions à Tel-Aviv, par un important
accord de coopération militaire en Israël.
Fractures et espérances
Une première rupture à l’intérieur du
mouvement se produit sur la question de
la pratique politique du rapport avec les
Israéliens (non négociable pour Action
for Peace), sur l’évaluation de la lutte
armée et aussi des attentats-suicides.
Dans ce qui fut l’ultime manifestation
unitaire, apparurent en tête du cortège,
dans une imitation lugubre de funérailles
palestiniennes, des personnes travesties
en kamikazes ; une bonne partie des participants,
parmi lesquels la FIOM, abandonnèrent
le cortège. La fracture ne
semble pas réparable aujourd’hui.
Mais, au Forum social européen de Florence,
une assemblée enthousiaste d’environ
4000 personnes, dans une écoute
silencieuse des interventions de Palestiniens
et d’Israéliens, rend visible l’arrivée
d’une nouvelle génération pour la
solidarité, la paix, la justice, qui sera
aussi très présente dans les territoires
occupés et en Israël. A Florence naît la
Coordination européenne pour la Palestine
qui s’est développée ensuite à travers
les forums sociaux européens et
mondiaux avec l’objectif de remettre
sur pied la politique quasi inexistante
de l’initiative européenne, institutionnelle
et de la gauche faiblement accrochée
à la « feuille de route ». En 2003,
la campagne pour la suspension de
l’accord d’association UE-Israël votée
par le Parlement européen en avril 2002
et celle contre la construction du mur
dit « de séparation » rencontrent l’adhésion
d’un groupe de parlementaires pacifistes
des formations de gauche (démocrates
de gauche, Verts, communistes).
La campagne européenne pour des
« sanctions contre l’occupation », résultat
important de la
coordination européenne
dans les
forums sociaux, n’a
pas la vie facile : un
silence embarrassé,
même à gauche,
l’entoure en raison de
la crainte que le soutien
prévalent à la
politique d’Israël avec
l’exaltation de Sharon
en « homme de
paix » puisse provoquer
l’accusation
d’antisémitisme toujours
plus fréquente
à l’égard de toute critique
de la politique
israélienne. Une partie
de la gauche
(Démocrates de
gauche), troublée par
le paradoxe d’une
droite ex-fasciste et
antisémite qui se fait le champion de la
politique israélienne, s’est située, avec
la formation, il y a un an, de la « Gauche
pour Israël » sur des positions - et le
nom lui-même le dit - qui ne semblent
plus avoir comme objectif central la
solution politique « deux peuples deux
Etats ». Un rassemblement s’est déroulé
devant l’ambassade iranienne (à la suite
de la folle propagande pour « l’effacement
d’Israël de la carte géographique »
du président Ahmadinejad) convoqué
par le quotidien berlusconien Il Foglio
en soutien à la politique de Sharon et à
laquelle ont adhéré sans réserve les plus
grands dirigeants de la gauche et des
syndicats. L’absence de politique autonome
à gauche centrée sur les droits et
le droit international contre la loi du
plus fort a contribué à produire une
régression culturelle diffuse.
A la recherche d’une nouvelle politique extérieure
L’objectif principal qui se pose au mouvement
pour la paix est de combattre
aujourd’hui cette régression, de réussir
à renverser la tendance de l’establishment
politico-médiatique qui semble
avoir délégué à Israël la
solution du conflit : la
grande presse a construit
la réalité inexistante d’un
« processus de paix » unilatéral
jusqu’à soutenir
le mur (Corriere della
Sera) dont l’illégalité a
été prononcée par le
Cour internationale de
Justice sans cependant
susciter aucune réaction
cohérente des gouvernements
européens. Pire,
ceux-ci ont récemment
« sanctionné », avec la
coupure des fonds à
l’Autorité palestinienne,
une population déjà à
bout de force, pour avoir
élu démocratiquement
un gouvernement qui ne
plaît pas, contrevenant
au principe du dialogue
auquel l’Union européenne devrait être
attachée. Comme le dit un ami israélien,
Zvi Schuldiner, après le 11 Septembre,
l’opinion publique occidentale
s’est « isréalisée », la « guerre contre le
terrorisme », avec sa charge de mensonges
et de stéréotypes, est entrée dans
les consciences, le climat de confrontation
entre religions a fait réémerger le spectre
de l’antisémitisme et alimenté l’islamophobie.
Ceci est le terrain de bataille
culturel et politique le plus important
pour tout mouvement contre la guerre
et les occupations, pour la paix et la justice.
Une forte solidarité avec le peuple
palestinien, un engagement décidé dans
le travail triangulaire Palestiniens-Israéliens-
Européens, mais aussi l’urgence
en Italie d’un dialogue avec le nouveau
gouvernement pour qu’il oeuvre en faveur
d’une nouvelle politique au Moyen-
Orient, qu’il agisse en direction des institutions
européennes et fasse émerger
ce sens commun de la justice et la paix
qui vit dans une grande partie de la
société italienne.
Traduit de l’italien par Bernard Ravenel