Se plaçant dès lors en situation de monopole du nucléaire au Moyen-Orient avec le soutien américain, il a mis en joue tous ses voisins les uns après les autres, mais ne pourra maintenir sa position de gendarme nucléaire incontrôlé et belliciste sans risque grave pour la région : il s’agit bien d’une perspective de guerre nucléaire.
Israël, considéré par l’opinion européenne comme une menace prioritaire pour la paix, doit être soumis à une inspection internationale de ses installations nucléaires.
Le pouvoir probablement le plus dangereux est le pouvoir nucléaire. Mais c’est un pouvoir caché, invisible, en orbite ou sous la mer. Et depuis qu’on l’a vu à l’œuvre à Hiroshima et Nagasaki, l’humanité en a gardé la trace indélébile et se sent menacée dans son existence.
Après 1989 et la fin de l’équilibre de la terreur (nucléaire) on nous a fait croire que « la paix avait éclaté » pour tout le genre humain. Ainsi s’est diffusée l’illusion que désormais la menace de guerre nucléaire avait disparu et que par conséquent il n’était plus nécessaire de se mobiliser pour la conjurer. En réalité, après « l’équilibre de la terreur » qui éloignait la possibilité d’une déflagration réelle, les Etats-Unis, restés seuls en lice, n’ont pas éliminé leur arsenal nucléaire. Bien au contraire, ils l’ont réajusté, remodelé, repensé pour créer un « déséquilibre de la terreur » encore plus dangereux.
Désormais les Etats-Unis ont décidé de mettre au point une nouvelle génération d’armes nucléaires de faible puissance. Ces armes, dont la conception est issue de la doctrine de la guerre préventive incluant la nouvelle doctrine nucléaire américaine, visent à percer les bunkers où se cacheraient les missiles ou les commandements ennemis. En utilisant le terrorisme ou l’Iran, comme feuille de vigne… Plutôt que d’éliminer les armes nucléaires, on tend ainsi à annuler la distinction fondamentale entre guerre conventionnelle et guerre nucléaire pour mieux faire admettre leur utilisation. Le seuil tabou sera donc plus aisément franchissable [1].
En d’autres termes, préparer des armes de ce type accroît la possibilité que la guerre devienne vite nucléaire, provoquant une réaction en chaîne qui pourrait être irréversible.
Dans un rapport du Pentagone publié en mars 2002 dans Los Angeles Times, l’administration Bush demande de préparer des plans pour l’emploi d’armes nucléaires contre au moins sept pays : la Chine, la Russie, l’Irak, la Corée du Nord, l’Iran, la Libye et la Syrie. Certains passages de ce rapport précisent où et pourquoi les forces armées américaines « devraient être préparées à employer des armes nucléaires : dans un conflit arabo-israélien, dans une guerre entre la Chine et Taiwan ou dans une attaque de la Corée du Nord contre la Corée du Sud. Elles devraient être prêtes aussi dans le cas d’une attaque de l’Irak contre Israël ou contre un autre pays voisin. »
Tel est le contexte stratégique global où la guerre nucléaire est de nouveau d’actualité, devenant l’arme des puissants de la planète pour résoudre une fois pour toutes l’existence du conflit sur la terre.
Si les Etats-Unis prévoient explicitement dans leur logique de guerre préventive l’usage du nucléaire au Moyen-Orient, pourquoi Israël devrait-il l’exclure ? Le 7 octobre 2003, Ariel Sharon, encouragé par le soutien américain à son bombardement en Syrie, déclare à la télévision israélienne qu’Israël frappera ses ennemis « à n’importe quel endroit et avec n’importe quel moyen » [2] . Ainsi Ariel Sharon, qui vient de bombarder la Syrie, se déclare immédiatement prêt à utiliser l’arme nucléaire. La bombe secrète, dont tout le monde connaît l’existence, est destinée à jouer un rôle de plus en plus important et dangereux dans les crises du Moyen-Orient.
L’arsenal nucléaire de Sharon
Sur la base d’estimations diverses, les forces armées israéliennes possèdent entre deux cents et quatre cents têtes nucléaires. Selon la revue anglaise spécialisée Jane’s Intelligence Review, leur arsenal en comprend environ quatre cents pour une puissance d’ensemble de 50 mégatonnes équivalant à 3 850 bombes d’Hiroshima. Il s’agit d’abord d’armes tactiques de faible puissance, parmi lesquelles des bombes à neutrons faites pour frapper des objectifs rapprochés sans provoquer une excessive retombée radioactive sur-le-champ de bataille. Mais on trouve aussi des armes thermonucléaires de forte puissance prêtes à être utilisées. Comme vecteurs nucléaires les forces israéliennes disposent d’environ 300 chasseurs F16 fournis par les Etats-Unis et 25 F15 d’origine américaine également. Ces derniers ont été « renforcés » avec l’augmentation du rayon d’action à 4450 km et en les dotant de systèmes de guidage plus sophistiqués. Ces avions sont armés de missiles air-sol Popeye à tête nucléaire capables de pénétrer à une certaine profondeur sur le terrain pour détruire les bunkers des centres de commandement. Ce système d’armes - acquis de l’aéronautique américaine et utilisé en 1999 avec des têtes conventionnelles dans la guerre contre la Yougoslavie - a été produit, testé et amélioré à travers un programme conjoint israélo-américain. Une autre version de ce même missile nucléaire, le Popeye Turbo, a été installée sur trois sous-marins Dolphin, fournis par l’Allemagne en 1999-2000. La marine israélienne peut ainsi maintenir en navigation vingt-quatre heures sur vingt-quatre, soit dans la Méditerranée soit en mer Rouge ou dans le Golfe persique, au moins deux sous-marins armés de missiles nucléaires.
Il faut ajouter à ces vecteurs nucléaires environ 50 missiles balistiques Jéricho II sur des rampes mobiles de lancement avec une portée d’environ 1500 km emportant une charge nucléaire d’une tonne. Une version renforcée du missile, le Jéricho II B est capable probablement d’atteindre les 2800 km. En outre, Israël possède le Shavit, un engin qui a permis de mettre en orbite les satellites Ofek. Dérivé du missile Jéricho II, il peut à son tour être employé comme missile balistique qui, avec une portée comprise entre 5000 et 7000 km, est capable de frapper n’importe quel objectif au Moyen-Orient et même au-delà.
L’histoire d’une bombe secrète
Alors que les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Grande-Bretagne cherchent à empêcher, avec le traité de non-prolifération (TNP) [3] , que d’autres pays entrent dans le club nucléaire - dont font partie en 1968 les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France et Chine), un sixième pays s’infiltre dans le « club », réussissant non seulement à y entrer par la porte de service du nucléaire civil mais une fois dedans à se rendre officiellement invisible : Israël.
Au moment même où, en 1968, le TNP est ouvert à la signature, Israël est déjà en train d’installer ses propres armes nucléaires. L’histoire du nucléaire israélien est désormais à peu près élucidée grâce, en particulier, à la publication de la Fédération des savants atomistes américains : Bulletin of Atomic Scientists. Le programme nucléaire israélien a démarré dès la naissance de l’Etat d’Israël en 1948. Dès cette année est constitué au sein de l’armée un « corps scientifique » (Hemed Gimmel). En 1949, sur ordre du ministère de la défense, une équipe de ce corps scientifique a effectué des prospections dans le désert du Néguev à la recherche de réserves d’uranium. Ayant trouvé du minéral à basse teneur d’uranium, le corps scientifique perfectionne un procédé pour l’extraire et développe même une nouvelle méthode pour produire de l’eau lourde (qui sert de modérateur dans les réacteurs nucléaires).
Le rôle décisif de la France et la comédie du nucléaire pacifique
À cette étape, Israël a besoin d’un réacteur. Pour l’avoir, il s’adresse secrètement à la France avec laquelle existe déjà une collaboration nucléaire : les savants israéliens ont participé, aux débuts des années cinquante, à la construction d’un réacteur à eau lourde et d’une installation de retraitement à Marcoule.
La réponse positive de Paris arrive à l’automne 1956 : la France accepte de fournir à Israël un réacteur nucléaire de 18 mégawatts. Quelques semaines plus tard, les forces israéliennes envahissent le Sinaï égyptien pour aider la France et la Grande-Bretagne à occuper la zone du canal de Suez, après la nationalisation par Nasser de la Compagnie qui exploitait le canal. Une fois finie la crise de Suez, pour récompenser Israël, le gouvernement français envoie ses
propres techniciens pour construire dans le plus grand secret, dans un bunker souterrain à Dimona, dans le désert du Néguev, un réacteur nucléaire de 24 mégawatts de puissance. Pour faire parvenir les composants du réacteur en Israël le gouvernement français va faire de la contrebande, déclarant aux douanes françaises qu’ils font partie d’une installation de dessalement destinée à un pays de l’Amérique latine.
De leur côté, les autorités israéliennes font de leur mieux pour cacher la nature réelle des travaux de construction qui sont alors photographiés en 1958 par un avion-espion américain : sans crainte de se contredire, elles déclarent d’abord qu’il s’agit d’une usine textile, puis d’une station agricole et enfin d’un centre de recherche métallurgique… En même temps, en 1959, elles acquièrent secrètement de la Norvège 20 tonnes d’eau lourde sur la base d’un contrat, connu... trente ans après, qui contraint l’acquéreur à l’utiliser uniquement pour des usages pacifiques. Juste après, en 1960, le général De Gaulle, craignant qu’un éventuel scandale affaiblisse la position internationale de la France en pleine guerre d’Algérie, demande au Premier ministre israélien Ben Gourion de rendre public le projet de Dimona. Celui-ci refuse. Le contentieux se résout par un compromis formel : la France complètera la fourniture des composants du réacteur et du matériel fissile, et en échange Israël révèlera l’existence du réacteur et s’engagera à l’utiliser seulement pour la recherche nucléaire civile. En décembre 1960 Ben Gourion annonce au monde l’existence du réacteur, garantissant que celui-ci sera utilisé à des fins exclusivement pacifiques.
Le double jeu des Etats Unis
Dans les années soixante, les Etats-Unis entrent officiellement [4] en scène et demandent à Israël de soumettre le réacteur de Dimona à des inspections internationales. Le gouvernement israélien accepte en posant une seule condition : les inspections doivent être effectuées par le gouvernement américain, qui ensuite en communiquera les résultats. Alors, entre 1962 et 1969, vont arriver à Dimona des inspecteurs envoyés par Washington. Ignorants ou malhonnêtes, ces experts ne s’aperçoivent pas que les locaux qu’ils visitent sont une mise en scène avec de faux instruments qui miment des processus inexistants du nucléaire civil et que sous le pavé sur lequel ils marchent, il y a un énorme bunker de huit étages où l’on construit les armes nucléaires…
Le président Lyndon Johnson peut alors assurer officiellement que l’installation est utilisée seulement pour des objectifs pacifiques. La comédie du nucléaire pacifique continue. Entre temps, en 1965, une société américaine, la Nuclear Materials and Equipment Corporation à Apollo (Pennsylvanie) constate la disparition de 90 kg d’uranium enrichi qui, selon toute probabilité, sont arrivés en Israël…
A partir de 1967, le nucléaire israélien est braqué sur les capitales arabes
L’installation de Dimona devient alors opérationnelle et, dès 1966 elle aurait commencé à produire des armes nucléaires. En 1967, Israël dispose probablement de deux bombes qu’elle déploie secrètement pendant la guerre des Six jours [5]. Les vecteurs qui peuvent la transporter, - des avions de chasse-, ont été fournis par les Américains.
Les forces israéliennes se préparent de nouveau à utiliser les armes nucléaires quand, dans la phase initiale de la guerre du Kippour, le 6 octobre 1973, elles se trouvent en difficulté face à l’attaque égypto-syrienne. La décision est prise secrètement le 8 octobre par le Premier ministre Golda Meir et par le ministre de la défense Moshe Dayan : 13 têtes nucléaires de 20 kilotonnes sont déployées pour être lancées sur l’Egypte et la Syrie par des missiles Jericho I (construits par Israël sur projet français) et par des chasseurs-bombardiers fournis par les Etats-Unis. Par la suite, ce « secret » sera volontairement divulgué par les services secrets israéliens pour avertir les pays arabes qu’Israël dispose d’armes nucléaires et est prêt à les utiliser. C’est ce qu’on appelle une stratégie de dissuasion.
Après la guerre du Kippour, le programme nucléaire israélien est accéléré par l’utilisation d’un processus plus rapide pour l’enrichissement de l’uranium par la miniaturisation des têtes nucléaires afin que celles-ci puissent être utilisées avec des canons fournis par les Etats-Unis.
Dans les années soixante-dix, le gouvernement israélien établit une relation secrète avec un partenaire particulier : l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce pays lui fournit au moins 550 tonnes d’uranium et, en échange, reçoit d’Israël le savoir technologique qui lui permet de construire des bombes nucléaires.
Ainsi le gouvernement israélien ne se contente pas de développer ses propres armes nucléaires, il aide en même temps un autre pays, l’Afrique du Sud, à les construire [6] : il participe donc à la prolifération des armes nucléaires.
En fait, en refusant d’emblée, dès 1968, de signer l’accord du TNP au motif qu’on ne peut se fier au système de contrôle international mis en place par l’AIEA, Israël manifestait son refus de se voir contrôler par celle-ci et, ipso facto, démontrait son intention de mener à bien sans entrave un projet nucléaire militaire qui ouvrait la voie à la prolifération nucléaire régionale, à l’échelle de tout le Moyen-Orient jusqu’au Pakistan.
Israël, gendarme militaire du Moyen-Orient
En même temps qu’ils se consacraient au développement quantitatif et qualitatif de leur propre arsenal nucléaire, les gouvernements israéliens ont cherché par tous les moyens de conserver au Moyen-Orient le monopole de ces armes, en empêchant les pays arabes de développer des programmes leur permettant un jour de les construire. C’est sur la base de cet élément stratégique majeur, sûrement en accord avec Washington, que le 7 juin 1981 Israël lance une attaque-surprise contre le réacteur nucléaire Tamouz-1 qui était sur le point d’entrer en fonction à Osirak en Irak. Pour la première fois dans l’histoire, un Etat accomplit un acte de guerre selon la doctrine de la première frappe préventive qui peut détruire par surprise l’essentiel de l’arsenal stratégique nucléaire de l’ennemi dans le cadre de la logique de la guerre nucléaire. Vingt ans avant que les Etats-Unis en fassent officiellement leur doctrine stratégique…
Un plan analogue est, selon toute probabilité, déjà prêt vis-à-vis de l’Iran que le ministre des affaires étrangères israélien accuse le 4 juillet 2003 de « vouloir développer une arme nucléaire », ce qui constitue, souligne-t-il sans faiblir, « une menace non seulement pour Israël mais pour la stabilité du monde entier ». Ainsi le gouvernement qui donne l’alarme n’adhère pas au TNP - à la différence du gouvernement iranien - et échappant à tout contrôle de la part de l’AIEA, est le seul au Moyen-Orient à posséder des armes nucléaires et à les pointer en permanence sur les autres pays de la région…
Une stratégie nucléaire globale : l’axe Etats-Unis-Israël-Inde
En septembre 2003, la visite d’Ariel Sharon en Inde est la première d’un chef de gouvernement israélien depuis l’indépendance du pays en 1947. Elle permet de mettre à jour les relations militaires et même stratégiques qui s’étaient constituées depuis environ un quart de siècle entre les deux puissances nucléaires [7] .
En fait, c’est en 1998, au moment des essais nucléaires effectués par l’Inde et le Pakistan, entérinant ainsi la nucléarisation de l’Asie du Sud, que sont révélés les contacts clandestins entre l’Inde et Israël en matière de technologie nucléaire et de missiles. Ces révélations mettent en lumière l’étroite relation existant entre les problèmes du Moyen-Orient et ceux de l’Asie du Sud, problèmes qui ont désormais une dimension nucléaire. Cinq éléments déterminants apparaissent alors :
– Israël est la seule puissance nucléaire qui ne reconnaît pas l’être.
– Israël, échappant aux inspections de l’AIEA, a aussi aidé l’Inde pour son programme d’armes nucléaires.
– Le Pakistan, dont le statut nucléaire a été perçu dans le monde musulman comme un contrepoids positif à l’arsenal israélien, a craint une attaque préventive d’Israël sur ses installations nucléaires, en liaison avec l’Inde.
– Tandis que l’Inde a publiquement qualifié le Pakistan et la Chine d’adversaires, la caractérisation de la bombe du Pakistan comme « islamique » implique qu’elle a une double dimension, orientale (l’Inde) et occidentale (le Moyen-Orient).
– Les Etats-Unis, à travers la CIA, ont servi de médiateur pour développer la coopération militaire entre l’Inde et Israël d’abord dans le domaine des armes conventionnelles, au milieu des années soixante, et ensuite dans les programmes nucléaires.
La connexion entre les tensions en Asie du Sud centrées autour du Cachemire avec celles du Moyen-Orient qui ont comme foyer central l’occupation des terres arabes par Israël depuis 1967 annonce alors l’ouverture d’un nouveau chapitre extrêmement préoccupant dans les relations internationales.
A partir de 1998, la situation change en effet quand la droite hindoue non seulement fait exploser des armes nucléaires mais entreprend de renforcer ses liens avec les Etats-Unis et Israël, essayant de créer une nouvelle entente Washington-Tel-Aviv-New-Delhi contre l’Islam. La coopération militaire entre l’Inde et Israël s’accélère alors et se renforce. Dès mars 1998, quelques jours avant que l’Inde entame ses essais nucléaires, une délégation des industries aéronautiques israéliennes vient en Inde pour vendre des avions-missiles sans pilote pour neutraliser l’option nucléaire du Pakistan.
Les attentats du 11 septembre 2001 donneront une nouvelle impulsion à cette coopération. S’exprimant devant le Comité juif américain (AJC) à Washington, le conseiller à la sécurité du premier ministre indien, Brajesh Mishra plaidera pour « un axe central Etats-Unis-Israël-Inde pour combattre en commun le terrorisme » [8] . En fait, l’Inde veut imiter Israël comme puissance nucléaire régionale disposant d’un prestige international en particulier auprès des Etats-Unis. Israël considère l’Inde comme un vaste marché pour son armement et comme un allié contre « le monde islamique ». Les Etats-Unis semblent souhaiter une nouvelle configuration stratégique incluant l’Inde et Israël pour encercler aussi bien le communisme (chinois) que l’islam. Israël entre ainsi dans une stratégie nucléaire globale voulue par les Etats-Unis.
Vers une guerre nucléaire au Moyen-Orient ?
Cela dit, Israël reste toujours dans une sorte de limbe nucléaire et il faut bien mesurer son intérêt de maintenir ce flou. Quel en est l’avantage ? Les ennemis ne savent pas exactement ce qu’il possède et il en résulte un certain effet de dissuasion. D’autre part, les Etats-Unis peuvent continuer officiellement à appuyer Israël sans être accusés d’abandonner leur politique officielle de non-prolifération.
D’où cela vient-il ? D’un compromis - révélé très récemment - datant de 1969 entre les Etats-Unis et Israël, signé entre Golda Meir et le gouvernement de Washington. En résumé, les Américains s’abstiennent de faire pression sur Israël pour qu’il signe le TNP ; en échange, Israël s’engage à maintenir l’ambiguïté pour éviter d’avoir à répondre précisément devant la communauté internationale de cet armement nucléaire.
Pour l’avenir, quelle peut être la stratégie nucléaire israélienne ? Pour l’appréhender, on peut distinguer deux temps :
– Le temps des années quatre-vingt-dix avec la perspective d’un compromis de paix (Oslo).
– Le temps de l’abandon du processus d’Oslo par le gouvernement Sharon, articulé sur l’accélération de l’évolution américaine après le 11 septembre 2001.
La première phase a été conditionnée par la première guerre du Golfe avec les quarante-deux missiles Scud lancés par l’Irak sur Israël. À partir de ce moment, la menace a été pensée par les stratèges israéliens comme pouvant venir de loin, émanant d’Etats non limitrophes d’Israël (alors qu’on espérait un processus de paix qui aurait inclus la Syrie voisine). Désormais la menace était constituée par des missiles balistiques pouvant atteindre le territoire israélien avec - ou non - des têtes nucléaires.
La réponse officielle d’Israël est « simple » : fabriquer des missiles antimissiles, les fameux Arrow, et, plus récemment, les Patriot, avec les Américains. C’est la réaction stratégique officielle. Mais en réalité Israël préparerait une riposte en deuxième frappe à partir de sa flotte de sous-marins d’origine allemande avec des missiles de croisière dotés de têtes nucléaires. Une stratégie de dissuasion à la française justifiée par le fait que les Etats-Unis n’ont pas pu empêcher le Pakistan d’avoir sa bombe et qu’il faut en tirer les conséquences.
Jusqu’à ce moment, l’arme nucléaire israélienne était présentée comme le dernier recours au cas où les armées arabes auraient subverti complètement les frontières de l’Etat hébreu. A ce moment-là on utiliserait en dernier recours l’arme nucléaire contre les pays qui auraient envahi le territoire israélien. Mais aujourd’hui, si l’adversaire « islamique » détient l’arme nucléaire, la réflexion stratégique est bouleversée. Il faut donc préparer une « défense préventive » à long rayon d’action. Cela signifie en réalité que l’on peut envisager une espèce d’attaque préventive pour empêcher cette attaque nucléaire par un pays ennemi. Il faut donc se doter de cette capacité d’attaque préventive contre les missiles ennemis avant que ceux-ci ne soient lancés.
L’échec du processus de paix d’Oslo, la venue au pouvoir de George W.Bush - ce « Sharon global » - et de Sharon, l’alliance étroite entre l’extrême droite israélienne et l’extrême droite américaine assombrissent de manière dramatique l’horizon stratégique. La course à l’armement nucléaire (mais aussi aux armes chimiques) s’en trouve accélérée et la doctrine d’emploi du nucléaire s’élargit beaucoup. Déjà la guerre contre l’Irak a été potentiellement nucléaire. En effet, les Etats-Unis ont dit que l’option nucléaire était ouverte. Des centaines d’armes nucléaires tactiques ont été déployées autour de l’Irak. Il y a donc cette ambiance lourde qui s’installe dans la mesure où Bush, avec l’accord et parfois la pression de Sharon, entend régler militairement les problèmes au Moyen-Orient. Aujourd’hui, le nucléaire israélien représente une menace principale pour la paix au Moyen-Orient. On ne peut concevoir un processus de paix au Moyen-Orient avec un pays qui met en joue tous ses voisins avec ses armes nucléaires.
Le Moyen-Orient constitue, avec le pôle Inde-Pakistan, la zone la plus critique concernant l’avenir de la prolifération nucléaire. Israël se trouvera à l’avenir face à un certain nombre de défis liés au développement régional d’armes non conventionnelles (chimiques et/ou nucléaires) [9] . La situation pourrait se révéler bientôt intenable pour Israël. L’opération Osirak pourrait devenir une sorte d’impératif stratégique de la politique israélienne soucieuse de rester le gendarme nucléaire dans la région. On imagine les risques de cette situation.
La garantie définitive contre la prolifération nucléaire au Moyen-Orient est à rechercher sur le plan politique dans la solution des problèmes de la zone, à commencer par la question palestinienne. Dans l’immédiat, il est évident qu’il faut établir un haut niveau de contrôle international sur les activités des pays proliférants. Ce problème concerne au premier chef le nucléaire israélien. Après l’Iran, où l’Europe semble avoir imposé pacifiquement un arrêt du nucléaire militaire, pourquoi Israël, considérée par l’opinion européenne comme une menace prioritaire pour la paix, ne pourrait-il pas être l’objet d’une demande d’inspection internationale de ses installations nucléaires ?
Les dangereux préparatifs nucléaires de Tel-Aviv contre l’Iran
Au moment où l’AIEA refuse l’exigence américaine de voter des sanctions contre l’Iran qui a accepté de signer le protocole additionnel du TNP, un autre acteur entend agir indépendamment de toute résolution de l’AIEI : Israël, qui a évoqué « les inquiétantes tentatives de Téhéran » (Le Monde, 28 novembre 2003). En fait, le gouvernement israélien est en train de préparer le terrain pour une action militaire contre les installations nucléaires civiles iraniennes. Selon le Jerusalem Post du 23 novembre, Ariel Sharon a annoncé à la radio de l’armée qu’il voulait « prendre personnellement la direction des activités israéliennes face à l’effort nucléaire iranien ». Dès le 12 novembre, à Washington, le ministre israélien de la défense, Shaul Mofaz, a déclaré qu’avec son programme nucléaire « l’Iran peut atteindre le point de non retour d’ici un an et[qu’]Israël ne lui permettra pas de développer des armes nucléaires ». Le 17 novembre, le chef du Mossad, Meir Dagan, a affirmé devant une commission parlementaire que le programme nucléaire iranien « constitue la plus grande menace qu’Israël ait jamais affrontée ».
Le plan d’attaque est déjà prêt : dès juin 2002, la revue Jane’s a annoncé qu’« Israël lancera presque certainement une attaque préventive contre l’infrastructure iranienne de recherche et de développement nucléaire », ajoutant que, pour ce raid, « Israël aurait, selon toute probabilité, l’appui couvert des Etats-Unis ».
Quatre compléments à cet article : Sondage de la CNN (Nucléaire & Israël) / Mordechaï Vanunu : (Nucléaire & Israël) / L’ONU (Nucléaire & Israël) / Le « Pacte de Genève » (Nucléaire & Israël)
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