L’affirmation d’Israël d’être une démocratie est fondée sur beaucoup de conceptions erronées. La falsification la plus évidente est l’idée qu’il y a un « Israël démocratique » qui existe à côté des territoires temporairement occupés, la Cisjordanie et Gaza. En fait Israël mène un nettoyage ethnique agressif dans tous les territoires occupés et les colons sont la force la plus puissante dans la vie politique israélienne. La falsification complémentaire c’est l’idée que les Palestiniens des territoires occupés par Israël depuis 1948 sont des citoyens jouissant de droits civils entiers, même si les droits nationaux leur sont refusés. A chaque fois que ces Palestiniens, qui sont officiellement citoyens, s’organisent pour protester contre les discriminations qu’ils subissent, l’état révèle sa véritable nature dictatoriale en tant que puissance occupante.
L’une des mesures les plus extrêmes de l’oppression militaire est la détention administrative. En application des « lois d’urgence » d’Israël — et voyez-vous l’urgence en Israël dure depuis ces 73 dernières années depuis sa création — les autorités militaires peuvent ordonner la détention de n’importe quelle personne sans inculpation pour une durée allant jusqu’à 6 mois, renouvelable un nombre illimité de fois. La détention administrative est couramment utilisée à l’encontre des Palestiniens dans les territoires occupés par Israël depuis 1967, mais il y a aussi une longue histoire de son application de la même façon aux Palestiniens citoyens d’Israël. Des lois de ce type ont été utilisées pour écraser le mouvement « al-Ard » (la Terre) – le premier mouvement politique palestinien qui a essayé dans les années cinquante et soixante de se structurer dans la « Palestine de 1948 ». En 1988, à l’apogée de la première intifada, quelque 10 membres dirigeant de « Abna al-Balad », un mouvement populaire de gauche, furent placés en détention administrative.
Maintenant, à la suite du dernier soulèvement populaire en solidarité avec Cheikh Jarrah, contre le bombardement de Gaza et contre les agressions fascistes visant les habitants palestiniens des villes à population mixte, elle est à nouveau utilisée. En plus des arrestations de masse et des violentes attaques perpétrées par la police et les gardes-frontières à l’encontre de la population dans son ensemble, Israël recourt à nouveau à la détention administrative de Palestiniens qui sont officiellement reconnus comme citoyens.
Le vendredi 4 juin, à Umm al-Fahm, dans le cadre de la campagne d’arrestations de masse, la police a arrêté Zafer Jabareen. Un jour après son arrestation Jabareen a été amené devant le tribunal avec les autres personnes arrêtées et il a été mis en détention provisoire pendant 3 jours supplémentaires selon des allégations qu’il devait être interrogé pour avoir participé à des troubles de l’ordre public. Il a été mis en détention à la Shabak (les services secrets de sécurité) – mais n’a pas été vraiment interrogé. Le mardi 8 juin, au lieu de libérer Jabareen ou de l’amener à une autre audience de renvoi, on l’a informé que le ministre de la Défense d’Israël, Benny Gantz, avait signé à son encontre un ordre de détention administrative d’une durée de quatre mois. Le lendemain il a été amené devant le Juge Ron Shapira, chef du tribunal de district de Haïfa pour le « contrôle judiciaire » de sa détention.
Zafer Jabareen, âgé de 44 ans, a été arrêté en 2002, à l’époque de la Deuxième Intifada, accusé d’appartenance à une organisation interdite et de participation à des activités contre l’état. Il a été condamné à 17 ans d’emprisonnement. Après sa libération en 2019, il s’est marié et travaillait dans le bâtiment. Sa femme est maintenant enceinte de leur premier enfant, et son mari va lui manquer en cette période critique.
Le « United Fahmawi Herak » (Mouvement Uni d’al-Fahm) et le comité populaire de Umm al-Fahm ont appelé à une manifestation devant le tribunal de Haïfa au moment de l’audience le mercredi 9 juin. Environ une centaine de personnes se sont rassemblées devant le tribunal, parmi lesquelles les dirigeants de tous les partis politiques palestiniens, le maire de Umm al-Fahm, le Dr. Samir Subhi Mahamid, et de nombreux jeunes militant du Mouvement. Les policiers aussi étaient présents, de plusieurs sortes de style militaire lourdement armés, et avaient complètement bouclé toute la zone autour de l’entrée du tribunal. Les manifestants portaient des pancartes en arabe, en hébreu et en anglais en solidarité avec Zafer Jabareen, demandant la fin de la détention administrative et dénonçant la campagne d’arrestations à l’encontre des foules palestiniennes.
Quand l’avocat de Zafer Jabareen, Mahmoud Jabareen, est sorti de l’audience, il a informé les manifestants et la presse sur ce qui s’est passé pendant l’audience. Il n’a pu cacher son mécontentement. Il a essayé de poser des questions sur les accusations et les soupçons à l’encontre de Zafer, mais il lui a été dit que tous les documents étaient secrets et qu’aucune réponse ne serait donnée. Il a déclaré à la cour qu’il n’y avait rien qu’il puisse faire pour défendre son client s’il ne savait pas pourquoi celui-ci était détenu. Il n’a pas même été autorisé à être présent dans la salle d’audience quand la Shabak au juge les « preuves secrètes ».
J’ai parlé plus tard à l’avocat et il a expliqué que la détention administrative est fondée sur une vieille « loi d’urgence » et n’est pas soumise à la loi plus récente régissant la réclusion criminelle. Dans la loi sur la réclusion criminelle, le juge est obligé de prendre en considération les droits humains du détenu et, s’il trouve qu’il y a un fondement juridique pour la détention, il doit encore examiner s’il y a d’autres moyens de surveiller le détenu sans le maintenir en prison. Dans les lois d’urgence qui régissent la détention administrative, même s’il n’y a pas d’inculpation ni de moyen par lequel le détenu puisse se défendre ou infirmer « les preuves secrètes », il n’y a pas non plus de prise en considération des droits humains du détenu et le tribunal n’est pas même autorisé à examiner d’autres moyens de surveillance.
La police et la Shabak aiment utiliser la menace de la détention administrative comme moyen de briser le moral des personnes soumises à interrogatoire. Ils peuvent dire aux personnes interrogées que, si elle n’avouent aucun crime, et même s’il n’y a aucune preuve à leur encontre, elles peuvent encore se retrouver en prison pour une durée illimitée. Donc, il vaut mieux conclure une négociation de peine pour savoir au moins quand vous allez sortir de prison.
Entre-temps, Haaretz, tout en faisant un reportage sur la détention administrative de Jabareen, a indiqué qu’il y a un autre détenu administratif originaire de la région de Nazareth. Ce détenu a aussi été arrêté pour interrogatoire (le 17 mai) et transféré ensuite en détention administrative.
Le dimanche 13 juin, le Juge Shapira a rendu son jugement ratifiant le décret de détention administrative du Général Gantz à l’encontre de Zafer Jabareen. La famille et les amis de Jabareen, et quelques militants politiques s’étaient rassemblés à l’extérieur des portes fermées de la salle d’audience et n’ont pas été surpris d’entendre la sentence. Certains d’entre eux ont repris le dicton populaire : « Quand ton juge est ton oppresseur, à qui te plains-tu » ?
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
Photo : Activestills