Qui tiendra Israël pour responsable ?
La réponse, jusqu’ici, est personne. Mais en ce rare voyage aux USA, je vois des signes qui suggèrent que le barrage est en train de se rompre. Les craquements dans le barrage viennent de la société citoyenne, et partir d’elle suivra un raz-de-marée de soutien de la base à la liberté palestinienne.
Le gouvernement israélien se porte à des extrémités sans précédent pour détruire et réduire au silence l’opposition aux politiques oppressives et racistes d’Israël à l’encontre des Palestiniens. Ceci s’échelonne de la politique du gouvernement israélien du tirer pour tuer qui a brisé les vies de plus de 200 Palestiniens depuis le début d’octobre 2015, à des actions ayant pour but de réduire au silence à la fois la société citoyenne et les associations de défense des droits de l’homme israéliennes et palestiniennes. Des menaces personnelles contre les vies des défenseurs palestiniens des droits de l’homme ont été lancées ainsi que contre les partisans du mouvement mondial contre l’occupation apportant leur soutien au Boycott, aux Désinvestissement, et aux Sanctions (BDS) en tant qu’outil pour parvenir à la liberté, à la justice et aux droits égaux pour les Palestiniens.
Décrire ce qui se passe aujourd’hui en Israël comme du fascisme n’est pas une hyperbole.
Ces mesures extrêmes surviennent dans le contexte de près de 50 ans d’occupation israélienne pour une entreprise illégale, où presque chaque aspect des vies palestiniennes a été contrôlé.
La culture israélienne de l’impunité crée un environnement où non seulement ce sont ceux qui résistent qui sont visés, mais aussi ceux qui simplement existent. La simple présence des Bédouins dans le territoire « principal » est considérée comme une telle menace à la sécurité de l’état d’Israël que leurs maisons ont été démolies et qu’ils ont été déplacées de façon alarmante et sans précédent. Hanan Al Hroub, l’enseignante palestinienne qui a remporté le Prix Mondial du Professeur de 2016 et qui a été nommée la meilleure enseignante du monde, est maintenant menacée par une campagne israélienne pour la dépouiller de ce titre.
Avec des représentants officiels des états et de la « communauté internationale » assis les bras croisés sur la touche, les organisations non gouvernementales et les groupes de la société citoyenne à large base doivent relever le défi de la discrimination et de l’occupation israéliennes.
Pendant des années, Al-Haq et d’autres organisations de la société citoyenne ont travaillé sans répit pour tenir Israël pour responsable de ses violations des droits de l’homme des Palestiniens et du droit international. Et comme d’autres défenseurs des droits de l’homme, Al-Haq a une histoire riche d’assujettissement à l’intimidation, aux menaces et aux attaques par des tierces parties pour saper notre travail. Le bureau d’Al-Haq a connu des descentes, nos chercheurs de terrain ont été détenus, de façon cumulée pendant des années, alors qu’ils faisaient leur travail, et j’ai été soumis à une interdiction arbitraire de voyage pendant plus de six ans.
Au cours des quelques dernières années, Al-Haq a fait l’objet d’une campagne de dénigrement diffamatoire d’origine inconnue, qui a culminé en des menaces de mort dirigées contre moi et contre un autre collègue d’Al-Haq. Nous pensons que ceux qui sont derrière cette campagne essaient de nous envoyer un signal fort comme quoi nous avons franchi une ligne rouge en travaillant au niveau de la Cour Pénale Internationale pour tenir Israël pour responsable de décennies de violations du droit international.
Ces menaces ne nous dissuadent pas. Au contraire, elles nous poussent à aller de l’avant et signifient que nous avons réussi en travaillant à notre mission de mettre fin à l’occupation israélienne et de promouvoir et protéger les droits de l’homme des Palestiniens.
Le gouvernement israélien a joué un rôle primordial en vilipendant les organisations de la société citoyenne. En octobre 2015, la Ministre israélienne de la Justice, Ayelet Shaked, a essayé dans des réunions avec des homologues étrangers de faire le lien entre Al-Haq et le terrorisme et a exigé que les pays européens cessent de subventionner l’organisation.
Nous ne sommes pas les seuls à faire l’objet d’une telle attaque. Le Ministre israélien de la Défense, Moshe Ya’alon, a qualifié de traître la directrice de l’organisation israélienne Breaking the Silence, et ses grands-parents ont reçu des appels la diffamant.
Le mouvement pour mettre fin à l’occupation en soutenant le BDS a aussi été l’objet d’attaques. Prenant modèle sur la campagne qui a joué un rôle important pour mettre un terme à l’apartheid en Afrique du Sud, les partisans du BDS ont travaillé depuis plus d’une décennie pour obtenir la liberté, la justice et l’égalité pour les Palestiniens, et plaidé dans le monde pour les droits de l’homme des Palestiniens. De même que le mouvement a pris de l’élan, de même l’ont fait aussi les parties qui cherchent à saper son travail. Les partisans du BDS ont été qualifiés de « délégitimisateurs » et de nombreuses lois contre le boycott ont été adoptées en Israël — et même par les organes législatifs d’état aux Etats-Unis en bravant ouvertement votre Premier Amendement.
Ces menaces sont devenues personnelles. Pendant une conférence récente à Jérusalem sur les moyens de combattre le BDS, le Ministre israélien des Renseignements, Israel Katz, a encouragé la violence contre les partisans du BDS, en utilisant un langage qui suggérait leur "assassinat ciblé citoyen. » Alors que le Ministre a poursuivi en disant qu’Israël combattra le BDS par tous les moyens à sa disposition, mais sans aller jusqu’à y inclure les violences physiques, les défenseurs des droits de l’homme des Palestiniens seraient imprudents de ne pas prendre ces menaces au sérieux, étant donné le climat politique tendu et de plus en plus raciste.
Israël n’est pas tout seul. Ses efforts pour réduire au silence les défenseurs des droits de l’homme des Palestiniens ont été encouragés et soutenus aux Etats-Unis (y compris par certaines institutions universitaires) et dans plusieurs états-membres de l’Union Européenne (UE). La France a effectivement criminalisé le boycott en tant que « discours de haine » et le Royaume-Uni a publié des directives interdisant aux entités publiques de s’engager dans le boycott. Le Congrès des Etats-Unis examine le Projet de loi de 2016 pour Combattre le BDS, qui vise à autoriser les gouvernements d’état et locaux à céder des actifs - et à interdire des investissements - dans toute entité qui « s’engage dans une activité de commerce ou d’ investissement lié au boycott, au désinvestissement ou aux sanctions visant Israël. » En particulier, ce projet de loi étend sa portée aux actions de BDS visant les opérations commerciales dans « les territoires sous contrôle israélien" — ce qui signifie les colonies israéliennes de Cisjordanie, Jérusalem-Est comprise, qui sont reconnues comme illégales en application du droit international, et comme illégitimes par les U.S.A.
Au lieu d’observer leurs obligations juridiques pour tenir Israël pour responsable de violations des droits de l’homme, les Etats-unis et les membres de l’UE effrayent, punissent, et criminalisent ce qui constitue un droit d’expression politique protégé et l’un des moyens non-violents les plus efficaces accessible aux Palestiniens pour combattre l’occupation.
Malgré ces actions, la demande d’enquête sur les violations israéliennes des droits de l’homme présentée par plusieurs membres de la Chambre des Représentants des Etats-Unis apporte une lueur d’espoir.
Donc, qui tiendra Israel pour responsable ? En tant qu’organisation de la société civile, nous continuerons à lutter pour la fin de l’occupation, pour la liberté, pour la justice, et pour l’égalité pour tous les Palestiniens, mais la communauté internationale — et en particulier les défenseurs américains de base de la liberté des Palestiniens — joueront aussi un rôle important.
SHAWAN JABARIN
Shawan Jabarin est le directeur d’Al-Haq (= la Vérité), la plus vieille organisation palestinienne de défense des Droits de l’Homme établie à Ramallah. Il est actuellement aux Etats-Unis en un voyage subventionné par le Centre pour les Droits Constitutionnels avec Raji Sourani, directeur du Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme (CPDH) à Gaza.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin , membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers