Photo : Attaque sur le camp de réfugié.e.s de Jénine, le 3 juillet 2023 - Source : Eye on Palestine
En début de semaine, les Palestiniens de la Cisjordanie occupée ont vécu à l’opération militaire israélienne la plus sanglante et la plus violente de mémoire récente. En 48 heures, les forces terrestres et aériennes israéliennes ont assiégé le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, tuant 12 Palestiniens et en blessant plus d’une centaine d’autres. Pour la première fois depuis la seconde Intifada en 2002, les habitants du camp de réfugiés de Jénine ont été soumis à des bombardements aériens intenses et ont vu les bulldozers israéliens détruire massivement leurs routes et leurs infrastructures.
Alors que la ville de Jénine, et le camp plus particulièrement, ont fait l’objet d’innombrables attaques de l’armée israélienne au cours de l’année écoulée, visant les groupes de résistance palestiniens, les événements de ces dernières semaines ont marqué une inflexion claire dans la stratégie militaire d’Israël dans la ville.
Le 19 juin, les forces israéliennes ont déployé des hélicoptères lors d’un raid meurtrier sur le camp et ont tiré des roquettes sur un bâtiment du camp de réfugiés, marquant la première utilisation d’hélicoptères à Jénine en plus de 20 ans. Deux jours plus tard, le 21 juin, trois combattants palestiniens ont été assassinés lors d’une frappe aérienne ciblée sur leur véhicule à l’extérieur de Jénine. À ce moment-là, l’utilisation d’hélicoptères et de frappes de drones a inquiété les Palestiniens de Jénine, qui craignaient un retour aux tactiques militaires israéliennes de la deuxième Intifada et de la bataille de Jénine de 2002, au cours de laquelle plus de 50 Palestiniens avaient été tués à l’intérieur du camp.
Un peu plus de deux semaines plus tard, le lundi 3 juillet, les craintes des habitants du camp se sont vérifiées. Pendant les deux jours qu’a duré l’invasion, Israël a déployé des hélicoptères, des drones, des bulldozers et des milliers de soldats au sol. Les habitants ont également déploré des coupures d’eau et d’électricité.
Bien que les responsables militaires israéliens aient tenté de minimiser l’ampleur de l’opération, ce dernier assaut a marqué une rupture nette dans la stratégie militaire d’Israël quant aux raids sur les villes de Cisjordanie telles que Jénine, qui durent généralement quelques heures et sont menés par des forces spéciales sur le terrain. De nombreux Palestiniens et analystes politiques ont comparé les événements de ces derniers jours à la manière dont Israël opère à Gaza : un siège total, le bourdonnement constant des drones et l’utilisation des frappes aériennes comme principal mode de destruction et d’assassinat.
Et même si le raid s’est terminé par une victoire pour les deux parties, Israël a clairement indiqué que ce n’était pas la fin de ses opérations à Jénine, les médias israéliens affirmant que le prochain raid pourrait avoir lieu d’ici quelques jours seulement.
Israël s’oriente-t-il donc vers un modèle de type Gaza à Jénine ? Et à quoi ressembleront les prochains raids dans la ville ?
« Tondre la pelouse »
Vous avez probablement entendu l’expression « tondre la pelouse » ou « tondre le gazon », le plus souvent associée à la stratégie militaire d’Israël dans la bande de Gaza. L’idée est que toutes les quelques années ou tous les quelques mois, Israël « désherbe » les ressources croissantes des groupes militants palestiniens dans la bande de Gaza. Lorsque les capacités militaires de groupes tels que le Hamas et le Jihad islamique palestinien sont jugées trop importantes ou, dans de nombreux cas, lorsqu’Israël a besoin de remporter une victoire politique, il se rend à Gaza, largue quelques bombes et « tond la pelouse ».
Amjad Iraqi, membre du groupe de réflexion palestinien Al-Shabaka et rédacteur en chef du magazine +972, affirme que c’est la même politique qu’Israël semble adopter à Jénine.
« Israël n’a pas de solution définitive sur la manière d’agir face à la résistance palestinienne. La seule chose sur laquelle il peut s’appuyer est cette doctrine qu’il appelle « tondre la pelouse » ou « tondre le gazon » », a déclaré M. Iraqi à Mondoweiss au deuxième jour de l’opération de l’armée à Jénine.
« L’idée est d’essayer en permanence d’affaiblir ou d’étouffer les groupes militants palestiniens lorsqu’ils deviennent particulièrement actifs, comme nous l’avons vu au cours des derniers mois », a-t-il poursuivi. « C’est comme si l’on coupait l’herbe pour éviter qu’elle ne devienne trop haute. C’est la seule véritable stratégie dont ils disposent actuellement dans ces villes de Cisjordanie ».
Les responsables militaires israéliens ont clairement indiqué que l’opération de cette semaine était annonciatrice de ce que l’on peut attendre des futures incursions contre Jénine. « Nous sommes dans une série d’opérations ici », a déclaré lundi le chef du commandement central de l’armée israélienne, le général de division Yehuda Fox. « Comme nous l’avons fait il y a une et deux semaines, nous terminerons cette opération et nous reviendrons dans quelques jours ou une semaine, pour empêcher que cette ville ne devienne un foyer de terreur ».
Comme l’ont souligné les médias israéliens, l’opération de cette semaine « n’avait pas l’intention d’être une solution miracle » pour étouffer la résistance palestinienne à Jénine, mais « visait plutôt à être une reprise de la technique de dissuasion israélienne ».
« En substance, Israël veut pouvoir entrer dans Jénine et dans d’autres foyers de résistance armée palestinienne en Cisjordanie et « faire ce qu’il veut », tandis que l’Autorité palestinienne, qui gouverne techniquement la région de Jénine, reste à l’écart », a déclaré M. Iraqi.
« Il s’agit d’une politique de « gestion des conflits » et d’entretien, plutôt que de résolution, et d’une stratégie « quotidienne » pour Israël », a déclaré M. Iraqi.
Selon M. Iraqi, « la philosophie d’Israël consiste essentiellement à maintenir le régime d’apartheid, la domination militaire, le pouvoir des colons et le statu quo jusqu’à ce que soit trouvée une solution permanente. »
Il a toutefois ajouté que, malgré les déclarations d’Israël sur l’anéantissement total de la résistance palestinienne, l’occupation israélienne n’admettra jamais que cette politique de « tonte du gazon » n’est pas un moyen de dissuasion de la résistance, mais sert plutôt à la revigorer.
« L’occupation en soi est ce qui régénère la résistance. Que ce soit à Gaza, à Jénine ou ailleurs, l’occupation est ce contre quoi les Palestiniens se battent : le vol de la terre, la privation de la dignité, etc. »
La « gazafication » de Jénine
Ce qui a été le plus clairement démontré cette semaine, c’est le fait qu’Israël change radicalement son approche militaire à Jénine et en Cisjordanie, revenant à un style de guerre utilisé précédemment lors de la seconde Intifada. Selon M. Iraqi, ce qui se passe à Jénine pourrait être interprété comme une « Gazafication » de l’approche militaire d’Israël face à la résistance dans la ville.
« Nous avons vu que ce qui se passe à Gaza n’est pas séparé de ce qui se arrive en Cisjordanie », a déclaré M. Iraqi, ajoutant qu’Israël s’oriente vers un « style de gestion plus proche de celui de Gaza » à Jénine.
Gaza a été transformée en bantoustan, Israël utilisant divers systèmes de blocus et de siège, s’assurant de maintenir la population en cage et contrôlant tout ce qui entre et sort du territoire. Lorsqu’Israël estime que les factions militaires de Gaza font reculer les limites, l’armée procède à des frappes aériennes ou à des invasions.
Les frappes aériennes à Jénine, a déclaré M. Iraqi, montrent « à quel point l’armée israélienne considère Gaza comme un modèle ». Israël se demande « comment créer de petites Gaza en Cisjordanie ».
Ce processus est également visible, a ajouté M. Iraqi, dans la manière dont les responsables et les médias israéliens parlent de Jénine. En utilisant des termes tels que « ville refuge pour les terroristes » et « foyer de terreur », Israël diabolise activement Jénine dans la conscience publique, afin de justifier ses invasions actuelles et futures, ainsi que les bombardements et le ciblage de zones civiles densément peuplées, telles que le camp de réfugiés. Il s’agit des mêmes tactiques que celles utilisées pour diaboliser Gaza depuis des années, a déclaré M. Iraqi.
« Le premier objectif des régimes coloniaux est d’effacer et d’expulser la population indigène. Lorsque cela n’est pas possible, l’objectif suivant est ce que nous appelons la gazafication », a déclaré M. Iraqi. Cela consiste à créer des bantoustans, à concentrer des noyaux de « Palestiniens indésirables », tout en permettant à la puissance coloniale « d’avaler plus de terres et de gagner plus de contrôle ».
Maintenir l’apartheid, le but ultime
Quelle que soit la politique qu’Israël décide d’appliquer à Jénine ou à Gaza, l’objectif final est l’apartheid, a déclaré M. Iraqi.
« Si l’expulsion n’est pas possible, entretenir le système d’apartheid est faisable et nécessaire. C’est cet entretien qui fait naître l’idée de tondre la pelouse. Si vous ne pouvez pas vous débarrasser des populations indigènes, vous devez les apprivoiser », a-t-il déclaré.
Israël ne veut pas de solution politique, dit-il. Il a donc recours à l’idée d’une « administration permanente ».
« Nous le voyons dans la façon dont l’apartheid israélien est structuré. Il n’a pas d’idées nouvelles, parce qu’il ne veut donner aux Palestiniens aucun de leurs droits. Il n’est pas intéressé par une solution à deux États ou par une véritable égalité. L’État est entièrement fondé sur la suprématie juive, du fleuve à la mer », a déclaré M. Iraqi.
« Même lorsque l’armée mettra fin à l’opération, que ce soit dans quelques jours, quelques heures ou quelques semaines, nous pouvons toujours nous attendre à ce que les Palestiniens de Jénine subissent la violence de l’armée. Que ce soit par des raids et des incursions constants, ou par des frappes aériennes ».
M. Iraqi a ajouté que s’il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure la stratégie militaire d’Israël évoluera à Jénine, en fin de compte, « l’occupation continuera » et « les Palestiniens resteront privés de leurs droits fondamentaux sous toutes leurs formes ».
Traduit par : AFPS