En octobre 2022, 23 membres de la Knesset ont parrainé un projet de loi allant dans ce sens. Le projet de loi accorderait une immunité juridique absolue à tout soldat ou officier israélien pour des actes commis lors d’opérations militaires ou antiterroristes.
Parmi les auteurs du projet de loi, principalement issus du Likoud, parti de droite, et des partis d’extrême droite Sionisme religieux et Otzma Yehudit, figurent huit personnalités qui ont été retenues pour être ministres ou vice-ministres dans le nouveau gouvernement Netanyahou qui a prêté serment la semaine dernière.
Ce projet de loi est en contradiction flagrante avec les principes les plus connus issus des procès de Nuremberg : les principes selon lesquels les soldats sont pénalement responsables des crimes de guerre et le fait de "suivre simplement les ordres" ne constitue pas une défense contre de telles accusations.
Le rejet formel de ces principes par Israël a longtemps été impensable. L’exemple le plus célèbre est celui de la Cour suprême israélienne qui a rejeté l’argument de la "simple obéissance aux ordres" lors du procès d’Adolf Eichmann en 1961.
Ces principes ont été quelque peu affinés au fil des ans. Codifiés par la Commission du Droit international en 1950, les "Principes de Nuremberg" prévoient la responsabilité pénale de "toute personne" ayant commis un crime international. En outre, ils ont clairement rejeté la défense consistant à "suivre les ordres", dès lors qu’un "choix moral était en fait possible" pour l’accusé.
Des formulations ultérieures ont développé la notion de "possibilité de choix moral".
Dans le Statut de la Cour pénale internationale, les soldats sont responsables de crimes de guerre, même s’il y a eu l’ordre d’un commandant, à moins qu’ils "n’aient pas su que l’ordre était illégal" et que "l’ordre n’ait pas été manifestement illégal." Cette formulation est très proche de celle du tribunal israélien qui a tranché l’affaire Kafr Qasem en 1956 (suite au massacre par la police des frontières d’une cinquantaine d’Arabes).
Le projet de loi soumis en octobre rejette directement ces principes. Il prévoit une immunité absolue, sans aucune exception pour des "ordres manifestement illégaux". De plus, l’immunité qu’il accorde aux soldats se poursuit même après la fin de leur service militaire. Une immunité absolue et perpétuelle. Le projet de loi est, littéralement, une autorisation pour les soldats de commettre des crimes de guerre.
L’octroi de cette immunité absolue est non seulement immoral mais a de graves conséquences internationales. Les parties aux Conventions de Genève ont le devoir de poursuivre les "violations graves" de leurs dispositions, quel que soit le lieu où elles ont été commises. La Cour pénale internationale peut poursuivre les crimes de guerre définis dans son statut.
La proposition législative israélienne violerait donc non seulement les obligations d’Israël en vertu des Conventions de Genève, mais exposerait ses soldats à des poursuites ailleurs, à la fois devant la Cour pénale internationale et devant les tribunaux nationaux de toute partie aux Conventions de Genève.
L’ironie cruelle selon laquelle Israël pourrait accorder une immunité juridique pour les crimes de guerre 77 ans après les procès de Nuremberg est flagrante. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les crimes reprochés aux soldats israéliens sont comparables en gravité aux pires crimes commis par les nazis. Mais les procès de Nuremberg, les Conventions de Genève, le procès Eichmann et le statut de la Cour pénale internationale défendent des principes généraux qui s’appliquent à toutes les situations. La responsabilité individuelle pour les crimes de guerre, que les soldats aient ou non "suivi des ordres", est le plus important de ces principes.
Tout être humain devrait savoir qu’il ne faut pas tuer, battre ou torturer des prisonniers et des civils.
Tout être humain devrait savoir qu’il ne faut pas expulser les civils de leurs maisons. Tout être humain devrait savoir que ceux qui ont le pouvoir de diriger un territoire sont responsables de la vie et du bien-être de ceux qui sont sous leur contrôle.
Tout être humain devrait savoir que les punitions collectives sont injustes.
Tout être humain devrait savoir qu’appliquer des lois différentes aux personnes sur la base de leur appartenance ethnique est mal.
Le bilan d’Israël, même aujourd’hui, en ce qui concerne la poursuite des personnes accusées de tels crimes, est pour le moins irrégulier. Certaines de ces violations des Conventions de Genève sont, en effet, une politique officielle du gouvernement.
L’accord de coalition entre le Likoud et les partis Sionisme religieux et Otzma Yehudit appelle à une législation relative à la "responsabilité légale" des soldats, afin de "renforcer" ces derniers, une référence claire à l’octroi d’une certaine forme d’immunité. La disposition n’est pas aussi radicale que le projet de loi d’octobre qui prévoyait une immunité absolue. Elle prévoit apparemment une exception pour les crimes de guerre commis "par malveillance" et ajoute une mise en garde concernant la "conformité" au droit international.
Traduction Afps avec DeepL