L’ex-détenue palestinienne Hanaa Chalabi a été libérée en avril par Israël, mais bannie pour 3 ans à Gaza après une grève de la faim de 43 jours. © Ali Ali / Maxppp
La Palestine a trouvé son héros. À 33 ans, le prisonnier Khader Adnane, militant du groupe radical Jihad islamique, a réussi à faire plier les autorités israéliennes. Mais il a frôlé la mort. Arrêté le 17 décembre dernier par Tsahal près de Jénine, en Cisjordanie, le militant islamique a été emprisonné au seul motif qu’il mettait "en danger la sécurité d’Israël". Ce traitement spécifique, appelé "détention administrative", hérité du mandat britannique sur la Palestine, permet à l’État hébreu d’incarcérer sans inculpation ni jugement un suspect pour une période de six mois, renouvelable indéfiniment. Trois cent vingt Palestiniens sont aujourd’hui dans le même cas, certains depuis plusieurs années.
"Le niveau de preuve nécessaire à une détention administrative est encore plus bas que pour les cas criminels", indique au Point.fr Bill Van Esveld, rapporteur à Jérusalem de l’organisation Human Rights Watch. "Aucune preuve n’est présentée au détenu ou à son avocat", ajoute-t-il. Qualifié en février de "terroriste dangereux" par le porte-parole du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou - et donc promis à une longue détention -, Khader Adnane a décidé de recourir à la dernière arme dont il disposait : la grève de la faim.
Pendant 66 jours (soit le même nombre de jours que le républicain irlandais Bobby Sands, qui n’a, lui, pas survécu, NDLR), le militant a refusé de s’alimenter, devenant le plus long gréviste de la faim de l’histoire du conflit israélo-palestinien. Décrit par les médecins indépendants qui l’ont vu comme "en danger immédiat de mort", le prisonnier palestinien a finalement obtenu gain de cause, non sans avoir perdu 40 kilos. Sa peine n’a pas été renouvelée, et il a été libéré le 17 avril dernier. Or ce qui devait marquer un heureux dénouement s’est révélé être le début d’un mouvement sans précédent.
Un tiers des prisonniers palestiniens
Inspirés par ce succès, ce sont près de 2 000 prisonniers, soit près d’un tiers des 4 700 détenus palestiniens, qui ont pris le relais. Mercredi, soit deux semaines après le lancement de l’opération, ils étaient 2 000 selon l’Autorité palestinienne, 1 550 selon l’administration pénitentiaire israélienne, à refuser de s’alimenter. La relève est désormais assurée par Bilal Dia, 27 ans, et Thaer Halahla, 34 ans, tous deux accusés d’être membres du Jihad islamique. Ayant entamé leur grève de la faim il y a 65 jours, soit peu après Khader Adnane, ils flirtent aujourd’hui avec son "record", mais le payent par un état de santé des plus précaires.
Leurs revendications, aussi, se sont étendues. "Outre les détentions administratives, ils protestent contre les conditions d’incarcération des prisonniers palestiniens", explique au Point.fr Ran Cohen, membre de l’organisation des Médecins pour les droits de l’homme-Israël. "Le placement en isolement dans de petites cellules, le défaut de visites pour les prisonniers originaires de Gaza ainsi que l’absence d’accès à l’éducation et aux médias sont autant de droits qui leur ont été confisqués lorsque le soldat franco-israélien Gilad Shalit a été fait prisonnier, en 2006, par le Hamas", affirme le médecin.
Emprisonné pendant sept ans en Israël avant d’être libéré en décembre dernier, le militant franco-palestinien Salah Hamouri décrit un "projet délibéré visant à saper l’esprit et la connaissance politique des prisonniers palestiniens". La libération, en octobre dernier, de son compatriote Gilad Shalit, en échange d’un millier de détenus palestiniens, n’a pas rétabli pour autant les droits des prisonniers restants. Interrogée par le Point.fr, la porte-parole de l’administration pénitentiaire israélienne, Sivan Weizman, indique qu’aucun accord et qu’aucune promesse n’ont été "signés" en ce sens. Au sujet de l’absence de visites familiales pour les prisonniers de Gaza, la porte-parole explique : "Les habitants de Gaza - et donc les familles de détenus - n’ont pas l’autorisation de se rendre en Israël." Enfin, Siva Weizman précise : "Les détenus palestiniens sont incarcérés selon la loi nationale (israélienne, NDLR) et bénéficient de plus de droits que dans d’autres pays."
"Violations continues des droits de l’homme" (ONU)
Pourtant, mercredi, le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, Richard Falk, est monté au créneau en se déclarant "écoeuré par les violations continues des droits de l’homme dans les prisons israéliennes". "Depuis 1967, 750 000 Palestiniens, dont 23 000 femmes et 25 000 enfants, ont été en détention dans les prisons israéliennes, soit près de 20 % du total de la population palestinienne des territoires occupés", a-t-il rappelé.
"Des prisonniers principalement arrêtés en territoire palestinien et majoritairement jugés par des tribunaux militaires", souligne Bill Van Esveld, rapporteur de Human Rights Watch à Jérusalem. "Les cours martiales ont un taux de condamnation proche de 100 %. Pour elles, l’activisme politique, c’est-à-dire accueillir des meetings ou le fait d’exhiber des symboles nationalistes, demeure illégal sans l’obtention d’un permis délivré par les militaires israéliens", précise le chercheur.
L’ombre du Jihad islamique
"Le fait d’appartenir à une organisation définie comme terroriste par Israël suffit dans beaucoup de cas à justifier une arrestation, sans pour autant prouver que la loi a été enfreinte", renchérit Ran Cohen, membre de l’organisation des Médecins pour les droits de l’homme-Israël. De son côté, l’ex-détenu Salah Hamouri rappelle que la condamnation par un tribunal militaire israélien est déjà illégale au regard du droit international, puisque l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens par Israël ont été condamnées par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Le mouvement des grévistes palestiniens a vite dépassé le cadre des prisons israéliennes. "Si un des prisonniers en grève de la faim meurt, ce sera la fin de la trêve" avec Israël, conclue début mars, a averti lundi un leader du Jihad islamique à Gaza, faisant ressurgir une autre question soulevée par cette campagne palestinienne. En étant liées au Jihad islamique, considéré comme terroriste par Israël, les États-Unis et l’Union européenne, et dont la branche armée revendique la grande majorité des tirs sur Israël, les grandes figures du mouvement des prisonniers palestiniens ne délégitiment-elles pas leur cause ?
"Ce n’est pas le problème, répond Ran Cohen. Même les membres du Jihad islamique méritent de savoir pourquoi ils sont en prison et de bénéficier de protection. Il y a aussi des extrémistes juifs côté israélien, et ils ne sont pas placés en détention administrative."
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