Rq. Les sources
La mesure des transferts mondiaux
d’armement dépend d’un
nombre restreint de sources non
homogènes. Aucune d’entre elles
ne donne de résultats irréfutables,
mais leur rapprochement donne
des ordres de grandeur que l’on
peut utiliser jusqu’à plus ample
informé.
En ce qui concerne les données
mondiales, on utilise généralement
trois grandes sources, dont
deux donnent des données en
volume monétaire, une en quantités
physiques.
Les deux premières sources sont les
publications du SIPRI (Stockholm International
Peace Research Institute) d’une part
et du Service de recherche du
Congrès américain (CRS) (Congressional Research Service) d’autre part.
Le SIPRI publie depuis 1966 un
annuaire important qui comprend
notamment une évaluation des
transferts d’armes majeures. Les
chiffres du SIPRI (exprimés en dollars
aux prix de 1990 pour les dernières
parutions) ne sont pas la
mesure réelle des flux financiers
correspondants aux transferts mondiaux,
mais d’un indicateur basé
sur l’ensemble des contrats mondiaux
collationnés par le SIPRI
auxquels l’institut suédois applique
sa propre grille de prix de façon
à pouvoir faire des comparaisons
dans le temps et dans l’espace.
Ces chiffres permettent donc d’évaluer
les tendances du commerce
mondial des armements.
Le CRS publie tous les ans depuis
les années quatre-vingt dix un
rapport d’une centaine de pages sur
les transferts mondiaux d’armement
avec des données rétrospectives sur huit ans. [...] Cette publication
est devenue une référence.
Elle n’est pas à l’abri de critiques
méthodologiques car, basée sur
les données rassemblées par les
services américains, elle vise à diffuser
l’image forgée par ces services
de ce que sont les transferts
mondiaux. Néanmoins son usage
s’est généralisé.
Enfin les données en quantités
physiques sont celles qui sont
publiées tous les ans depuis 1992
dans le registre de l’ONU sur les
transferts d’armes classiques. Ce
registre a des limites : il est basé
sur les déclarations volontaires
des Etats (certains donc s’abstiennent),
il ne concerne que sept
grandes catégories d’armements (chars, blindés, artillerie de gros calibre, avions, hélicoptères, navires
et missiles et lanceurs) à l’exclusion
des armes légères et de petit
calibre. La dernière catégorie (missiles
et lanceurs) est hétérogène.
Les déclarations n’entraînent
aucune vérification. Le croisement
des déclarations montre des incohérences,
parfois significatives.
Mais là encore l’accumulation
depuis quinze ans constitue un
corpus exploitable. C’est donc en
gardant en tête ces précisions
qu’on lira les tableaux suivants.
Enfin, en ce qui concerne les transferts
d’armement, il faut distinguer
les commandes et les livraisons.
C’est le plus souvent le premier
chiffre qui est publié dans la presse,
mais c’est le second qui constitue
la réalité des transferts.[...]
Dans sa dernière livraison, le
SIPRI (tableau 1) , avec les données
cumulées sur la période 2001-
2005, classe Israël au douzième rang mondial
des vendeurs d’armes. Sur la période
2000-2004 Israël était en neuvième position,
et l’examen sur une période plus
longue montre que son rang oscille autour
de la dixième place.
Tableau 1 : Principaux fournisseurs mondiaux
d’armements selon le SIPRI (cumul 2001-2005)
Rang | Pays | Montant (en millions de dollars 1990) |
1 | Russie | 28982 |
2 | USA | 28236 |
3 | France | 8573 |
4 | Allemagne | 5603 |
5 | Royaume-Uni | 3933 |
6 | Ukraine | 2226 |
7 | Canada | 1971 |
8 | Pays-Bas | 1868 |
9 | Italie | 1858 |
10 | Suède | 1760 |
11 | Chine | 1583 |
12 | Israël | 1471 |
Israël, fournisseur et client
mondial
De son côté le CRS place Israël au septième
rang mondial en ce qui concerne
les commandes (tableau 2) pour la période
1998-2005, avec quasiment 8 milliards de
dollars de commandes reçues, provenant
majoritairement de pays en voie de développement
(47 milliards de dollars) et au
huitième rang en ce qui concerne les livraisons
(tableau 3) avec 5,6 milliards de dollars,
là encore majoritairement effectuées
vers des pays en voie de développement
(3,2 milliards de dollars).
Tableau 2 : Commandes mondiales
d’armements : principaux fournisseurs
selon le CRS (1998-2005) (en milliards de dollars courants)
Pays | Valeur 1998-2005 | Pays développés | Pays en développement |
---|---|---|---|
1 Etats-Unis | 97,1 | 30,1 | 67,1 |
2 Russie | 41,6 | 2,8 | 38,8 |
3 France | 30 | 11,7 | 18,3 |
4 Allemagne | 17 | 12,0 | 5,0 |
5 Royaume-Uni | 14,9 | 5,0 | 9,9 |
6 Chine | 9,1 | 0,8 | 8,3 |
7 Israël | 7,9 | 3,2 | 4,7 |
8 Suède | 6,8 | 4,6 | 2,2 |
9 Espagne | 5,7 | 3,0 | 2,7 |
10 Italie | 5,6 | 3,4 | 2,2 |
11 Ukraine | 5,5 | 2,7 | 2,8 |
Total | 241,2 | 79,3 | 162 |
Tableau 3 : Livraisons mondiales d’armements :
principaux fournisseurs selon le CRS
(1998-2005) (en milliards de dollars courants)
Pays | Valeur 1998-2005 | Pays développés | Pays en développement |
---|---|---|---|
1 Etats-Unis | 97,6 | 34,4 | 63,2 |
2 Royaume-Uni | 35,1 | 7,4 | 27,7 |
3 Russie | 30,5 | 2,5 | 28 |
4 France | 27,7 | 4,7 | 23 |
5 Allemagne | 10,8 | 7,8 | 3 |
6 Suède | 8,1 | 3,9 | 4,2 |
7 Chine | 6,3 | 0,7 | 5,6 |
8 Israël | 5,6 | 2,4 | 3,2 |
9 Canada | 4,9 | 4,9 | 0 |
10 Ukraine | 4,9 | 2,3 | 2,6 |
11 Italie | 2,9 | 1,5 | 1,4 |
Total | 234,4 | 72,5 | 161,9 |
Comme client, Israël est classé par le SIPRI
(tableau 4) au septième rang mondial pour
la période 2001-2005. Et entre 1998 et 2005,
le CRS évalue sa position au sixième rang
mondial (tableau 5) en ce qui concerne les
commandes avec 9,5 milliards de dollars et
au septième rang mondial (tableau 6) avec
9,2 milliards de dollars pour les livraisons.
Tableau 4 : Principaux acheteurs
mondiaux d’armement selon
le SIPRI (cumul 2001-2005)
Rang | Pays | Montant (en millions de dollars 1990) |
1 | Chine | 13343 |
2 | Inde | 9355 |
3 | Grèce | 6105 |
4 | Emirats arabes unis | 4867 |
5 | Royaume-Uni | 2927 |
6 | Egypte | 2901 |
7 | Israël | 2873 |
Tableau 5 : Commandes mondiales d’armement
1998-2005. Principaux clients (pays
en développement) selon le CRS
Rang | Pays | Montant (en milliards de dollars) |
1. | Inde | 20 700 |
2. | Emirats arabes unis | 17 600 |
3. | Chine | 16 700 |
4. | Arabie saoudite | 14 600 |
5. | Egypte | 13 600 |
6. | Israël | 9 500 |
7. | Taïwan | 8 900 |
8. | Corée du Sud | 6 900 |
9. | Afrique du Sud | 6 100 |
10. | Pakistan | 5 900 |
Tableau 6 : Livraisons mondiales d’armement
1998-2005. Principaux clients (pays
en voie de développement) selon le CRS
Rang | Pays | Montant (en milliards de dollars) |
1. | Arabie Saoudite | 50 100 |
2. | Chine | 14 300 |
3. | Taïwan | 13 900 |
4. | Emirats arabes unis | 11 400 |
5. | Egypte | 10 300 |
6. | Inde | 9 500 |
7. | Israël | 9 200 |
8. | Corée du Sud | 7 600 |
9. | Pakistan | 7 600 |
10. | Koweit | 3 700 |
L’ensemble de ces données - au delà des
variations particulières - situe donc Israël
à un rang notable dans les transferts mondiaux
d’armement : après le premier groupe
de pays (États-Unis, Russie, France,
Royaume-Uni, Allemagne) qui occupe
toujours les cinq premières places, Israël fait
partie d’un second groupe où il côtoie
notamment la Chine, l’Italie ou la
Suède [...]
Selon les matériels fournis sur la période
1992-2005 tels que recensés dans les déclarations
au registre de l’ONU, (tableau 7),
on constate la spécialisation d’Israël dans
l’artillerie et les missiles. En ce qui concerne
sa position comme client (tableau 8) on
observe que les États-Unis sont un fournisseur
quasi exclusif (à l’exception de trois
navires allemands) pour des quantités fort
importantes pour chacune des catégories,
à l’exception des chars, l’armée israélienne
étant équipée de la production nationale
de chars Merkava.
Tableau 7 : Livraisons de matériels majeurs
d’armement israéliens d’après le registre
de l’ONU (1992-2005)
Type de matériel | Client | Quantité | Total par catégorie |
---|---|---|---|
Chars | Uruguay | 15 | 15 |
Blindés | 5 | ||
Bostwana | 4 | ||
Etats-Unis | 1 | ||
Artillerie | 2808 | ||
Brésil | 2430 | ||
Etats-Unis | 142 | ||
Inde | 78 | ||
Slovénie | 74 | ||
Chili | 36 | ||
Ouganda | 21 | ||
Cameroun | 18 | ||
Colombie | 4 | ||
Roumanie | 3 | ||
Espagne | 2 | ||
Avions | 11 | ||
Sri Lanka | 5 | ||
Equateur | 4 | ||
Etats-Unis | 2 | ||
Navires | Mexique | 2 | 2 |
Missiles et lanceurs | 174 | ||
Etats-Unis | 132 | ||
Turquie | 30 | ||
Chili | 10 | ||
Inde | 2 |
Tableau 8 : Importations 1992-2005 de matériels
majeurs d’armement israéliens d’après
le registre de l’ONU
Type de matériel | Fournisseur | Quantité | Total par catégorie |
---|---|---|---|
Blindés | Etats-Unis | 457 | 457 |
Artillerie | Etats-Unis | 34 | 34 |
Avions | Etats-Unis | 256 | 256 |
Hélicoptères | Etats-Unis | 38 | 38 |
Navires | Allemagne | 3 | 6 |
Etats-Unis | 3 | ||
Missiles et lanceurs | Etats-Unis | 137 | 137 |
Il n’est pas sans intérêt de noter les divergences
(tableau 9) entre ce que les États-Unis déclarent avoir livré à Israël et ce que ce pays déclare avoir reçu des États-Unis : si la différence en ce qui concerne les avions
(125 avions « de plus » selon Israël) s’explique
peut-être par un problème de double déclaration
de 120 appareils, aucune des autres
différences (minoration générale des quantités
par Israël) ne trouve une telle explication.
Tableau 9 : Distorsions entre les déclarations
américaine et israélienne au registre
de l’ONU (1992-2005)
Type de matériel | Déclaration US d’export vers Israël | Déclaration israélienne d’importations provenant des Etats-Unis |
Blindés | 587 | 457 |
Artillerie | 64 | 34 |
Avions | 141 | 256 |
Hélicoptères | 74 | 38 |
Navires | - | 3 |
Missiles et lanceurs | 3494 | 137 |
Israël, l’Europe et la France
Le code de conduite européen adopté en
1999 par l’Union implique un rapport
annuel qui reprend les déclarations des
pays membres. Ce document pourrait être
une base statistique intéressante mais
jusqu’à présent le détail exagéré de ses
nomenclatures, sa présentation peu lisible
matériellement ainsi que le fait qu’il soit
publié uniquement en anglais à l’exclusion
des autres langues de l’Union - notamment
à l’exclusion des langues-pivots que
sont le français et l’allemand
dans lesquelles normalement
tout document
de l’Union doit être
publié -, font que sa diffusion
et son influence
sont restées marginales.
Le rapport annuel donne
cependant des indications
sur les transferts vers Israël
(tableau 10), mais le montant
indiqué ne correspond
ni à des livraisons ni
à des commandes mais à
des autorisations d’exportation
(licences issued).
Ces chiffres indiquent que
pour un montant limité (830 millions
d’euros en cinq ans) les transactions ont été
à 90% réalisées par les trois principaux
producteurs d’armements
de l’Union.
Tableau 10 : Ventes d’armes européennes à Israël
d’après les déclarations au code de
conduite européen (2001-2005) Valeur des autorisations d’exportation
Pays | Millions d’euros courants | % du total |
Allemagne | 363,3 | 44 |
France | 276,2 | 33 |
Royaume-Uni | 100,4 | 12 |
Belgique | 34,6 | 4 |
Tchéquie | 11,6 | 1 |
Pologne | 5,9 | 1 |
Italie | 5,7 | 1 |
Espagne | 5,7 | 1 |
Slovaquie | 5,6 | 1 |
Autriche | 5,2 | 1 |
Pays-Bas | 4,3 | 1 |
Grèce | 2,4 | 0 |
Slovénie | 1,4 | 0 |
Finlande | 1,0 | 0 |
Hongrie | 0,6 | 0 |
TOTAL UE | 828,4 | 100 |
Les ventes d’armes françaises
à Israël sont
connues avec précision
depuis 1991 par le rapport
au parlement sur
les exportations d’armement
publié annuellement
depuis mars
2000 [1]. On voit (tableau
11) que les montants
sont faibles, qu’il s’agisse
des commandes ou des
livraisons, en moyenne
de l’ordre de 20 millions
d’euros par an soit environ 0,4% des exportations
françaises d’armement [2]. L’importance
principale de ces ventes n’est donc pas
d’ordre économique. Il est
cependant regrettable qu’on
ne connaisse pas les transferts
de sens inverse , c’està-
dire les importations françaises
de matériel militaire
en provenance d’Israël. Le
problème n’est pas circonscrit
à Israël : les données
officielles sur les importations
sont très lacunaires [...]. Pourtant ces dernières
années la France a passé des
contrats avec Israël pour
des achats de matériel,
notamment des drones
Eagle dont trois exemplaires
seront livrés dans le cadre du programme
SIDM [3]. Ces drones, dérivés du drone
Heron de IAI (Israël Aircraft Industry) sont
réalisés par une équipe
intégrée EADS/IAI, dans
le prolongement de l’expérience
acquise avec les
drones israéliens Hunter
achetés en 1995. Le niveau
technique atteint par les
firmes israéliennes dans
ce type de matériel leur
ouvre les portes d’un
nombre significatif de marchés
pour l’avenir, même
si les formes exactes de la
coopération industrielle
dissimulent en partie la
coopération israélienne.
Tableau 11 : Ventes d’armes françaises à Israël
(1991-2005)
Année | Commandes | Livraisons (millions d’euros 2005) |
1991 | 23,5 | 34,1 |
1992 | 61,9 | 55,1 |
1993 | 14,3 | 48,6 |
1994 | 25,7 | 23,4 |
1995 | 17,6 | 15,3 |
1996 | 6,5 | 11,2 |
1997 | 4,7 | 5,1 |
1998 | 10,1 | 9,0 |
1999 | 9,2 | 4,5 |
2000 | 19,4 | 16,4 |
2001 | 20,7 | 14,1 |
2002 | 20,9 | 16,8 |
2003 | 13,6 | 15,0 |
2004 | 24,5 | 17,7 |
2005 | 18,5 | 13,2 |
Total | 291,1 | 299,5 |
Une industrie en expansion
La militarisation de la société et de la politique
israéliennes se traduisent très concrètement
par le développement de ses industries
d’armement et de ses capacités, dans
une situation où les quantités produites
ne sont pas seulement destinées à l’entraînement
mais sont utilisées à grande échelle :
du 12 juillet au 14 août 2006, les forces
aériennes israéliennes ont effectué vingt
mille sorties aériennes sur le Liban (dont
11% par les drones) sur près de 7000 objectifs,
déversant 19 400 bombes et 2 200 missiles.
En outre des dizaines de milliers
d’obus ont été tirés sur le Liban [4].
Les firmes israéliennes d’armement occupent
une place proportionnellement très importante par rapport à la taille du pays
(tableau 12) puisque sur les cent premières
firmes mondiales d’armement il y a quatre
sociétés israéliennes : IAI (Israël Aircraft
Industry) en progression très marquée
grâce à ses productions civiles, IMI (Israël
Military Industries) qui a subi une nette
contraction de ses effectifs et est en passe
de privatisation, Rafael et Elbit Systems,
toutes deux implantées dans l’électronique
et en progression marquée. C’est aussi la
situation de la Russie ou du Japon quand
des pays comme l’Italie ou l’Inde n’ont
que trois firmes classées dans les cent premières,
la Corée du sud, l’Espagne ou la
Suède deux seulement ou le
Canada une seule.
Tableau 12 : Firmes israéliennes d’armement classées dans le Top 100 du SIPRI
Yearbook 1993 et 2006 (en millions de dollars)
Année | Firme | Rang | Chiffre d’affaires total | Chiffre d’affaires d’armement | Résultat | Effectifs |
1991 | Israel Aircraft Industries | 34 | 1 410 | 1 606 | 22 | 17 100 |
2004 | Israel Aircraft Industries | 33 | 1 320 | 11 476 | 106 | 28 680 |
1991 | Israel Military Industries | 81 | 490 | 520 | -239 | 8 500 |
2004 | Israel Military Industries | 93 | 400 | 450 | 0 | 2 400 |
1991 | Rafael | 83 | 450 | 460 | 0 | 5 100 |
2004 | Rafael | 61 | 760 | 801 | 45 | 5 170 |
2004 | Elbit Systems | 48 | 940 | 940 | 53 | 5 500 |
Cette capacité technologique
se repère dans les
performances récentes
de l’industrie israélienne
qui en 2006, selon le
ministère israélien, a
exporté pour 4,8 milliards
de dollars d’armements ,
se classant ainsi au cinquième
rang mondial,
avec notamment des
ventes de 1,5 milliards
de dollars à l’Inde et un
milliard aux Etats-Unis [5].
On peut estimer le chiffre
d’affaires total de l’industrie
israélienne d’armement
pour 2006 à 6,4
milliards de dollars.
Les firmes israéliennes
multiplient les initiatives
à l’exportation : c’est ainsi que le contrat
de modernisation des Mirage 2000 de
l’armée de l’air indienne, théoriquement
dévolu aux firmes françaises, fait l’objet
d’une proposition non sollicitée mais très
concurrentielle de Elta, filiale de IAI, pour
un montant de 1,5 milliard de dollars [6].
Dans le même temps Rafael propose un
équipement de missile d’interception
Derby (1,8 milliard de dollars) concurrençant
le missile MICA de
MBDA. [7]
Par ailleurs IAI a entamé des négociations
avec la compagnie coréenne Korean Aerospace
Industries pour la réalisation
d’un avion commercial 8/10 places.
L’alliance éventuelle de ces
sociétés de pays cherchant
de manière parallèle à développer
les moyens d’une
autonomie dans les productions
stratégiques n’est
pas fortuite. Israël a également
des négociations en
cours avec la Turquie pour
des missiles antimissiles
Arrow (contrat d’un milliard
de dollars) et pour un
satellite militaire Gokturk
(200 millions de dollars) [8].
Les performances des
sociétés israéliennes
d’armement sont spécialement
développées dans le
domaine de l’électronique
de défense, des techniques
de guidage, de ciblage, du cryptage et des missiles et engins associés.
De même, les moyens du combat urbain
sont des spécialités reconnues. La guerre
d’occupation que mène Israël fournit en
effet un lieu d’expérimentation grandeur
nature des techniques et moyens du combat
urbain moderne, associés aux techniques
de pénétration de la société palestinienne,
permettant de « cibler » les personnes, avec
des procédés plus élaborés encore que ceux
mis en oeuvre par la dixième division parachutiste
de Massu, Trinquier, Godard et
autres Bigeard. La guerre technologique de
haut niveau se met au point dans les territoires
occupés pour le plus grand service
des politiques américains.
- Dessin d’Ibtissam Zein, 11 ans
L’ambiguïté de la relation israélo-américaine
L’appui des Etats-Unis à Israël et à sa politique
est une constante et se traduit économiquement
par des montants d’aide économique
et d’aide militaire décisifs. Mais
l’industrie israélienne cherche à desserrer
quelque peu l’étreinte de son allié qui dans
un certain nombre de cas limite sa liberté
de manoeuvre. Ainsi, en 2000, Israël avait
signé avec la Chine un contrat pour la fourniture
de quatre avions radars Phalcon (des
Illiouchyne 76 équipés par IAI de moyens
de surveillance électronique modernes).
Pour ce contrat de deux milliards de dollars,
la Chine avait versé un acompte de 250 millions,
mais l’exécution du contrat s’est heurtée
à une opposition tenace des Etats-Unis,
William Cohen déclarant en avril aux dirigeants
israéliens : « Les Etats-Unis n’entendent
pas appuyer la vente à la Chine d’une
telle technologie parce qu’elle menace la stabilité
de la région et entretient la course aux
armements entre Taïwan et Pékin » [9], opposition
renforcée par la menace du responsable
de la sous-commission des opérations
d’aide internationale au congrès, Sony Callahan,
de soustraire de l’aide américaine le
montant du contrat. Dans un premier temps,
les dirigeants israéliens ont tenté de passer
outre et le ministre des Affaires étrangères,
David Lévy, avait déclaré : « Nos amis américains doivent comprendre que nous avons
nos intérêts à défendre. » [10] Mais, malgré
l’importance de l’enjeu pour IAI, en juillet,
Ehoud Barak était obligé d’écrire aux autorités
chinoises pour expliquer qu’il ne pouvait
honorer sa signature « à cause des
efforts menés conjointement avec les États-
Unis pour parvenir à un accord historique
qui préserve ses intérêts vitaux. » [11]
Auparavant Madeleine Allbright avait déjà
tancé publiquement les dirigeants israéliens
à propos d’une éventuelle acquisition
d’avions Airbus par la compagnie El Al, au
lieu d’appareils Boeing, en déclarant à Tel
Aviv : « Si El Al, compagnie publique, préfère
Airbus, adressez-vous la prochaine fois
que vous aurez besoin d’une aide aux Français
ou aux Anglais. » [12] De même les sociétés
israéliennes ont dû renoncer aux contrats
en discussion avec le Venezuela pour ne
pas déplaire à Washington, et la vente de
système Arrow à la Turquie est sous surveillance
américaine, de même que la commercialisation
des missiles Python-4 coproduits
par Rafael et la société américaine
Lockheed-Martin.
Dans le passé, c’est sous la pression américaine
que le projet d’avion de combat
Lavi a finalement été abandonné. Et toutes
les aides américaines ne satisfont pas nécessairement
les entreprises israéliennes : ainsi
la livraison des derniers 60 F-16 de l’armée
de l’air israélienne s’est-elle faite sur des
crédits américains, mais au détriment des
intérêts de IAI qui espérait obtenir le marché
de remise à niveau des F-16 existants.
- Dessin de Fouad Naïf Shahrour, 11 ans.
Une des contradictions majeures qui pèsent
sur l’industrie israélienne d’armement est
la tension entre l’objectif de fournir aux
forces armées les moyens du conflit, éventuellement
globalisé, et une ouverture croissante
au marché international, justifiée par
la nécessité d’équilibrer les dépenses sans
demeurer dans une dépendance excessive
des fonds américains. Cela passe aujourd’hui
parfois par le fait que des exportations israéliennes
sont « dissimulées » dans l’activité
de co-entreprises européennes : ainsi les
missiles Spike acquis par la Finlande, les
Pays-Bas, la Roumanie et la Pologne l’ontils
été auprès de Eurospike, co-entreprise
qui associe depuis 1997 Rafael aux sociétés
allemandes Diehl et Rheinmetall. De
même Rafael commercialise son système
de ciblage Litening par l’intermédiaire de
la société allemande Zeiss [13].
Une recherche de coopération
avec l’Europe
C’est cette volonté d’augmenter son degré
d’autonomie qui explique la stratégie de
l’industrie israélienne d’armement vis-à-vis
de l’Europe, celle d’une recherche de
coopération plutôt que d’un affrontement
brutal. Ce mouvement est spécialement
marqué dans le domaine de la recherche-développement,
moins visible que celui
des productions proprement dit et
il se traduit par la multiplication d’accords
de recherche, de sous-traitance, de
coopérations, de volumes limités chacun
mais qui commencent à constituer un
ensemble qui va peser, surtout dans les
domaines d’excellence israéliens (drones
notamment).
Paradoxalement, cette recherche de liens, voire cette cour faite aux industries
européennes, peut fournir à la France
et à l’Europe des moyens de pression sur
Tel Aviv pour l’obliger à changer de politique.
De même, Il apparaît singulier que
la perception officielle française de la situation
d’Israël dans les territoires occupés
soit aussi irénique que celle qui transparaît
dans le rapport au parlement sur les
exportations d’armes de la France : ce
document comporte en annexe une série
de « fiches-pays » qui précisent les caractéristiques
du pays concerné, avec entre
autres un champ intitulé « Mesures restrictives
et embargos ». Dans le cas israélien,
ce champ porte la mention « sans
objet », comme si la politique d’occupation
israélienne ne justifiait pas que la
France restreigne ses échanges de matériels
militaires avec ce pays...
Le développement récent des liens militaires
avec Israël doit être un objet d’attention
de la part de ceux qui veulent une
paix juste et durable dans cette partie du
monde.
On trouvera une présentation
détaillée de l’industrie d’armement
israélienne dans l’article de Jean-Paul Hébert : « Armement et pays émergents :
Brésil, Israël, Corée du Sud », Cahier d’Etudes
stratégiques, n°33, juin 2002, 152 pages.