« Si Nétanyahou sort un lapin de son chapeau, on verra. Mais pour l’instant, je ne vois ni lapin ni chapeau. » Ainsi parlait Moshe Kahlon, ministre des Finances et pilier centriste de la très droitière coalition au pouvoir en Israël, samedi soir. A ce moment précis, dans le geyser de déclarations qui marquent toujours la fin du shabbat, le Premier ministre israélien apparaît inhabituellement fragilisé. Celui que l’on surnomme plus ou moins ironiquement « Monsieur Sécurité » est accusé par ses rivaux – à l’extrême droite comme au centre, à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement – d’avoir fait preuve de faiblesse face au Hamas, alors qu’il s’est engagé, via des négociations menées par l’Egypte et l’ONU, à une politique de détente envers Gaza, financée par le Qatar, après des mois de tensions. Lâché par son ministre de la Défense, le « Roi Bibi » (titre d’un documentaire actuellement en salles en Israël) semble alors incapable d’empêcher l’effondrement du frêle château de cartes qu’est sa coalition. Avec sa conséquence inéluctable : la tenue d’élections anticipées au pire moment pour lui, alors que 75 % des Israéliens s’opposent à sa stratégie à Gaza. Et les commentateurs de la Knesset de prédire la chute imminente du « gouvernement le plus à droite de l’histoire de l’Israël »… par sa droite. Rien de tout cela ne s’est produit. Une fois encore, Nétanyahou a prouvé qu’il était le Houdini de l’exercice du pouvoir. Pieds et poings liés, il finit toujours par sortir de sa boîte, et ceux qui avaient tenté de l’y mettre se retrouvent avec la scie en travers de l’abdomen. Retour sur une semaine de crise politique et ses potentielles conséquences sécuritaires, législatives et électorales.
Acte I : Cessez-le-feu à Gaza et passe d’armes à la Knesset
Mardi dernier, contre l’avis de l’opinion publique, Nétanyahou a rapidement accepté le cessez-le-feu des factions gazaouies. Ces dernières venaient de tirer 470 roquettes en moins de quarante-huit heures sur le sud du pays – un record – lors d’une énième flambée de violence, provoquée par l’incursion d’une unité spéciale israélienne dans Gaza, déjouée par le Hamas. Dès l’annonce de la fin des hostilités, le Hamas a crié victoire, alors que des centaines d’habitants du pourtour de Gaza, surtout des jeunes hommes en âge d’être rappelés sous les drapeaux, manifestaient, réclamant une guerre que Nétanyahou juge « non nécessaire ». Pour marquer son désaccord avec ce qu’il a décrit comme une « capitulation face au terrorisme », l’ultranationaliste Avigdor Lieberman quitte dès le lendemain la coalition, au prix du plus prestigieux des maroquins : le ministère de la Défense. Et il entraîne avec lui cinq députés.
Nétanyahou gouverne désormais avec la plus petite majorité possible à la Knesset, 61 sièges sur 120. A la merci du moindre caprice d’un député, l’ultrapersonnalisation de la politique israélienne s’y prêtant facilement. Au plus mal dans les sondages, Lieberman voit dans sa démission la seule façon d’assurer sa survie en se rachetant une aura de faucon, pourtant déjà bien déplumé. A la Défense, le russophone n’a jamais pesé, ses positions va-t-en-guerre constamment contredites par les décisions du Premier ministre et des généraux, et ridiculisées dans les médias.
Acte II : L’ultimatum de Naftali Bennett
Pour ne pas être en reste, le ministre de l’Education, Naftali Bennett, leader du parti religieux et pro-colons le Foyer juif, lance aussitôt un ultimatum à Nétanyahou. S’il n’obtient pas la Défense, qu’il convoite depuis des années, il quitte la coalition, forçant des élections anticipées. Nétanyahou n’a rien contre le principe, mais veut garder la main sur le timing et les thèmes de campagne. Il veut faire du scrutin un référendum sur ses déboires juridiques (visé dans plusieurs affaires de corruption, il pourrait être inculpé dans les mois à venir), pas sur sa politique à Gaza. L’ambitieux Bennett, héraut d’une extrême droite messianique décomplexée dont l’aversion pour Nétanyahou est notoire (il fut son chef de cabinet avant d’être éjecté de son premier cercle pour des raisons jamais éclaircies), doit prouver qu’il est aussi belliqueux que Lieberman. Cet ancien des forces spéciales, qui déclara en comité ministériel avoir « tué beaucoup d’Arabes, et il n’y a aucun problème avec ça », a passé les derniers mois à traiter Lieberman de « faible », quand ce dernier appliquait à contrecœur la politique sécuritaire du Premier ministre.
Son punching-ball favori sorti du gouvernement, Bennett s’attaque directement à Nétanyahou, qu’il accuse de conduire une « politique de gauche » et s’enferre dans la radicalité. Car l’entourage de « Bibi » a désormais trouvé sa rengaine, apocalyptique à souhait, et la martèle sur toutes les ondes : saborder un gouvernement de droite est irresponsable et porte la gauche au pouvoir, avec son lot de catastrophes afférentes. Et de citer les élections de 1992, alors remportées par Yitzhak Rabin qui lança ensuite le processus d’Oslo (vécu comme un cataclysme à droite) et celles de 1999, où Ehud Barak évinça Nétanyahou avant que la seconde intifada n’éclate.
Dans les sondages, le Likoud de Nétanyahou est toujours en tête, autour de 30 sièges, mais accuse le coup. Surtout, pour la première fois, une formation de gauche pourrait le talonner et gagner. Mais uniquement si elle est menée par l’ancien chef d’état-major de Tsahal Benny Gantz, dont la reconversion est anticipée depuis des mois mais ne s’est toujours pas matérialisée.
En embuscade, Moshe Kahlon appelle lui aussi à de nouvelles élections, sous prétexte que l’instabilité de la coalition est néfaste pour l’économie. En coulisse, il fait monter les enchères. Reçu par Nétanyahou dimanche soir, il obtient une revalorisation des salaires des policiers, qu’il saura convertir en manne électorale. Pour Nétanyahou, une première bombe de désamorcée. Dans la foulée, il annonce qu’il tiendra une allocution solennelle à la Kirya, le siège de la Défense à Tel-Aviv. Pile à l’heure pour les journaux télévisés.
Acte III : Le discours à la Churchill
Sa déclaration dure un quart d’heure, lugubre à souhait. « Du Churchill sans les Allemands », résume Ben Caspit, l’éditorialiste star du quotidien Maariv. Visage fermé, Nétanyahou commence par revenir sur ses états de service dans la plus prestigieuse des unités d’élite de Tsahal, la Sayeret Matkal, et le nombre de fois qu’il a mis sa vie en danger pour le pays et celle de son frère, perdue lors du raid sur Entebbe (Ouganda), en 1976. L’objectif : rappeler à Bennett qu’il n’est pas le seul soldat d’élite au conseil de sécurité. Et asseoir sa légitimité de chef des armées, puisqu’il a décidé de garder le portefeuille de la Défense pour lui seul. Comme le fondateur de l’Etat hébreu, David Ben Gourion, en son temps, ou Rabin et Barak après lui. Sauf que Nétanyahou est aussi ministre des Affaires étrangères et de la Santé… Du jamais vu, même s’il devrait nommer un chef de la diplomatie dans les prochains jours. « L’Etat, c’est moi, l’Etat, c’est Bibi », raille-t-on sur les réseaux sociaux, où le visage de Nétanyahou est « photoshopé » sur celui de tous les autres ministres. Martial à souhait, il évoque une « situation sécuritaire si complexe » qu’il ne peut en révéler l’ampleur, et qui, surtout, ne se prête ni aux calculs politiciens ni aux élections. « Si c’est une raison pour ne pas avoir d’élections, Ben Gourion serait toujours Premier ministre… » tacle Joshua Davidovich dans le Times of Israel. Nétanyahou joue sur les peurs, explique que ce qui se joue à Gaza est une campagne au long cours, pour laquelle il a un « plan » et qui demandera des « sacrifices » en vies humaines. Le tableau ainsi dressé, il fustige les carriéristes, et met le couteau dans la main de Bennett, qui doit annoncer le lendemain s’il fait tomber, ou pas, le gouvernement. En partant, Nétanyahou esquive les journalistes d’un tranchant : « J’ai du travail. »
Acte IV : Bennett cède mais appelle à la droitisation
Bennett se présente derrière un pupitre à la Knesset, le visage blême des nuits agitées. « Israël a cessé de vaincre, déclare-t-il. Je l’ai vu. La confusion, le chaos, le manque de détermination. On nous fait croire qu’il n’y a pas de réponse au terrorisme et aux roquettes. Il y a une réponse : recommencer à gagner. » Mais ce violent réquisitoire de l’ère Nétanyahou n’est là que pour faire avaler à sa base sa volte-face : il soutient désormais le Premier ministre dans lequel il voit une nouvelle direction - à droite, enfin. Mais Bennett exige des gages : il évoque à plusieurs reprises le village bédouin de Khan al-Ahmar, dont Nétanyahou avait gelé la démolition. « Je n’ai pas besoin d’un superviseur de droite », a-t-il tonné lundi après-midi, alors qu’on apprenait qu’il aurait promis à des cadres du Likoud qu’il donnerait l’ordre de raser le village « très rapidement ».
Ses services ont envoyé aux médias une photo de lui en réunion, sourire carnassier aux lèvres. « Ce gouvernement a encore un an devant lui », jure-t-il. Mais, derrière cette posture victorieuse, sa marge de manœuvre s’est réduite. Autorisera-t-il les prochaines injections de cash qatari à Gaza ? Cédera-t-il à l’extrême droite qui réclame l’instauration de la peine de mort pour les « terroristes » palestiniens ? Et, surtout, à la prochaine escalade avec le Hamas, pourra-t-il à nouveau résister aux faucons ?