Photo : Un Palestinien et son fils travaillent sur le filet de pêche au port principal de la Bande de Gaza, le 15 février 2012 (Active Stills, Anne Paq)
C’est le début de la matinée, ensoleillée malgré une brise fraîche. Jihad al-Hissi est occupé à aider ses collègues pêcheurs à préparer un bateau pour une journée en mer.
Les tâches qu’ils accomplissent ne devraient rien avoir d’inhabituel : les pêcheurs du monde entier les font en permanence. Pourtant, la tension est presque palpable : Jihad, 56 ans, craint que son bateau ne revienne pas au port.
L’année dernière, pendant huit mois, le bateau a été retenu par les autorités israéliennes après que son équipage se soit aventuré un peu au-delà de la petite zone dans laquelle les pêcheurs de Gaza sont autorisés à opérer.
Pour Jihad, l’éloignement du bateau a été un véritable déchirement.
"Nourrir nos familles a été très difficile pendant ces mois", a-t-il déclaré. "Tout ce que nous savons faire dans la vie, c’est pêcher."
Finalement, le bateau - baptisé Al-Haj Rajab, du nom du père de Jihad - lui a été restitué à des conditions strictes. Il a dû payer environ 5 500 dollars et a été averti qu’il ne pouvait pas s’éloigner de plus de trois milles nautiques de la côte.
Jihad craint que le bateau ne soit à nouveau saisi à tout moment. Les autorités israéliennes ont entamé une procédure judiciaire afin de confisquer définitivement le bateau.
"Terrifiant et cruel"
Le calvaire a commencé le 14 février 2022.
Ce jour-là, Nihad, le frère de Jihad, était le capitaine du bateau. Nihad et d’autres membres de sa famille élargie étaient en train de descendre leurs filets dans la mer, lorsque trois navires israéliens se sont approchés d’eux à grande vitesse.
Les Israéliens ont attaqué Nihad et son équipage avec des balles en acier recouvertes de caoutchouc et des canons à eau. Une fois à côté du bateau, trois commandos israéliens ont sauté à bord en criant et en continuant à tirer.
"Ils ont même utilisé des armes à électrochocs sur nous à plusieurs reprises", a déclaré Nihad.
"Ce fut l’expérience la plus terrifiante et la plus cruelle de ma vie", a-t-il ajouté. "Non seulement parce que j’étais en danger, mais aussi parce qu’il était difficile de voir mes fils et mes neveux blessés et menottés."
Les six pêcheurs, dont Nihad, ont été arrêtés et emmenés à Ashdod, une base navale en Israël.
Plus tard, les pêcheurs ont été emmenés au poste de contrôle militaire d’Erez, qui sépare Israël de Gaza. Ils ont été interrogés avant d’être relâchés en fin de soirée.
L’excuse avancée par Israël pour justifier sa brutalité est que le bateau se trouvait en dehors de la zone de pêche autorisée.
Nihad a souligné qu’il est souvent impossible de pêcher suffisamment de poissons à l’intérieur de la zone autorisée. Les pêcheurs doivent aller plus loin dans l’espoir d’avoir une prise journalière suffisante.
Autrement, leurs activités ne seraient pas viables économiquement.
En vertu des accords d’Oslo, signés entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine dans les années 1990, les pêcheurs de Gaza peuvent s’aventurer jusqu’à 20 milles nautiques du rivage.
Israël n’a pas respecté ces accords.
Une procédure sans précédent
Il a modifié à plusieurs reprises les limites imposées aux pêcheurs. À certains moments, Israël a réduit la zone à seulement trois milles nautiques et a même interdit aux pêcheurs de prendre la mer pendant certaines périodes.
Si les attaques navales contre les pêcheurs de Gaza sont fréquentes, la procédure judiciaire engagée par Israël contre la famille al-Hissi est considérée comme sans précédent.
Selon Gisha, un groupe israélien de défense des droits de l’homme, les autorités essayent à tort d’invoquer des dispositions du droit international. Ces dispositions concernent la saisie de navires ennemis et, selon Gisha, ne devraient pas être appliquées à des civils.
Il est particulièrement ironique qu’Israël se pose en défenseur du droit international dans cette affaire.
Les restrictions imposées par Israël aux pêcheurs et la violence à laquelle il les a soumis constituent une punition collective. Ce crime est proscrit par la quatrième convention de Genève, pierre angulaire du droit international.
Al Mezan, un groupe de défense des droits de l’homme basé à Gaza, a constaté qu’Israël avait mené des centaines d’attaques contre des pêcheurs palestiniens au cours de la seule année 2022. Ces attaques se sont poursuivies au cours des premiers mois de cette année.
La saisie de son bateau par Israël a posé de gros problèmes au Jihad.
Comme il n’avait pas de revenus, ses dettes se sont accumulées. Et lorsque le bateau lui a finalement été rendu, il avait subi de graves dommages.
Certains de ces dommages résultaient directement de l’attaque. D’autres dommages sont dus au fait que le moteur du bateau a été exposé aux éléments pendant les huit mois où il est resté à Ashdod.
Les réparations ont coûté environ 11 000 dollars.
Jihad a également perdu des filets et d’autres équipements de pêche qui avaient été jetés à la mer juste avant l’attaque.
Le remplacement du matériel a coûté 10 000 dollars supplémentaires. Jihad a dû emprunter massivement pour pouvoir payer ces factures.
Alors que de nombreux pêcheurs ont abandonné la profession depuis qu’Israël a imposé un blocus total à la bande de Gaza en 2007, Jihad est déterminé à continuer à exercer son métier.
Il considère que c’est son devoir de le faire, car il vient d’une famille de pêcheurs. Il se souvient des histoires que lui racontait son père sur son travail de pêcheur à Jaffa.
La famille est originaire de cette ville portuaire de la Palestine historique. Ils ont déménagé à Gaza après avoir été déracinés lors de la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948.
"Même lorsque mon bateau m’a été retiré, j’ai insisté pour aller au port [de Gaza] tous les matins", explique Jihad. "La vie loin de l’air de la mer est insupportable."
Traduction : AFPS