I. L’Iran, un cas d’école
Paris, 10 septembre 2009 – Le président Barack Obama fixera le cap de sa stratégie à propos de l’Iran à l’occasion de la session spéciale du Conseil de sécurité qu’il présidera le 24 septembre, où, pour la première fois dans les annales diplomatiques, un sommet des dirigeants des quinze états membres de cette instance internationale devrait se tenir, ce jour là, sous son autorité, en vue d’inscrire le problème général du désarmement nucléaire et de la non-prolifération à l’ordre du jour de l’agenda international.
Les Etats-Unis assurent la présidence tournante du Conseil de sécurité pour le mois de septembre. Barack Obama a voulu mettre à profit cette occasion pour donner une solennité particulière à son engagement en faveur de la non prolifération et accréditer l’idée que le cas iranien participe d’un objectif stratégique globale de la diplomatie américaine, le désarmement nucléaire de la planète. La prestation de M. Obama pourrait se réduire à un effet d’annonce contre-productif en ce qu’elle pourrait être perçue par l’Iran et les autres candidats au seuil nucléaire comme une ruse diplomatique si elle n’était pas assortie de fermes engagements concernant les autres puissances nucléaires et un calendrier de désarmement contraignant pour Israël.
La réévaluation de la politique américaine sur le dossier nucléaire iranien à laquelle est associée le groupe de contact sur l’Iran (1) se déroule sur fond d’une mobilisation psychologique, médiatique et militaire sans précédent du camp occidental, aiguillonné par Israël, en vue de faire plier Téhéran sur ce qu’il considère être sa principale réalisation stratégique depuis l’instauration de la République islamique en 1979, il y a trente ans : l’accession au seuil nucléaire, justification suprême de tous ses sacrifices.
L’accession de l’Iran au rang de « puissance du seuil nucléaire », en dépit d’un embargo de trente ans doublé d’une guerre de près de dix ans imposée à l’Iran par Irak interposé, a suscité l’admiration de larges fractions de l’opinion de l’hémisphère sud qui ont vu dans cet exploit technologique incontestable la preuve parfaite d’une politique d’indépendance, en ce qu’il débouche sur la possibilité pour l’Iran de se doter d’une dissuasion militaire en même temps que de maintenir son rôle de fer de lance de la révolution islamique.
Dans une zone de soumission à l’ordre israélo américain, le cas iranien est devenu de ce fait un cas d’école, une référence en la matière, et, l’Iran, depuis lors, est devenu le point de mire d’Israël, sa bête noire, dans la foulée de la destruction de l’Irak, en 2003. Dès l’enlisement américain en Irak, M. Dominique Strauss-Kahn, futur directeur du Fonds Monétaire International et pro israélien avéré, sonnait d’ailleurs l’alarme en invitant les pays occidentaux à rectifier le tir et à cibler non plus l’Irak mais l’Iran (2). Il a été aussitôt relayé par le transfuge socialiste Bernard Kouchner, à sa nomination à la tête du ministère français des affaires étrangères, dans la foulée de son ralliement atlantiste, ainsi que par leur parrain conjoint, Nicolas Sarkozy.
Le président français a résumé la nouvelle position française par une formule qui se voulait lapidaire mais qui s’est révélée être d’une démagogie rudimentaire : « la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran » (3). Le déploiement militaire français dans le Golfe, à Abou Dhabi, de même que la bruyante contestation française des résultats des élections présidentielles iraniennes ainsi que les doutes des Français sur la fiabilité du Directeur Général de l’Agence atomique de Vienne, l’égyptien Mahmoud el Baradéï, participent de cette logique de guerre dont l’universitaire française Clotilde Reiss en a été, en Juillet Août 2009, la victime au titre de dommage collatéral.
II. Première épreuve diplomatique d‘importance de Barack Obama
Le primat d’Israël conditionne le récit médiatique occidental et obère la crédibilité de sa démarche, en ce qu’elle révèle une distorsion de comportement des pays occidentaux face aux puissances nucléaires. Les Etats-Unis et l´Union européenne contrôlent 90% de l´information de la planète et sur les 300 principales agences de presse, 144 ont leur siège aux Etats-Unis, 80 en Europe et 49 au Japon. Les pays pauvres, où vit 75% de l´humanité, possèdent 30% des médias du monde (4).
Israël, unique puissance nucléaire du Moyen-Orient, a ainsi constamment bénéficié de la coopération active des États occidentaux membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, France, Grande-Bretagne) pour se doter de l‘arme atomique, bien que non adhérent au Traité de non-prolifération.
Il en est de même de l’Inde et du Pakistan, deux puissances nucléaires asiatiques antagonistes, qui bénéficient néanmoins d’une forte coopération nucléaire de la part des États-Unis et de la France en dépit de leur non ratification du traité de non-prolifération nucléaire.
L’argumentaire occidental gagnerait donc en crédit si la même rigueur juridique était observée à l’égard de tous les autres protagonistes du dossier nucléaire, au point que la Chine et la Russie, les principaux alliés de l’Iran, se sont dotées d’une structure de contestation du leadership occidental à travers l’organisation de coopération dite « le groupe de Shanghai », pour en faire une OPEP nucléaire regroupant les anciens chefs de file du camp marxiste (Chine et Russie), ainsi que les Républiques musulmanes d’Asie centrale, avec l’Iran en tant qu’observateur (5).
L’Iran apparaît ainsi du fait de la pression israélienne, relayée par ses alliés européens notamment la France, comme la première épreuve diplomatique d‘importance de Barack Obama, neuf mois après son accession à la présidence américaine. Mais la focalisation du débat sur le nucléaire iranien pourrait contrarier l’approche binaire de la nouvelle diplomatie américaine, visant la promotion d’un règlement négocié du conflit israélo-palestinien parallèlement à une neutralisation de l’Iran à défaut d’une normalisation des relations irano américaines, en vue de se dégager du bourbier afghan.
Le forcing des faucons israéliens autour du premier ministre Benyamin Netanyahu répond, d’une manière sous jacente, au souci de reléguer au second plan, voire à occulter, une donnée majeure de la diplomatie internationale contemporaine, le blocage israélien sur le règlement du dossier palestinien, au point que des commentateurs pro israéliens n’hésitent pas à évoquer la possibilité d’un arrangement implicite entre Israël et les Etats-Unis, autorisant l’Etat hébreu à se lancer à l’assaut des infrastructures atomiques iraniennes, ou à tout le moins, contre son allié chiite le Hezbollah libanais, en contrepartie de concessions sur la question palestinienne, notamment l’arrêt de la judaïsation rampante de la Palestine en vue de l’édification d’un Etat indépendant. Selon un rapport du Israeli European Policy, le coût de la colonisation de la Cisjordanie s’élèverait à près de 18 milliards de dollars (6).
Barack Obama a semblé donner un coup d’arrêt à cette dérive, donnant à penser qu’il n’entendait pas se laisser dicter sa politique. Il a dépêché cet été trois émissaires au Moyen-Orient pour faire entendre raison aux dirigeants israéliens, faisant valoir qu’une attaque contre l’Iran desservirait en dernier ressort Israël.
On prête en effet l’intention au Président Obama de mettre à profit la fin du mois du jeûne de ramadan, vers le 20 septembre, pour lancer son plan de paix du Moyen-orient simultanément à la publication du rapport du parquet du tribunal spécial sur le Liban, parallèlement au lancement solennel du débat sur le désarmement nucléaire à l’ONU.
Selon ce schéma, la publication du plan américain qui prévoit la création d’un état palestinien indépendant en même temps que le rapport de la juridiction internationale, -qui mentionnerait selon des indiscrétions distillées dans la presse occidentale notamment Der Spiegel, une éventuelle implication du Hezbollah dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri-, encouragerait les Etats arabes à rallier ouvertement la stratégie américaine en dépit des douloureuses concessions qu’ils sont invités à consentir, tout en réduisant la capacité de nuisance de l’Iran et son allié chiite libanais.
Cette démarche à double détente viserait, d’une part, à rallier les états arabes à la stratégie américaine de confinement de l’Iran, et, à peser, d’autre part, sur l’Iran et son allié régional, le Hezbollah libanais. Un sommet israélo-palestinien, le premier du genre depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre israélien Benyamin Netannyahou en mars dernier et la reconduction à la tête du Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas, en Août, devrait se tenir à l’occasion du sommet du G20 prévu les 24 et 25 septembre à Pittsburgh (Pennsylvanie), sous le parrainage de Barack Obama, au moment où plusieurs arabes (Bahreïn, Emirats Arabes unis, Qatar et Maroc) ont donné à savoir qu’ils envisageraient de normaliser leurs relations avec Israël en contrepartie du gel de la colonisation israélienne de la Cisjordanie.
Le procès qu’entend faire le 26 octobre prochain l’Egypte pour « atteinte à la sûreté de l’état » à un groupe de militants du Hezbollah coupable d’avoir cherché à briser le blocus de Gaza, de même que l’exhumation par l’Argentine d’une affaire vieille de quinze ans, (l’attentat contre une synagogue de Buenos-Aires de 1994), qu’elle imputerait rétrospectivement au Hezbollah pour « terrorisme antisémite » participent de cette campagne internationale de criminalisation de la milice chiite libanaise.
Selon des informations de presse, les Etats-Unis, en cas de refus de coopération de l’Iran, envisageraient un renforcement des sanctions économiques selon un plan conçu par le sénateur américain Joe Liebermann, un sioniste notoire, ancien colistier du vice président démocrate Al Gore à la compétition présidentielle américaine en l’an 2.000. La gamme des sanctions prévoirait un embargo sur l’importation de produits pétroliers, et, dans un deuxième temps une interdiction pour les avions iraniens d’atterrir sur les aéroports occidentaux, et pour les navires de faire escale dans les ports occidentaux (7).
[1]