Photo : La famille Al-Qanbar de la ville de Jabal al-Mukaber à Jérusalem est forcée de démolir leur maison sur ordre des autorités occupantes, 6 juillet 2024 © V Palestine
Sur le mur du salon de la maison de Zohair Rajabi se trouve une carte de son quartier : les ruelles en escalier qui serpentent le long des pentes abruptes faisant face à la vieille ville de Jérusalem, et les toits plats des maisons individuelles. La maison de ce dirigeant communautaire de 54 ans est marquée d’un autocollant jaune. M. Rajabi espère ardemment qu’il n’aura jamais à le remplacer par un autocollant rouge, signifiant que des Israéliens juifs vivent dans l’immeuble.
Sa famille est menacée d’expulsion depuis deux décennies. "Nous vivons dans une angoisse permanente. C’est très difficile", a-t-il déclaré la semaine dernière.
Une vingtaine de maisons de Batn al-Hawa, un quartier palestinien de Jérusalem-Est, sont marquées d’un autocollant jaune sur la carte de M. Rajabi, et seulement six sont marquées en rouge.
Cette situation est peut-être sur le point de changer. Un récent arrêt de la Cour suprême d’Israël a mis fin à la bataille juridique d’une famille locale contre l’expulsion et, lors d’audiences tenues cette semaine, les juges ont rejeté deux autres tentatives visant à bloquer les mesures prises pour forcer 66 personnes à quitter leurs maisons à Batn al-Hawa également.
"En 15 ans de travail sur ces affaires, la situation n’a jamais été aussi mauvaise", a déclaré un avocat, Yazeed Kawar.
L’activité soudaine à Batn al-Hawa s’inscrit dans le cadre d’un effort concerté des organisations de colons israéliens pour étendre les projets existants et en lancer de nouveaux.
À la fin du mois dernier, Israël a approuvé la plus grande saisie de terres en Cisjordanie occupée depuis plus de trente ans, selon un rapport publié par un organisme israélien de surveillance des colonies, qui a déclaré que cette mesure exacerberait l’escalade des tensions liées au conflit à Gaza.
Il est également prévu d’étendre des projets immobiliers controversés à Jérusalem-Est, qui a été prise par Israël à la Jordanie lors de la guerre des six jours de 1967 et annexée unilatéralement en 1980. La colonisation permanente d’un territoire occupé militairement est illégale au regard du droit international.
Au total, environ 700 Palestiniens de Batn al-Hawa pourraient être menacés de déplacement.
"C’est notre maison familiale. C’est là que je suis né. Ma famille est venue ici il y a 60 ans. Si nous avions un gouvernement juste, cette maison nous serait donnée, mais au lieu de cela, ils essaient de nous la prendre", a déclaré Nasser Rajabi, 52 ans, dont la dernière tentative pour empêcher l’expulsion a été entendue par le tribunal mercredi.
Saleem Abed Ghaith, dont la cause a été entendue cette semaine, a déclaré qu’il vivait à Batn al-Hawa depuis 1979, date à laquelle il a acheté sa maison à une famille palestinienne locale.
"Ma santé n’est pas bonne. La peur de perdre ma maison m’a complètement envahi. Que vais-je faire ? Je n’ai pas d’autre endroit où aller", a-t-il déclaré.
La force motrice derrière l’afflux d’Israéliens juifs à Batn al-Hawa est Ateret Cohanim, qui se décrit comme "la principale organisation de récupération des terres urbaines à Jérusalem ... travaillant depuis plus de 40 ans pour restaurer la vie juive au cœur de l’ancienne Jérusalem".
Le groupe affirme qu’une grande partie de Batn al-Hawa se trouve sur le site d’un village construit par un trust philanthropique sous la domination ottomane à la fin du XIXe siècle pour héberger des Juifs yéménites pauvres. La communauté a été évacuée par les autorités britanniques lorsque les tensions sont montées entre Arabes et Juifs en Palestine dans les années 1930, et ses habitants ont été informés qu’ils pourraient revenir lorsque le calme serait rétabli. Une loi de 1970 autorise les Juifs à récupérer leurs biens à Jérusalem-Est.
Les avocats du trust, qui a été réactivé il y a près de 20 ans, ont fait valoir avec succès que sa propriété antérieure des immeubles de Batn al-Hawa devait prévaloir sur tout achat ultérieur effectué par les habitants actuels ou leurs parents ou grands-parents, dont beaucoup ont perdu leur maison pendant le conflit de 1967 ou les guerres entourant la création d’Israël en 1948. La possession d’autres bâtiments a été obtenue grâce à des accords avec leurs propriétaires, bien que les circonstances de ces accords restent controversées.
"Nous sommes une organisation religieuse et sioniste et nous ne pensons pas que le sionisme soit mort. Nous voulons voir renaître la vie juive dans tout Jérusalem. Il existe un lien absolu et éternel entre le peuple juif et Jérusalem", a déclaré Daniel Luria, porte-parole d’Ateret Cohanim.
M. Luria a déclaré qu’Ateret Cohanim était indépendant du trust, mais qu’il avait "intérêt à ce qu’il réussisse".
À moins de 100 mètres de la maison de M. Rajabi se trouve un bâtiment qui, selon Ateret Cohanim, était une synagogue abandonnée lorsque la communauté juive a quitté ses maisons dans les années 1930. Aujourd’hui, un grand drapeau israélien flotte au-dessus. Au total, 41 familles juives vivent à Batna al-Hawa, dont beaucoup dans des bâtiments situés en dehors de la zone d’origine du village juif yéménite. Elles sont accompagnées de gardes armés lorsqu’elles quittent leur maison.
Un récent rapport des Nations unies note que les politiques du gouvernement israélien, qui est le plus à droite de l’histoire du pays, semblent s’aligner sur les objectifs du mouvement des colons israéliens dans une "mesure sans précédent". La coalition actuellement au pouvoir comprend des nationalistes religieux purs et durs dont les objectifs sont similaires à ceux de groupes tels qu’Ateret Cohanim.
Environ 40 % de la population de Jérusalem, qui compte approximativement un million d’habitants, sont des Palestiniens. Le maintien d’une majorité juive dans la ville a été l’un des objectifs des gouvernements israéliens successifs. L’expansion récente et sans précédent des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés risque d’éliminer toute possibilité pratique d’un État palestinien, selon le rapport des Nations unies.
Les militants affirment que le gouvernement israélien exploite la guerre à Gaza pour accélérer l’expansion des colonies et déplacer les Palestiniens.
"C’est ce qui se passe à Jérusalem-Est, où un millier de Palestiniens sont menacés d’être déplacés. Ces mesures ne sont pas seulement en violation du droit international, elles sont également fondées sur des lois nationales israéliennes intrinsèquement discriminatoires. Les procédures légales donnent un vernis de légitimité, mais lorsqu’il s’agit de restituer des terres perdues en 1948, les Palestiniens n’ont aucun droit", a déclaré Amy Cohen, d’Ir Amim, une ONG israélienne de défense des droits humains basée à Jérusalem.
Sur les murs de la maison de M. Rajabi figure une peinture de la mosquée al-Aqsa, le troisième site le plus sacré de l’islam, situé dans l’enceinte du Haram al-Sharif, connu sous le nom de Mont du Temple pour les juifs, qui est le site le plus sacré du judaïsme. Tous ces sites sont clairement visibles depuis Batn al-Hawa.
"Ni Ateret Cohanim ni le trust ne sont indifférents à l’histoire humaine qui se déroule ici. Nous ne sommes pas aveugles au fait que des familles vivent ici... Mais cela ne signifie pas que les Juifs n’ont pas le droit de revenir", a déclaré M. Luria.
Zahreen Rajabi, 14 ans, a déclaré qu’elle avait grandi dans les rues étroites de Batn al-Hawa et qu’elle ne pouvait pas imaginer partir un jour.
"Je suis née et j’ai grandi ici", a déclaré l’adolescente. "Même s’ils viennent prendre notre maison, je ne quitterai jamais cet endroit."
Traduction : AFPS