La détention administrative consiste à incarcérer une personne contre laquelle aucune charge n’est formulée, pour une période de trois à six mois, indéfiniment renouvelable, selon un sytème arbitraire proche des lettres de cachet [1] pratiquées en France avant 1789. Elle a été utilisée dès 1967 contre des dizaines de milliers de Palestiniens - hommes et aussi femmes - pour des périodes plus ou moins longues ; le sinistre centre de détention de Ketziot, dans le Néguev, abrite encore 1200 d’entre eux. A l’exception de deux extrémistes de la colonie d’Hébron, aucun autre juif n’a eu droit à la détention administrative, a fortiori aucune femme juive avant Tali Fahima.
Son placement en détention administrative, le 5 septembre 2004, n’est donc pas passé inaperçu, d’autant que le ministre de la Défense, Shaul Mofaz, a déclaré qu’il avait personnellement décidé la mesure, en raison du « danger qu’elle présente pour tous les Israéliens. » A propos de ce « danger », une grande partie de la presse israélienne a alors indiqué tenir des milieux du renseignement qu’elle aurait été impliquée dans la préparation de plusieurs attentats-suicides commis en Israël , voire de l’attaque qui avait coûté la vie à cinq soldats israéliens au check-point de Qalandya, le 11 août 2004.
Arrêtée le 9 Août 2004, alors qu’elle se rendait à Jénine, Tali Fahima a subi, 28 jours durant, les interrogatoires intensifs du Shin Bet, c’est-à-dire qu’elle était interrogée de 15 à 18 heures d’affilée, assise sur une chaise en plastique, les mains liées derrière le dos, dans une position très douloureuse. Ses interrogateurs n’ayant rien tiré d’elle qu’ils ne savaient, et encore moins qu’elle coopère avec eux, elle était bonne pour les « oubliettes ».
C’était sans compter avec la « Coalition des femmes pour une paix juste », déjà alertée sur le cas de Tali Fahima même si elle n’était pas une de leurs membres. En effet, elle avait été arrêtée une première fois, en mai 2004, alors qu’elle revenait de Jénine, et elle avait été détenue durant une semaine. La solidarité autour de cette jeune femme ayant de surcroît franchi les frontières d’Israël (en France c’est « l’Union juive française pour la paix » qui a initié et anime la campagne pour sa libération), les autorités israéliennes ont jugé prudent, pour conserver l’image de « démocratie » à laquelle elles prétendent, de mettre fin à sa détention administrative et de lui intenter un procès en bonne et due forme.
Un procès pour intelligence avec l’ennemi
Après avoir de nouveau subi les interrogatoires du Shin Bet pendant trois semaines, Tali Fahima a comparu le 26 décembre 2004 devant le tribunal correctionnel de Tel-Aviv qui l’a inculpée et a fixé son procès au 17 juillet 2005, tout en la plaçant en détention provisoire.
Les chefs d’accusation sont très lourds puisqu’il s’agit de rien moins que d’assistance à l’ennemi en temps de guerre, de contacts avec un agent étranger et de soutien à une organisation terroriste. Selon son avocat, M e Smadar Ben-Natan, le seul élément concret du dossier est le fait qu’elle aurait traduit de l’hébreu en anglais, pour les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa du camp de réfugiés de Jénine et leur chef, Zakarya Zbeïdi, un document égaré sur place par l’armée israélienne lors d’une incursion. Or Zakarya Zbeïdi, comme beaucoup de jeunes hommes palestiniens, qui étaient des enfants au moment de la première Intifada, a subi les prisons israéliennes et y a appris l’hébreu.
Cela dit, Tali Fahima a plusieurs fois séjourné au camp de réfugiés de Jénine où elle s’est fait des amis, entre septembre 2003 et mai 2004. L’un de ses amis est Zakarya Zbeïdi qu’elle tient en haute estime. Elle ne s’en est pas cachée lorsque la presse israélienne l’a interrogée après un de ses séjours à Jénine et alors que le Palestinien venait une fois de plus d’échapper à une tentative d’assassinat ciblé.
Rien ne prédisposait cette jeune femme à s’intéresser de si près aux Palestiniens, au point de braver la loi israélienne qui interdit aux Israéliens de se rendre dans les zones sous contrôle palestinien et de franchir l’obstacle physique qu’est aujourd’hui le mur.
Elevée par ses parents d’origine nord-africaine à Kyria Gat, une « ville de développement » située dans le nord du Néguev, où le niveau de vie est très bas et où tout le monde vote Likoud, Tali Fahima s’installe à Tel-Aviv, où un cabinet d’avocats l’a recrutée comme secrétaire, et commence à utiliser internet et à s’informer sur le monde arabe. En août 2003, elle vient de lire dans un quotidien israélien un entretien de Zakarya Zbeïdi (qui y rappelle que sa mère, une infatigable militante pour la paix, est morte lors de l’opération Rempart d’avril 2002 qui a été si meurtrière au camp de réfugiés de Jénine), lorsqu’elle rencontre un journaliste qui le connaît ; elle est d’accord pour que ce journaliste donne son numéro de téléphone à Zbeïdi, car elle voudrait aussi lui exprimer la désapprobation que lui inspirent tous ces attentats-suicides attribués aux Brigades des Martyrs d’Al Aqsa.
Il l’appelle le jour-même et après un certain nombre d’échanges téléphoniques, elle lui propose de lui rendre visite. Ainsi Tali Fahima se rend-elle dans les territoires palestiniens occupés, pour la première fois de sa vie, en l’occurrence au camp de réfugiés de Jénine où elle aura une longue conversation avec Zakarya Zbeïdi. De retour à Tel-Aviv, elle essaie de mieux s’informer sur le conflit israélo-palestinien. Surtout, elle verra un film qui la bouleversera : « Les enfants d’Arna » que Juliano Mer-Hamis a consacré à sa mère décédée et au projet de théâtre qu’elle avait mis sur pied pour les enfants du camp de réfugiés de Jénine. Tali Fahima décide de créer, sur les traces d’Arna, une bibliothèque et de mettre en place une formation en micro-informatique pour les enfants réfugiés de Jénine. Elle avait trouvé autour d’elle les fonds nécessaires et le projet était en train de prendre forme lors de son dernier séjour à Jénine, en mai 2004, lorsqu’elle est une première fois arrêtée et interrogée par le Shin Bet. Le juge qui la libèrera, le 30 mai, après une semaine de détention, la félicitera pour ce projet humanitaire. Elle avait, de son côté, fait connaître ce projet qui lui tenait tant à cœur, au moyen d’articles ou d’interviews donnés à la presse israélienne où elle ne manquait jamais de rappeler combien elle trouvait injuste l’occupation des territoires palestiniens.
Une militante dérangeante
Arrêtée le 9 août 2004, sur le chemin de Jénine, Tali Fahima est placée en détention administrative, puis en détention provisoire après avoir été inculpée de graves délits.
Pour mieux faire taire cette jeune femme, les services de renseignements s’emploient à la discréditer en animant une campagne de presse qui la présente tour à tour comme une dangereuse terroriste et comme la maîtresse de Zakarya Zbeïdi.
Tali Fahima doit déranger beaucoup pour faire l’objet d’un tel acharnement. En effet, elle critique la politique de son gouvernement et défend les Palestiniens, alors qu’elle n’est affiliée à aucun parti ni à aucune organisation. Elle est en quelque sorte une « militante d’un troisième type » qui risque de faire des émules si on ne la réduit au silence.
Elle est d’autant plus dangereuse qu’elle vient d’un milieu modeste où l’on obéit sans broncher. Comme le dit sa mère (qui profite de chacune des rares visites autorisées à sa fille et se rend au tribunal chaque fois qu’elle y comparait) : « Tali parle aux Palestiniens, ce qui n’en fait pas une terroriste... Ils sont en train de chercher à faire un exemple avec elle, parce qu’elle est originaire des sans-pouvoir : les communautés orientales ».
Christiane Gillmann,
le 2 mars 2005.