La récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la légalité de l’appel au boycott des produits israéliens est une décision très importante dans le contexte de l’opposition aux tentatives du gouvernement israélien et des organisations qui parlent en son nom de délégitimer toute mobilisation contre le régime d’apartheid Israélien que ce soit au niveau de la Palestine mandataire ou à l’étranger. Elle représente une victoire du droit et la défaite de la tentative d’imposer le droit du plus fort et du double standard.
Elle ressemble à une autre victoire, celle de la publication de la base de données des entreprises impliquées dans la colonisation israélienne en février 2020. Malgré une pression politique des défenseurs du régime d’apartheid israélien, le bureau du haut-commissariat des droits de l’homme de l’ONU a publié la base de données, 3 ans après la date mandatée de sa publication malgré les pressions sur le bureau. Nos organisations continuent de se mobiliser pour que la base de données soit mise à jour annuellement.
Malgré ces victoires, il reste beaucoup à faire.
Aujourd’hui le monde parle de l’annexion annoncée par le gouvernement de coalition de Netanyahou-Gantz. La société civile, les états, les Nations Unies tous appellent le gouvernement israélien à ne pas annexer de nouveaux territoires occupés comme il l’a planifié.
Cependant, arrêter l’annexion n’est pas un but en soi. Il ne faut pas voir l’opposition de l’annexion, qui est bien sûr illégale selon le droit international, comme étant l’objectif.
D’abord, l’annexion de jure ne fait que formaliser une réalité d’annexion de fait. Cette annexion de la zone C, qui forme 60% de la Cisjordanie, est une réalité que vivent les Palestiniens depuis des décennies.
La communauté internationale est au courant du crime de transfert mis en place dans la vallée du Jourdain par Israël, et malgré cela, elle ne prend aucune mesure pour mettre fin aux crimes contre la population palestinienne.
La population palestinienne dans cette région ne fait que baisser à cause des politiques et pratiques de transfert imposées par Israël afin de créer des faits sur le terrain avec le but de faire disparaître les Palestiniens et où la terre est annexée sans le peuple.
Si en 1967, 250 000 Palestiniens vivaient dans la vallée du Jourdain, aujourd’hui 65 000 Palestiniens seulement ont réussi à se maintenir dans leurs terres dans le contexte coercitif imposé par Israël.
Les Palestiniens n’ont pas le droit de construire, et lorsqu’ils construisent sans les permis que la puissance occupante leur refuse, leurs maisons sont démolies.
Israël s’approprie les ressources naturelles des Palestiniens, les Palestiniens n’ayant pas accès à leurs ressources naturelles environnantes. En 2011, une étude d’Al Haq montre que les colons en Cisjordanie (500 000 en 2011) utilisent 6 fois plus d’eau que 2,6 millions de Palestiniens. Dans les régions de la vallée du Jourdain, la population agricole et les éleveurs ne peuvent pas survivre.
Si on se tourne de la situation dans la zone C, et que l’on se rappelle les annexions de jure successives, dont la plus récente est l’annexion du Golan Syrien en 1981, il y a 39 ans de cela.
Il y a 72 ans, en 1948, Israël a occupé et annexé, en contravention du droit international, l’Ouest de Jérusalem. Il y a 53 ans, en 1967, l’Est de Jérusalem a été occupée et annexée, en contravention du droit international.
Malgré l’opposition de la communauté internationale et les résolutions du Conseil de sécurité, Israël continue de violer les droits des Palestiniens les plus fondamentaux, tels que le droit de vivre dans leur ville, le droit de circuler ou encore le droit de vivre avec leur conjoint à Jérusalem, afin de changer la démographie de la ville et d’en finir avec sa population indigène. En parallèle, Israël continue de développer les colonies et plus de 200 000 colons israéliens se sont implantés dans 15 colonies dans l’Est de Jérusalem.
Israël continue depuis 1967 de planifier le transfert des Palestiniens à travers ses lois et ses politiques couvrant toute la Palestine mandataire, un crime de guerre selon le statut de Rome de la Cour pénale internationale.
La communauté internationale est au courant de tout ce qui se passe en Palestine ; la communauté internationale est complice des crimes israéliens, ne prenant aucune mesure pour mettre fin au régime d’apartheid qu’Israël impose sur le peuple palestinien.
Alors aujourd’hui, que doit-on faire ?
Afin de mettre un terme aux violations des droits des Palestiniens, il faut d’abord diagnostiquer correctement la situation. Que représente la situation en Palestine au point de vue juridique ?
Comme l’ont reconnu 47 experts indépendants des Nations Unies, il existe une situation ou 2 peuples vivent dans le même espace, contrôlé par la même autorité, mais avec des droits profondément inégaux. Ils ont aussi reconnu que l’annexion ne serait que la cristallisation de cette réalité, donc du régime d’apartheid qu’Israël impose sur le peuple palestinien, et non pas sa réalisation comme nous l’entendons souvent.
Notre campagne qui englobe des organisations de la société civile palestinienne, arabe, et internationale appelle la société civile partout dans le monde à reconnaître la réalité de l’existence d’un régime d’apartheid imposé par Israël sur le peuple palestinien dans son ensemble. Cela inclut les Palestiniens en Cisjordanie, à Gaza, dans les territoires occupés en 1948, et les Palestiniens réfugiés à qui Israël interdit le droit du retour. Cette fragmentation stratégique a été utilisée par Israël afin d’anéantir le peuple palestinien, de rendre impossible son autodétermination, et elle lui a permis d’imposer son régime d’oppression et de domination raciales du peuple palestinien.
La reconnaissance de cette réalité permet de se mobiliser pour réaliser l’objectif de démanteler le régime d’apartheid et non pas de combattre l’annexion seulement.
Le rôle de la société civile a été fondamental et indispensable pour démanteler le régime d’apartheid en Afrique du Sud.
Il est temps de reconnaître cette réalité en Palestine et de mettre fin à ce crime, reconnu comme un crime contre l’humanité par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Il est temps que tous les états partout dans le monde reconnaissent le régime d’apartheid israélien et prennent des mesures effectives pour le démanteler, ce qui comprend les sanctions économiques et le désinvestissement, ainsi que le jugement des criminels israéliens, car tous les états sont dans l’obligation juridique de mettre fin au crime d’apartheid.
Nada Awad possède une maitrise dans les relations internationales et la sécurité internationale de Sciences Po à Paris. Elle travaille sur les violations des droits humains dans les pays Arabes en tant que responsable du groupe de défense international à l’institut pour les études des droits humains du Caire (CIHRS) et est membre du bureau d’Al-Shabaka.
Rania Muhareb est une chercheuse juridique et responsable du groupe de défense de l’organisation Palestinienne pour les droits humains Al-Haq. Elle possède un Master of Laws en droits humains internationaux et lois humanitaires de l’université Européenne Viadrina de Francfort (Oder) et un Bachelor of Arts en science politique de l’université de Sciences Po à Paris.