Il y a un siècle, 67 mots ont changé le cours de l’histoire au Moyen-Orient. Dans une déclaration qui aurait pu tenir dans deux tweets, Arthur Balfour, alors le Secrétaire britannique aux Affaires étrangères, a annoncé que le gouvernement britannique soutiendrait la création en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif.
Cent ans plus tard, le lourd héritage de ce qu’il est convenu d’appeler la Déclaration Balfour continue à déterminer la dynamique entre les Israéliens et les Palestiniens. Et bien que le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu soit à Londres cette semaine pour célébrer le centenaire avec Theresa May, cela vaut la peine de comprendre pourquoi la Déclaration n’est en réalité rien qui mérite d’être fêté.
Bien qu’il puisse être connu surtout pour avoir aidé la cause sioniste en 1917, il est essentiel de se souvenir que Arthur Balfour était partisan de la suprématie des Blancs. Il l’a fait comprendre nettement par ses propres mots. En 1906, la Chambre des Communes britannique a engagé un débat au sujet des Noirs indigènes d’ Afrique du Sud. Presque tous les membres du Parlement étaient d’accord pour dire que la privation de liberté des Noirs était mauvaise. Mais Balfour ne pensait pas ainsi, qui -presque seul- s’est prononcé contre cette idée.
« Nous devons regarder la réalité en face, » a déclaré Lord Balfour. « les hommes ne sont pas nés égaux, les races blanche et noire ne sont pas nées avec des aptitudes égales : elles sont nées avec des aptitudes différentes que l’éducation ne peut changer et ne changera pas. »
Mais les opinions dérangeantes de Balfour ne se sont pas limitées à l’Afrique. En fait, malgré son soutien maintenant emblématique au sionisme, il n’était pas exactement un ami des Juifs. A la fin du 19ème siècle, des pogroms visant les Juifs de la Zone de Résidence [1] avaient entraîné des vagues de Juifs fuyant en direction de l’Ouest, vers l’Angleterre et les Etats-Unis. Cet afflux de réfugiés a conduit à une augmentation en Grande-Bretagne du racisme contre les immigrants et d’un anti-sémitisme radical – des thèmes qui ne nous sont pas inconnus aujourd’hui. Le soutien à l’action politique contre les immigrants a augmenté étant donné que la population anglaise exigeait un contrôle de l’immigration pour tenir certains immigrants, en particulier les Juifs, hors du pays.
La population a trouvé une oreille attentive en la personne de Balfour. En 1905, alors qu’il exerçait la fonction de Premier Ministre, Balfour a présidé à l’adoption de la Loi sur les Etrangers. Cette loi a établi les premières restrictions à l’immigration en Grande Bretagne, et elle avait principalement pour but de restreindre l’immigration juive. Selon les historiens, Balfour en personne a prononcé des discours véhéments sur l’obligation d’empêcher le flot de Juifs fuyant l’Empire russe d’entrer en Grande-Bretagne.
Il peut paraître étonnant que Balfour, dont le soutien à la cause sioniste a fait de lui un héros parmi les Juifs, ait instauré des lois contre les Juifs. Mais la vérité est que son soutien au sionisme était le résultat d’exactement la même raison que sa volonté de limiter l’immigration juive en Grande-Bretagne.
Ces deux aspects peuvent être imputés à ses croyances en la suprématie des Blancs. Balfour vivait dans une ère de nationalisme vibrant, largement défini par l’identité ethno-religieuse. En raison de ces opinions, le début du 20ème siècle était une époque où les nations occidentales soi-disant libérales étaient aux prises avec le défi de l’intégration des citoyens juifs. Ce que les Sionistes ont apporté à Balfour était une solution aux problèmes que les citoyens juifs posaient à sa conception ethno -nationaliste, une solution qui ne l’obligeait pas à tenir compte d’eux. Au lieu d’insister sur le fait que les sociétés admettent tous les citoyens comme égaux, indépendamment du contexte racial ou religieux, le mouvement sioniste proposait une réponse différente : la séparation.
Balfour voyait dans le Sionisme une aubaine non seulement pour les Juifs, mais aussi pour l’Occident. Comme il l’a écrit en 1919 dans l’introduction à l’Histoire du Sionisme de Nahum Sokolow, le mouvement sioniste aurait « atténué les souffrances de longue date créées pour la civilisation occidentale par la présence en son sein d’un Corps qu’elle a considéré trop longtemps comme étranger et même hostile, mais qu’elle était également incapable de rejeter ou d’absorber. »
En donnant à la fois aux Juifs un endroit où aller et un endroit à quitter, le Sionisme a apparemment résolu deux problèmes à la fois, dans l’esprit de Balfour. En d’autres termes, son soutien au sionisme était motivé dans une certaine mesure par sa volonté de protéger la Grande-Bretagne des effets négatifs, des « souffrances », de la présence des Juifs en son sein. Plutôt que de protéger les droits d’une de ses minorités, la Grande-Bretagne pouvait tout simplement les exporter, ou au moins ne plus les importer.
Il va sans dire, que cette vision du Sionisme est imprégnée de la même sorte de suprématie des Blancs que la vision de Balfour des Noirs d’Afrique du Sud. Mais son soutien au rêve sioniste comportait un autre problème. Plutôt que de résoudre le problème de savoir comment traiter une minorité vivant dans un pays majoritairement blanc, la Déclaration Balfour n’a fait que déplacer le même problème dans un contexte géographique différent.
Car la tension entre l’ethno-nationalisme et l’égalité est également présent aujourd’hui entre le Jourdain et la Mer Méditerranée, où l’état israélien dirige le destin de millions de Palestiniens qui, soit n’ont pas le droit de vote, sont traités comme des citoyens de seconde classe, ou sont des réfugiés auxquels l’on refuse le rapatriement. Aujourd’hui, c’est Israël qui considère les Palestiniens comme moi comme « des menaces démographiques » et qui voit « la présence en son sein d’un Corps trop longtemps considéré comme étranger et même hostile, mais qu’il est également incapable de rejeter ou d’absorber. »
Le fait que l’héritage de suprématie de Balfour persiste, autant que le soutien de la Grande-Bretagne à Israël, n’est pas accidentel. Nous en sommes arrivés à ce point aujourd’hui parce que les opinions de suprématie de Balfour ont façonné sa politique, offrant à la puissance impériale un projet de recherche de l’auto-détermination pour les Juifs en foulant aux pieds les droits des non-Juifs indigènes.
De façon remarquable, Balfour était sans vergogne conscient de l’hypocrisie de sa position. « Le point faible de notre position est bien sûr que dans le cas de la Palestine nous refusons délibérément et à juste titre d’accepter le principe de l’auto-détermination », écrivait-il en 1919 dans une lettre au premier ministre britannique. « Nous ne proposons même pas de nous prêter à une forme de consultation des souhaits des habitants actuels du pays... les 700.000 Arabes qui habitent maintenant sur cette terre ancienne. »
Ces Arabes-là, évidemment, composaient approximativement 90 % de la population. Mes grands-parents en faisaient partie.
Là se situe le problème fondamental qui continue encore aujourd’hui, 100 ans plus tard. Les Palestiniens se voient refuser le droit d’avoir des droits parce que, depuis le début, leurs droits humains et par extension leur humanité même, ont été constamment considérés comme inférieurs à ceux des autres. Cela était clair dans le point de vue de Balfour et dans la politique du Mandat Britannique. Et cela persiste, encore aujourd’hui, sous une forme ou sous une autre, dans beaucoup des politiques de l’état d’Israël.
Aujourd’hui, autant qu’en 1917, la bataille entre l’ethno-nationalisme et l’égalité, entre le particularisme et l’universalisme, s’est haussée au premier plan, de la montée de Donald Trump en Amérique à la Grande-Bretagne en plein Brexit de Theresa May. Plutôt que de résoudre cette tension, le soutien de Balfour au Sionisme l’a simplement
exportée en Palestine.
La résistance à l’héritage de son racisme sera la clé vers la paix en Palestine / Israël et au-delà.
Yousef Munayyer, analyste politique et écrivain, est le Directeur Exécutif de la Campagne aux Etats-Unis pour les Droits des Palestiniens.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers