The Times of Israel - l’article qui suit est une libre opinion qui n’engage pas le journal
Aujourd’hui nous observons/avons observé le jeûne de Tisha B’Av [1]. Nos sages nous ont enseigné que le Premier Temple a été détruit à cause de l’effusion de sang, de l’idolâtrie et des crimes sexuels. Le Second Temple a été détruit à cause de la haine injustifiée. Susiya est l’une des nombreuses communautés palestiniennes des deux côtés de la Ligne Verte confrontées aujourd’hui à la destruction, à l’expulsion et à la dépossession. Alors que j’étais assis à la Haute Cour Israélienne, le 1er août, avec les habitants menacés de Susiya, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir au fait que la façon dont nous traitons Susiya est à la fois de l’idolâtrie et de la haine injustifiée. La puissance de l’Etat, encouragée par la droite radicale et les mouvements de colons et en coordination avec ceux-ci, se focalise sur l’effacement de toute trace de cette communauté de la surface de la terre.
Susiya n’est pas seul. Mardi dernier (le 9 août) notre état a démoli cinq maisons à Umm Al Khir, un autre des villages des deux côtés de la Ligne Verte que l’Etat souhaite détruire entièrement. En tant que Juifs, nous devrions être particulièrement capables de nous identifier avec ces familles dont les maisons ou les communautés entières ont été démolies, ou sont menacées de démolition. La démolition d’une maison familiale, quand il n’y a aucune possibilité équitable de bâtir légalement, est aussi dévastatrice pour cette famille que la tragédie nationale que nous rappelons à l’occasion de Tisha B’Av. Cependant, au lieu de cela, nous choisissons d’ignorer les commandements répétés de la Torah de ne pas faire aux autres ce qui nous a été fait.
Les citoyens israéliens ne sont pas exempts de cette profanation du nom de Dieu. Dans le Néguev, juste à quelques kilomètres de distance de Susiya, le KKL/FNJ [2] s’est engagé dans les terrassements pour la ville juive de “Hiran” a l’endroit même où l’Etat a déplacé la tribu des Abu-El-Qian en 1956, en leur promettant qu’ils pourraient reconstruire là leurs vies brisées. A El-Araqib, nous avons été pleins d’espoir quand le KKL/FNJ a gelé ses efforts de reboisement en 2011. Nous voulions croire qu’il attendrait les résultats de la procédure en cours, ordonnée par la Haute Cour, d’examen des affirmations de propriété des terres par la tribu des El-Turi, fondées sur des actes d’acquisition remontant à 1906. Toutefois, le KKL/FNJ a récemment repris et renouvelé ses efforts.
Les habitants de Susiya possédaient des terres des deux côtés de ce qui est devenu la frontière de 1948, mais ont été forcés de se déplacer vers leur village de Cisjordanie. Aujourd’hui l’Etat et des associations telles que les Regavim [3] perpétuent le mensonge selon lequel il n’y a jamais eu de village. Plia Albeck, l’avocate du gouvernement, connu sous le nom de “Mère des colonies,” a écrit qu’il y avait eu effectivement un village appelé Susiya, et que le village était entourée de 3.000 dunams (= 300 ha) de terres privées palestiniennes appartenant aux villageois. En 1983, a été créée la colonie de Susiya. Même ceux qui affirment que la Quatrième Convention de Genève ne s’applique pas aux Territoires Occupés, et que par conséquent il est permis à Israël d’utiliser, ce qu’il considère comme des terres d’état, presque exclusivement pour une utilisation israélienne, devraient faire une pause et réfléchir sur le fait qu’Albeck ait écrit aux colons de Susiya en disant qu’ils s’étaient de façon flagrante emparés de terres en allant au-delà de ce que l’Etat leur avait alloué. Cependant, l’Etat n’a rien fait. Après tout, dans cette affaire c’étaient des Juifs qui volaient des terres.
En 1986, les habitants du village palestinien de Susiya ont encore une fois été expulsés. La zone a été déclarée site archéologique à cause de la synagogue ancienne située là. La zone fermée ne s‘est pas limitée aux alentours immédiats de la synagogue, mais pour une raison ou une autre a englobé le village tout entier.Ils se sont déplacés vers leur terres agricoles contigües, mais à nouveau n’ont eu presque aucune chance que le comité d’aménagement entièrement israélien de l’armée n’approuve un plan directeur les autorisant à obtenir des permis de construire. Dans les années suivantes, les habitants de Susiya ont pâti des constants efforts des colons pour s’emparer de davantage de leurs terres, des tentatives d’expulsion, d’attaques et même de meurtres.
En 2001, après le meurtre d’un colon de Susiya, dans lequel les habitants palestiniens n’avaient rien à voir, ils ont encore une fois été expulsés. La Haute Cour leur a donné le droit de revenir. Cependant, avant qu’ils n’aient été en mesure de revenir, l’armée accompagnée des colons a détruit les grottes dans lesquelles ils avaient habité et a bouché leurs citernes pour l’eau. Même si la Haute Cour les avait autorisés à revenir après avoir statué que la destruction et l’expulsion n’aurait jamais dû avoir lieu, la Cour a failli à leur allouer une réparation leur permettant de survivre. Ils n’ont pas pu réparer les grottes, et n’ont eu aucune possibilité d’obtenir un plan directeur approuvé, les autorisant à bâtir au-dessus du sol. Pendant les 10 années suivantes, l’Etat a essayé de rendre la vie, à Susiya et dans les autres villages de la région, si intenable que les gens partent “de leur propre initiative.” Une fois j’ai failli être arrêté pour avoir apporté de la nourriture, et l’on m’a dit que j’aidais illégalement les habitants qui tenaient. Ils ne sont pas partis. Comme les Enfants d’Israël en Egypte, ils ont tenu malgré l’oppression.
En 2011 les “Regavim” et le conseil de la colonie locale ont adressé une pétition à la Haute Cour pour forcer l’armée à exécuter les ordres existants de démolition de pratiquement toute construction à Susiya. La Cour a donné aux habitants l’occasion de soumettre à nouveau un plan directeur. Il fut rejeté avec l’affirmation cynique qu’il aurait été injuste pour les habitants palestiniens de Susiya de les forcer ainsi à vivre dans un endroit si isolé, sans infrastructure ! Excusez moi ! Combien y a-t-il d’avant-postes isolés ? Les lignes électriques et les conduites d’eau passent directement à côté de Susiya. Ils n’ont pas d’infrastructure seulement parce que notre Etat refuse de les y raccorder.
La véritable raison de ne pas avoir attribué un plan directeur ? A toutes les séances du comité juif d’aménagement sur le plan proposé pour Susiya, un représentant du conseil de la colonie locale a déclaré laconiquement, “Nous savons tous que cette séance est une plaisanterie. Il est hors de question que vous puissiez éventuellement envisager sérieusement d’autoriser un village palestinien si près de notre colonie.”
Le 1er août, les juges de la Haute Cour se sont demandés s’il leur était opportun d’entendre un appel sur une décision d’un comité d’aménagement. Ils ont choisi de voir ceci comme une demande qui leur était faite d’intervenir dans une décision technique qui avait été correctement prise. Ils n’ont pas semblé vouloir prendre la responsabilité de l’injustice qu’ils ont aidé à créer quand ils ont statué en 2001 qu’il avait été illégal d’expulser et de détruire, mais qu’ils n’ont pas donné aux habitants de Susiya un moyen de remédier légalement à leur situation.
En conséquence des inquiétudes exprimées au niveau international, l’armée a accepté d’entamer des discussions avec les habitants de Susiya afin de chercher une alternative mutuellement acceptable à la démolition de Susiya. Il ya eu un progrès significatif, allant au delà de la position antérieure de l’armée, selon lequel les habitants seraient autorisés à créer un village beaucoup plus loin, sur des terres appartenant à d’autres. Les Palestiniens savent ce qui va arriver s’ils ne vivent pas sur leurs terres. La famille Shreitakh possède des terres entre la colonie et le village palestinien de Susiya. Dans les années 1990, les colons appuyés par l’armée ont empêché la famille de cultiver ses terres. Toutefois, en 1997 le Ministre de la Défense a reconnu que toutes les terres entre la clôture de la colonie et le village palestinien de Susiya sont des terres privées palestiniennes. J’étais présent quand, pendant une courte période, la famille a été à nouveau en capacité de travailler ses terres. Cependant, la famille n’habitait pas au village palestinien de Susiya, mais beaucoup plus loin à Yatta. Aujourd’hui il y a un vignoble des colons sur ses terres. Il ne s’écoule guère de semaine sans de nouveaux efforts des colons pour s’emparer de terres supplémentaires. Les habitants de Susiya savent qu’ils n’habitent pas sur leurs terres et qu’ils se gardent que l’histoire de la famille Shreitakh ne se répète maintes et maintes fois.
L’Etat a informé la Cour en janvier que, alors qu’en général il ne doit pas démolir sans une notification 45 jours avant, il y avait environ un tiers de Susiya qu’il se réservait le droit de démolir à tout moment sans aucun avertissement. En juillet les discussions avec les habitants ont été suspendues, jusqu’à ce que le Ministre de la Défense, Lieberman, se fasse une opinion. Cependant, quand il s’est rendu il ya quelques années à Susiya avec les Regavim, il a déclaré que le village palestinien de Susiya devait être détruit.
La Haute Cour a une occasion de réparer l’injustice qu’elle a aidé à créer en 2001. Les juges pourraient protéger les maisons qui pourraient être démolies à tout moment, et ordonner à l’Etat d’approuver un plan directeur autorisant les habitants à conserver le peu qu’ils ont. A la lumière des révélations selon lesquelles l’avocat des Regavim agit aussi comme conseiller de Shaked, Ministre de la Justice, les juges pourraient comprendre qu’une partie à ce conflit est juge, jury et bourreau. Plutôt que de se cacher derrière des termes tels que “l’ordre public” ils pourraient reconnaître que, dans les Territoires Occupés, “l’ordre public” perd sa légitimité parce qu’il est déterminé par un parlement, des tribunaux et un comité d’aménagement sans aucune représentation palestinienne. Les juges pourraient comprendre qu’ils sont le seul organisme israélien qui peut se tenir en-dehors de ce système truqué et de sa conclusion déterminée à l’avance pour refuser la justice aux habitants de Susiya.
Quand j’amène des groupes pour parler au porte-parole de Susiya, Nasser Nawaje, ils demandent souvent ce qu’il demande. Sa réponse est souvent qu’il ne demande rien de plus que les choses fondamentales que tous les êtres humains sont en droit d’attendre. Ils ne demandent rien de plus que de vivre en sécurité et de gagner leur vie à partir de leurs terres, que l’instruction et un meilleur avenir pour leurs enfants, qu’un endroit pour poser leur tête. Nasser ajoute fréquemment que son père a été expulsé des terres de la famille en Israël et déplacé à Susiya. Nasser lui-même était enfant quand sa famille a de nouveau été expulsée de ses maisons en 1986, et s’est déplacée vers ses terres agricoles. Il regarde ses enfants, et espère désespérément qu’il leur sera épargné d’avoir à endurer le même sort.
Le message deTisha B’Av est que nous Juifs habitons dans la Terre d’Israël sous conditions. Je crois que cette Terre est sainte, et que c’est le signe de l’alliance entre Dieu et le peuple juif. Cependant, quand notre amour pour la Terre d’Israël nous entraîne à faire du mal à d’autres humains, créés à l’image de Dieu tout comme nous le sommes, notre amour devient idolâtrie. L’effort implacable pour exploiter tout la puissance de l’Etat afin de déposséder de simples habitants de grottes est de la haine injustifiée.
Aujourd’hui, entre les prières de minkha [4] et la fin du jeûne, j’ai fait un pélerinage parmi certains des nombreux villages menacées de destruction. Hier, nous avons lu dans la lecture de la Haftara [5] pour le Shabbat avant Tisha B’Av que “Sion sera rachetée par la justice, et ceux qui y reviennent par la droiture.” (Isaïe 1:27). De jeunes Juifs ont passé le Shabbat à Susiya, et d’autres dans le monde ont célébré les services de prières de Kabbalat Shabbat [6] devant les ambassades et les consulats israéliens. C’est ce que notre premier président, Chaim Weizmann, a prophétisé, “Le monde jugera l’Etat juif selon la façon dont il traite les Arabes.” Qui plus est, Dieu jugera.
Arik Ascherman : le rabbin Arik Ascherman a récemment quitté, après 25 ans, l’association des Rabbins pour les Droits de l’Homme et est actuellement en train de créer une nouvelle organisation des droits de l’homme qui devrait s’appeler "Khakel » (le Champ) - Une Alliance des Défenseurs des Droits de l’Homme. Le rabbin Ascherman est un conférencier très recherché ; il a reçu de nombreux prix pour son travail pour les droits de l’homme et est la vedette de plusieurs films documentaires, dont « Israel vs Israel » (2010).
Traduit de l’anglais par Yves Jardin pour l’AFPS