Depuis plusieurs semaines nous
construisons un scénario infaillible,
pour pouvoir pénétrer sans
encombre, surtout sans risque pour nos amis
palestiniens, dans cette zone de non droit que
sont les territoires occupés et les frontières
qui les précèdent.
Dès l’arrivée à Ben Gourion qui n’offre,
ce jour là, aucune difficulté, nous savons,
nous sentons, qu’il nous faut rester sur le
qui vive. Prochaine étape et but de la mission
: Deir Istiya. C’est un village très
ancien, restauré depuis 1997 par des architectes
archéologues du comité AFPS rennais,
encerclé par huit colonies et “avant-postes”
israéliens, construits sur 1.300 hectares de
terres volés à la commune.
Nous sommes logés chez Naimeh et Zuhair.
En fait, dans une maison familiale où ils
ont installé une crèche. Zuhair a passé sept
ans dans une prison israélienne, Naimeh un
an. Ils ont deux enfants de sept et onze ans.
La vie est dure ; aussi essaient-ils de s’en
sortir avec la crèche ; mais, depuis le nonpaiement
des salaires des fonctionnaires et
la grève des enseignants, ils n’ont plus
qu’un bébé de huit mois à garder.
Travail à durée aléatoire
Il pleut, les cueillettes sont impossibles. Les
deux premiers jours, nous allons faire connaissance,
visiter le village, nous rendre à
Naplouse et Qalqiliya. Les rencontres se
succèdent. Le maire nous fait visiter les
moulins ; un villageois nous accueille autour
d’un thé alors que nous admirions la maison
qu’il habite. Ce monsieur a tant à dire
sur ses conditions de vie ; une profonde
souffrance est perceptible, il répète inlassablement
« it’s very difficult ». Il travaille
encore en Israël et doit y « dormir » toute la
semaine. La durée aléatoire du passage des
barrages rend impossible l’aller-retour dans
la journée. Il nous montre son permis de
travail, valable trois mois qui sera donc à
renouveler, jusqu’à quand ?
Nous profitons d’une accalmie pour aller
en minibus à Wadi Cana, vallée autrefois très
riche en agrumes, lieu de détente très prisé
par les villageois avant l’implantation des
colonies qui l’encerclent totalement. Pas
moins de onze sources, aujourd’hui complètement
polluées par les égouts de la colonie
d’Emanuel et empoisonnées par des
déchets d’une usine d’aluminium de la zone
industrielle d’Ariel. Le temps s’améliore,
demain nous pourrons commencer les
cueillettes.
Le terrain de la première famille se situe à
cinquante mètres de la colonie de Yachir.
On entend des tirs, on apprendra plus tard
qu’encore une fois des hectares de terres
palestiniennes ont été annexés. En fin d’aprèsmidi,
une jeep parcourt le chemin de terre,
un soldat interpelle le chef de famille, une
discussion s’ensuit. Les enfants sont excités
par la présence des soldats, les femmes
sont inquiètes et commencent à plier bagage.
Dans une autre des familles où nous allons
cueillir, le père est professeur d’anglais ; ce
qui facilite nos échanges. Nous apprenons
qu’il loue ses services. N’ayant plus de
salaire depuis huit mois, il partage le produit
de la récolte avec le propriétaire du terrain,
pour faire vivre sa famille. C’est un
militant politique, en l’occurrence il soutient
Mustapha Barghouti. Lorsque nous lui
demandons s’il ne craint pas une guerre
civile, il répond fermement que la société
palestinienne est tellement soudée qu’Israël
n’arrivera jamais à faire s’entretuer les
Palestiniens ; les affrontements entre le
Hamas et Fatah dans la bande de Gaza étant
sporadiques et fomentées par des « clans ».
L’enjeu stratégique de toute une région
Le terrain est situé entre la colonie d’Ariel
(la seconde plus grande colonie de Cisjordanie)
et la route qui relie Tel-Aviv aux
rives du Jourdain. Les oliviers centenaires
sont bordés par un hôtel israélien, une station-
service israélienne et la route où circulent
sans arrêt des jeeps et autres véhicules militaires.
Pour atteindre l’oliveraie, il faut traverser
cette grande route et, avant d’y accéder,
contourner les blocs de béton qui
empêchent tout véhicule palestinien de passer.
Sept cents hectares ont été confisqués pour
la construction de la route de contournement
et celle d’une nouvelle route est en
cours, qui reliera Ariel à Naplouse et à Jérusalem.
Plus de 2.500 oliviers seront déracinés.
Le mur autour d’Ariel est à 22 km de la
ligne verte.
Jihad nous démontre, carte à l’appui, l’enjeu
stratégique de cette région pour la politique
israélienne qui planifie un
« couloir sécurisé » qui coupera le district
de Salfit en deux cantons. Il faut donc tout
faire pour maintenir les agriculteurs sur leur
terre afin que cette région devienne la référence
oléicole incontournable. La commune
de Deir Istiya est la plus grande zone oléicole
: 3600 hectares dont 2800 oliviers.
Elle est cernée par huit colonies (30% des
colons évacués de la bande de Gaza ont été
relogés ici) et une barrière qui va relier les
colonies entre elles et de ce fait couper
l’ouest du village.
D’où cette nécessité : mener une action
pilote sur le moulin de Deir Istiya. Il faut donner
aux agriculteurs les outils qui leurs permettront
de rester sur place et de devenir en
conséquence une force de résistance politique
face aux annexions israéliennes.
Annie, militante de l’AFPS 06