La Commission des Prisonniers a publié des détails précis et atroces sur ce qui est arrivé à Heba Al-Labadi, en grève de la faim depuis 14 jours pour protester contre sa détention administrative. Elle est actuellement tenue à l’isolement à la prison de Jalamah dans des conditions très dures, à la merci des violations quotidiennes des inspecteurs israéliens.
La Commission rend public ce témoignage, par l’entremise de son avocate.
Le 20 août 2019, je suis arrivée de Jordanie avec ma mère et ma tante pour participer au mariage de ma cousine. A cette occasion, j’avais prévu de prendre cinq jours de vacances, j’étais folle de joie. C’est alors que l’occupation m’a propulsée dans un autre monde que je n’aurais jamais imaginé même dans mes pires cauchemars.
Nous sommes arrivées au pont d’Allenby à 9 heures du matin. J’ai été gardée dans une pièce pendant 2 heures, derrière une porte fermée qu’ils ont ouverte quand j’ai commencé à crier. Une femme soldat me surveillait et pendant ce temps de l’inspection, j’ai refusé de me mettre toute nue. J’ai alors été menottée, avec des liens en plastique, et on m’a bandé les yeux. On m’a transférée sur une base militaire où j’ai attendu une heure et demie sous les rayons du soleil avant d’être emmenée dans une pièce. J’ai été interrogée sur mes conditions de santé et de nouveau inspectée.
J’ai dit à la soldate que j’avais mes règles et que je devais me changer. Elle a accepté à condition de rentrer dans les toilettes avec moi. Toilettes qui sont si étroites qu’une seule personne peut y entrer. Elle est quand même venue avec moi, brandissant son fusil et me regardant fixement pendant que je me changeais. J’étais choquée, embarrassée, humiliée ; mon intimité était brutalement violée, tout comme mes droits humanitaires.
Ils m’ont alors emmenée au centre d’interrogatoire d’Al-Maskoubya. Je suis restée là pendant 3 heures, jusqu’à ce qu’une autre femme arrive. Je suis alors partie au centre d’interrogatoire de Petah Tikva où je suis arrivée à 20 heures. J’étais si fatiguée après le voyage, mes règles, le comportement sévère des soldats. J’ai longé des couloirs étroits, des escaliers, pour rejoindre les cellules au sous-sol. La soldate me brutalisait, me poussait, de façon agressive. J’ai pu faire une petite sieste d’une demi-heure et ils ont commencé à m’interroger jusqu’à l’aube du jour suivant.
L’interrogatoire a commencé à 21 heures et a continué jusqu’à l’aube des seize premiers jours. Pendant ces très longues heures, ils m’ont ramenée deux fois dans ma cellule, à l’heure des repas, pour 30 minutes à chaque fois. Puis ils m’ont transférée à Megiddo et Jalamah avant de me ramener à Petah Tikva. Je suis restée en interrogatoire pendant 35 jours dans des conditions épouvantables.
C’était cruel et violent ; je suis restée de longues heures attachée à une chaise, j’avais mal au dos, aux mains, au cou. Les interrogateurs me criaient dessus et s’asseyaient tout contre moi, de façon à toucher mes jambes délibérément. Ils m’ont craché dessus en me décrivant de façon atroce. Ils me maudissaient, me traitant de malpropre, de mauvaise graine, d’animal avec des mots atroces et cruels que j’entendais pour la première fois de ma vie. Ils ont dit que j’étais une extrémiste avant de maudire les religions islamique et chrétienne et de proclamer que le judaïsme était la meilleure des religions alors que toutes les autres étaient racistes.
Ils m’ont menacée. Ils ont dit qu’ils avaient arrêtées ma mère et ma soeur pour me forcer à avouer. Mais ils ont échoué et alors ils ont brandi la menace de la détention administrative. "Nous n’avons aucune preuve contre toi mais nous avons la détention administrative, avec le pouvoir de la renouveler jusqu’à sept ans et demi. Tu seras enfermée en Cisjordanie, tu ne pourras pas retourner en Jordanie et les visites de ta famille seront interdites." Ils essayaient de m’angoisser par tous les moyens.
Beaucoup de ceux qui m’interrogent me traitaient mal. Ma cellule est pleine d’insectes et ils m’ont donné un pyjama qui pue. Les murs de ciment sont si rugueux que je ne peux pas m’appuyer. Le matelas est très fin, je n’ai ni couverture, ni oreiller. Les lumières sont allumées en permanence et il n’y a pas de fenêtre. C’est très humide, ça sent mauvais, il n’y pas d’eau. J’ai demandé à sortir mais ils ont refusé en hurlant. Ils cherchent à m’humilier.
La salle de bains me fait penser à une tombe, c’est dégueulasse, il n’y a pas de douche, rien pour accrocher ses vêtements. Les soldats se tiennent devant la porte et j’ai peur qu’un homme entre à tout moment. Venir ici, ça m’effraie, ça me perturbe. Ils prétendent que les détenus sont nourris et propres mais dans quelles conditions ? C’est ça la question. La nourriture est très mauvaise, depuis je suis végétarienne. J’ai refusé de manger pendant une semaine, j’ai été victime d’étourdissements, ils m’ont emmenée à la clinique. Depuis, j’ai pris l’habitude de manger du pain et du yaourt, pendant que les interrogateurs dévorent ostensiblement du knafeh devant moi. Je suis régulièrement menottée et mes yeux sont bandés à chaque transfert, entre l’interrogatoire, le tribunal, la cellule, ça me fait mal, j’ai des douleurs partout.
Le consul jordanien a réussi à me rendre visite le 3 septembre. Après ça, j’ai été transférée à la prison de Jalamah pendant trois jours avant de partir à Megiddo, encore pendant trois jours, pour me forcer à avouer. Ils ont fait venir des hommes devant la porte de ma cellule, en disant que c’étaient des détenus et qu’ils voulaient m’aider. Ils ont aussi demandé à ce que je revienne sur mes déclarations mais je leur ai répondu que je n’avais rien à dire.
A Jalamah, les conditions de détention sont très difficiles. J’ai l’impression de vivre dans une maison de plastique, parce que la cellule a une cour recouverte de plastique de tous les côtés, sans ventilation. L’humidité est très élevée et je ne peux pas utiliser le ventilateur. La cellule est remplie d’insectes, des fourmis, des cafards, et les repas sont dégoûtants. Après ça, ils m’ont dit que j’allais partir à la prison pour femmes de Damoun. J’ai attendu dans un blindé ’Bosta’ pendant deux heures et ils m’ont dit que je devais aller au tribunal. Puis je suis repartie à Megiddo pour trois jours, il y faisait très froid, j’ai demandé une couverture qu’ils ont refusée de me donner. A la place, ils m’ont donné un matelas très fin, sans couverture ni oreiller, dans une pièce remplie de fourmis.
Après, je suis repartie au centre d’interrogatoire de Petah Tikva. J’étais troublée par qu’ils m’avaient dit que mon interrogatoire était fini et que j’allais être transférée à la prison de Damoun. Le directeur de Petah Tikva m’a informée que si je ne supportais pas les circonstances, je pouvais avoir des somnifères. J’ai répondu qu’il pouvait les donner aux interrogateurs plutôt. Il est important de mentionner le véhicule de transfert, le ’Bosta’, c’est une autre histoire de torture et de mauvais traitement : ils allument l’air conditionné à fond et nous laissent à l’intérieur pendant 3-4 heures. Je suis resté neuf jours à Petah Tikva, où j’ai subi trois ou quatre interrogatoires. Les six derniers jours, ils ont renoncé à m’interroger mais je suis restée dans les mêmes conditions épouvantables.
La torture psychologique est bien pire que la torture physique. C’est plus fatigant, c’est vraiment fait pour te faire mal. Je n’avais jamais vu autant de haine et d’agressivité de toute ma vie. L’endroit est plein de fer, des portes en fer, des cadenas en fer et même, des coeurs en fer. J’ai perdu le sens de l’humanité, dans cet endroit où le mot humanité n’a aucun sens. J’ai dit à celui qui m’interrogeait que la torture psychologique était bien plus difficile que la torture physique, il m’a répondu qu’il le savait.
Le 18 septembre, j’ai été transférée dans la section 3 de la prison pour femmes de Damoun. Chacune a une histoire différente. J’ai été choquée de voir Israa Ja’abis et les autres détenues blessées. Le 26 septembre, je suis repartie à Jalamah, en punition pour ma grève de la faim. La cellule était surveillée par quatre caméras, je ne pouvais même pas me changer. La salle de bains était fermée par une porte de verre et une caméra a été placée juste en face des toilettes mais j’ai utilisé une couverture pour la couvrir. Impossible de faire la même chose dans la salle de bains, alors je ne me suis pas changée pendant quatre jours, je n’ai même pas pris de douche.
J’ai demandé un Coran et un tapis de prière ; ils ont d’abord refusé mais ont changé d’avis quand je leur ai dit que j’avais le droit de pratiquer ma religion et que j’allais informer les organisations pour les droits de l’homme de cette situation. Ils m’ont apporté un Coran mais m’ont pris d’autres choses qui sont restées à Damoun. Ils m’empêchent de sortir dans la cour et m’examinent de façon très provocante, six fois par jour. Je suis très tendue, je ne dors pas. Ils viennent à tout moment pour inspecter ma cellule, sans aucune considération pour mon intimité. Aujourd’hui, ils m’ont emmenée voir un médecin dans la prison, parce que je fais de l’hypertension et que j’ai mal à l’estomac.
Ce que j’ai enduré pendant l’interrogatoire, ces conditions de détention épouvantables, je me dis que ça pourrait sortir de mon imagination mais non, je l’ai vécu. Je trouvais ça anormal et injuste quand j’entendais parler de ça mais c’est bien différent de la réalité. Cette expérience constitue la plus grande injustice faite à l’humanité, par conséquent, nous préférons la mort à l’humiliation.
Hiba Al-Labadi, 29 septembre 2019