C’est vendredi soir et une foule immense de colons juifs israéliens s’agite devant la mosquée Ibrahimi dans la vieille ville palestinienne d’Hébron.
Parmi eux se trouve Itamar Ben-Gvir, le nouveau champion de l’extrême droite raciste israélienne et l’un des dirigeants du mouvement du sionisme religieux, qui a obtenu 14 sièges lors des dernières élections générales.
Ben-Gvir, qui vit dans la colonie voisine de Kiryat Arba, en Cisjordanie occupée, où vivent quelques 7 000 colons, se réjouit de ce triomphe électoral. Certains de ses partisans sont ivres et se bagarrent avec les soldats israéliens. D’autres s’en vont jeter des pierres sur une maison palestinienne.
On estime à 32 000 le nombre de colons venus de toute la Cisjordanie pour se rendre à la mosquée - connue par les Juifs sous le nom de Tombeau des Patriarches - pour une lecture de la partie de la Torah Chayei Sarah, tirée du Livre de la Genèse.
Ils passent la nuit sous des tentes, et le lendemain matin, l’armée israélienne prend une décision imprudente.
Le matin suivant
Le matin du 19 novembre, les soldats ouvrent la porte qui sépare la zone sous contrôle israélien autour de la mosquée Ibrahimi du marché de la vieille ville d’Hébron, officiellement contrôlé par l’Autorité palestinienne.
Peu avant, ils ont avancé dans le vieux marché en érigeant des barrières pour créer un passage supposé sûr pour les colons qui ont l’intention de se rendre sur la tombe d’Othniel ben Kenaz, un juge biblique dont le sanctuaire se trouverait à Hébron.
D’autres soldats, munis de haut-parleurs, avertissent les Palestiniens de fermer leurs magasins. Ils obéissent, mais inévitablement, les colons s’écartent de l’itinéraire désigné.
Après avoir traversé les zones fermées du marché de l’habillement, ils se dirigent vers le marché aux légumes encore ouvert, renversant les étals et lançant des pierres ainsi que des injures sur leur passage.
Ils ont également fracassé les portes de deux mosquées et endommagé des véhicules appartenant à des commerçants.
Lorsque Middle East Eye arrive sur les lieux le lendemain matin, les dégâts sont visibles partout.
Une commerçante âgée montre des pierres éparpillées sur le sol et affirme qu’elles ont été lancées par des colons.
Une commerçante âgée, terrifiée, s’est effondrée pendant l’attaque et a été emmenée à l’hôpital avec une suspicion de crise cardiaque.
Khader, un boulanger, raconte : "Ils ont commencé à prendre d’assaut nos magasins à 10 heures du matin. Ils ont commencé à attaquer tous les magasins ici.
Ils sont venus de tous les côtés. Ils ont même défoncé la porte de la mosquée [mosquée Bab al-Zawiya]."
Il explique encore : "Les colons étaient répartis en cinq divisions. Ils ont commencé à attaquer en même temps. Ils sont venus de partout, de toutes les colonies. Ils avaient des armes à feu."
Un autre commerçant, Tareq, emmène MEE à sa voiture pour lui montrer un pare-brise défoncé et des panneaux cabossés par des colons en maraude. Une autre voiture endommagée est garée à proximité.
Tareq affirme que les colons ont agi en toute impunité. "Les colons avaient des pantalons noirs, des chemises blanches et des drapeaux noirs", dit-il. "Si le gouvernement israélien ne voulait pas qu’ils fassent ça [saccager les étals], il les arrêterait."
Les commerçants affirment que les colons ont déferlé dans la zone, renversant des tables chargées de fruits et de légumes, et lançant des pierres, faisant plusieurs blessés parmi les Palestiniens.
Les commerçants affirment que certains colons portaient des armes, mais ne les ont pas utilisées. Pendant ce temps, les soldats israéliens, qui sont arrivés sur les lieux après un certain temps, ont attaqué les Palestiniens qui se sont opposés aux colons.
Contactée par MEE, l’armée israélienne s’est refusée à tout commentaire.
Sans Palestiniens
La marche des colons - l’une des plus importantes jamais enregistrées à Hébron - a eu lieu quelques semaines seulement après la montée en puissance des partis religieux, qui ne cachent pas leur intention de débarrasser la Palestine des "Arabes déloyaux", lors des élections israéliennes.
Ben-Gvir, leader du parti Otzmar Yehidit, est le champion d’un mouvement de colons qui cherche à chasser les Palestiniens de Jérusalem-Est occupée et à établir un État israélien libre de toute interférence arabe en Cisjordanie.
Pour Ben-Gvir, et la droite religieuse qu’il représente, la Cisjordanie est le cœur des sites bibliques qui représentent le "véritable Israël."
Lui et ses alliés avaient assuré leurs énormes gains électoraux sur un mandat qui appelle à des changements majeurs dans le droit d’accès des Juifs à certains des plus importants lieux saints musulmans de Palestine.
Le plus important, c’est qu’ils veulent obtenir le droit de prier à la mosquée al-Aqsa, l’un des trois sites les plus sacrés de l’islam, ce qui ne manquera pas de perturber le délicat accord de statu quo qui détermine l’accès aux lieux saints palestiniens depuis des décennies.
La mosquée Ibrahimi d’Hébron est considérée comme un lieu saint par les juifs, les musulmans et les chrétiens, car elle est le lieu de naissance du prophète Abraham, patriarche des trois religions.
En 1994, un colon juif armé, Baruch Goldstein, est entré dans le complexe pendant le mois sacré du Ramadan et a ouvert le feu sur des fidèles musulmans, tuant 29 personnes et en blessant plus de 120.
Pour Ben-Gvir et nombre de ses partisans, Goldstein est un héros.
Goldstein est enterré dans la ville natale de Ben-Gvir, et sa tombe est considérée par de nombreux colons comme un sanctuaire.
Jusqu’à sa récente élection à la Knesset, une photo de Goldstein était accrochée au mur de la maison de Ben-Gvir. Ce n’est cependant pas une surprise. Dans sa jeunesse, Goldstein était un organisateur du parti Kach, aujourd’hui interdit, un mouvement de colons juifs pour lequel Ben-Gvir a joué un rôle central dans sa jeunesse, même s’il était considéré comme une organisation terroriste dans le monde entier.
Le parti Otzma Yehudit de Ben-Gvir peut être accusé de défendre les mêmes principes d’extrême droite, anti-palestiniens et autoritaires que le Kach.
Il cherche maintenant à tirer parti de son récent succès électoral pour devenir ministre de la sécurité d’Israël sous le nouveau gouvernement de Benjamin Netanyahou, ce qui pourrait entraîner de nouveaux problèmes pour les Palestiniens.
Traduction : AFPS