A ce retour de vacances, pas de changement flagrant dans la situation quotidienne ; une fois de plus la ville est bouclée suite aux attentats de Bersheva, alors que dire et que décrire ? Raisins et figues sont mûrs, les olives le seront bientôt, les enfants ont repris le chemin de l’école (à raison, parfois, de cinquante par classe), les cartables fleurissent aux devantures des magasins : un nouvel automne comme tant d’autres ? La nature en effet conserve ses droits tandis que les Hébronites constatent que les leurs sont rognés chaque jour davantage car on parle maintenant de deux murs pour Hébron : l’un qui coupera la ville en deux et l’autre, fameuse " clôture de sécurité ", dont le tracé confisquera 48 % des terres du district.
Il y a pourtant déjà les deux zones H1 et H2, matérialisées par des blocs de béton qui empêchent la circulation, de l’une à l’autre, des véhicules comme des piétons. Il y a aussi, depuis l’été 2003, des tourelles d’observation de l’armée aux quatre points cardinaux qui surplombent la vieille ville, sans compter celles installées aux entrées de la ville à proximité des barrières métalliques fermées à chaque bonne occasion (attentat en Israël, jour férié en Israël, " menaces terroristes " etc.). On pourrait donc penser qu’il n’est pas nécessaire de s’alarmer...
De même qu’il existe désormais plusieurs Palestine, tant chaque ville connaît une situation spécifique et que l’extrême difficulté à aller du nord au sud distend le tissu social palestinien, on peut facilement imaginer les quatre Hébron à venir :
celui qui se vide et ne peut soigner ses plaies, c’est-à-dire la vieille ville, où les habitants vivent dans l’insécurité permanente du fait des exactions des colons et de la présence de l’armée et qui sera bientôt totalement asphyxiée par un nouveau mur de la honte (H1) ;
celui qui se développe au détriment du premier (H2) mais dont les limites correspondent peu ou prou à celles des colonies environnantes ;
celui qui, en bordure de la future section du mur, sera étranglé car adjacent au mur " intérieur " ;
et une sorte de zone de friche, jadis riche en cultures, mais à laquelle les habitants n’auront plus accès.
Certes la situation économique de la ville sera très affectée par ces nouveaux obstacles : les carrières de pierre, puits, terres agricoles et zones industrielles seront-ils accessibles ? Le commerce, activité fleuron d’Hébron, pourra-t-il se maintenir ?
La cohésion sociale, dont l’effritement est désormais sensible, disparaîtra-t-elle pour ne produire que des poches de population à ressources inégales, à droits plus ou moins amputés, à problèmes sociaux récurrents ? Autant de questions redoutables et de réponses redoutées.
Après la division de la mosquée d’Abraham en 1994 puis de la ville en 1997, celle du district sera-t-elle l’ultime étape de la désintégration de la ville natale d’Adam, lieu de pélerinage des chrétiens, second lieu saint du judaïsme et quatrième lieu saint de l’islam ? Nous sommes au pied du mur, reste à savoir lequel...
Chantal Abu Eisheh
6 septembre 2004
Retour dans les territoires " pré-occupés "
Selon un rituel immuable, on m’isole à mon arrivée à l’aéroport (nom de famille et ville de naissance obligent...) le temps que les autorités vérifient auprès du ministère de l’Intérieur que je suis " en règle ". Puis nous prenons la route d’Hébron.
Premier barrage de Tarkumia, séparant Israël des territoires : pas de halte imposée. Mais aux abords d’Hébron les choses se compliquent : il nous faut savoir s’il existe un passage pour pénétrer dans la ville. Un taxi collectif qui semble être au fait de la situation, mouvante d’heure en heure, nous fait signe de le suivre. Demi-tour pour constater finalement que l’entrée du village de Tarkumia que nous avions dépassée est libre. Nous nous y engageons et ne croisons avant Beit Kahel qu’une jeep de l’armée israélienne qui, après avoir fait rebrousser chemin aux véhicules qui nous précédaient, nous laisse passer. Ca y est, nous y sommes ... 12 h aprés avoir quitté Arcueil (Val-de-Marne).
Chez mon père nous glanons les dernières informations : destruction de maisons, arrestations, bouclage etc. Nous apprenons aussi que l’armée est passée la veille dans le bâtiment de l’association, demandant -sans pénétrer dans le local- à un membre du bureau quelles étaient nos activités, avant de repartir. Sur le chemin de la maison, nous croisons d’autres soldats qui semblent fouiller un garage. Plus tard, chez nous, des tirs se font entendre dont les enfants nous font voir les lueurs. Demain je devrais aller à la fac, mais entre shabbat et bouclage, je renonce.
Dimanche 5 septembre, je me décide, bien que la ville soit toujours fermée. Impensable de prendre ma voiture. A 8h15, je passe un premier talus où m’a laissé Chantal pour monter dans un taxi, en direction d’Al-Khader. Des soldats viennent de menacer les chauffeurs ; ils attendent de leur crever les pneus et de prendre les clés des voitures s’ils ne dégagent pas dans dix minutes. Je m’engouffre au hasard dans un taxi qui démarre en trombe et emprunte des chemins caillouteux pour éviter les barrages. Il y en a tout de même deux, franchis sans difficulté peut-être grâce aux prières de deux religieux qui demandent que les yeux des soldats se ferment à notre passage . Au troisième barrage, cependant, on nous fait descendre de voiture pour vérification. L’effet de la prière se serait-il dissipé ? demandé-je à l’un des religieux, peu sensible à mon humour.
Arrivé à l’université vers 9h30 j’apprends que les étudiants ne peuvent s’inscrire auprès de l’administration en raison de difficultés dans la programmation des cours. On parle également de grève si la moitié de notre salaire d’août n’est pas versée le 7 septembre. Je profite d’être là pour louer une chambre meublée afin de pouvoir coucher sur place les jours où il me sera impossible de rentrer sur Hébron.
Je reprends ensuite le chemin mouvementé de la maison : un premier taxi d’Abu Dis à Bethléem puis un second de Bethléem à Al Khader (et un premier talus) puis -après une bagarre entre chauffeurs et trois changements successifs de véhicules qui ne démarrent pas- un troisième taxi pour l’entrée de Halhoul (et un deuxième talus) puis un quatrième pour aller jusqu’à l’entrée de la ville. Là, deux rangées de barbelés et des soldats. Mot d’ordre du jour : seuls sortent d’Hébron les habitants des villages environnants et seuls y entrent les habitants de la ville. Un soldat me demande en arabe de déchiffrer le domicile d’un vieillard dont il me montre la carte d’identité et qu’il laisse finalement passer. A mon tour de lui sortir mon passeport et de constater son étonnement. Après vérification soigneuse de mon visa, je prends un cinquième et dernier taxi qui m’amène à la maison. Sur le trajet je croise notre voisin photographe de presse qui est allé faire des clichés de la mise en chantier du mur au sud d’Hébron.
Demain sera un autre jour, mais mardi aussi puisqu’il nous faut retourner à Jérusalem. Ici, on le savait déjà, les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Anwar Abu Eisheh
6 septembre 2004