Extraits d’un entretien avec la chaîne Al-Jazeera réalisé par Khalid Amayreh
Aljazeera.net : La guerre civile entre Palestiniens
est-elle inévitable ?
Ismail Haniyeh : La guerre inter- palestinienne
est une ligne rouge que nous
ne devons pas franchir, et la guerre civile
entre frères n’a pas place dans notre
vocabulaire. Nous ne sommes pas des
experts en matière de guerre civile et
nous ne sommes pas susceptibles d’être
entraînés dans une telle perspective. En
outre, pour qu’une guerre civile ait lieu,
il doit y avoir deux camps en concurrence
avec des intérêts fondamentalement
opposés. Et ce n’est pas le cas dans
notre société.
Aljazeera : Pourtant, du sang palestinien a
été répandu par des mains palestiniennes ici
à Gaza. Est-ce que ceci ne vous alarme pas,
vous et votre gouvernement ?
I. H. : En effet, chaque fois que coule
le sang palestinien suite à ces désaccords
regrettables cela nous fait souffrir,
et je vous assure que nous faisons des
efforts extraordinaires afin que cela ne
se produise plus.
Mais des hommes armés du Fatah et du
Hamas sont dans les rues et n’importe
quel malentendu ici ou là pourrait déclencher
une guerre ouverte.
Il y a certaines différences et une concurrence
entre le Fatah et le Hamas. Cependant,
ces différences ne justifient pas
que du sang soit répandu par nos mains.
Nous ferons en sorte que la voix de la raison
reprenne le dessus. Et je vous garantis
que ceux qui parient sur la guerre
civile seront déçus.
Aljazeera : Pensez-vous que les derniers
meurtres et l’anarchie dans Gaza étaient spontanés
ou organisés ?
I. H. : Il y a des indices selon lesquels
certaines entités organisées sont derrière
des tentatives récentes pour déstabiliser
Gaza, afin de faire passer le gouvernement
pour impuissant et incapable
d’imposer la loi. Certaines de ces personnes
sont des représentants du régime
corrompu qui nous a précédés ; ils
s’inquiètent car la stabilité serait nuisible
à leurs intérêts. Ces éléments existent
dans divers services gouvernementaux
et tentent constamment de créer la confusion
et des conflits. Mais nous les aurons
tôt ou tard.
Aljazeera : Qui sont ces gens ?
I. H. : Ce sont des agents de l’Amérique
puisqu’ils mettent en oeuvre le plan
américano-israélien pour user et affaiblir
le gouvernement jusqu’à ce qu’il s’effondre.
Mais la vigilance de notre peuple a contrecarré
leurs plans.
Aljazeera : Quelle est la position de votre gouvernement
par rapport au projet de référendum
que le président Abbas dit vouloir mettre en
place si les organisations ne définissent pas
une stratégie commune en ce qui concerne
Israël ?
I. H. : Tout d’abord, nous devons donner
la priorité au dialogue national afin
d’assurer son succès. Cependant, si nous
nous trouvons confrontés à une impasse,
nous pouvons étudier d’autres solutions.
Ceci dit, nous sommes inquiets de
l’échéance trop proche de la proposition
de référendum [1] qui nous semble un
moyen de pression susceptible de vider
le dialogue national de sa substance.
Aljazeera : Il y a le sentiment répandu que
l’Autorité palestinienne a deux têtes, vous et
Abbas ?
I. H. : Oui, il y a des éléments qui peuimpression. Cependant,
il est également
vrai que les
pouvoirs du président
et du Premier
ministre sont définis
par la loi fondamentale.
Le problème auquel
nous faisons face
est que nous avons
hérité un système
dont le Fatah a
tenu les rênes, ce
qui a entraîné de
nombreux excès.
Aujourd’hui, il y a deux forces qui dirigent
le bateau palestinien, chacune se revendiquant
d’une légitimité démocratique et
patriotique.
Je tiens pour sûr que certains veulent
dépeindre l’AP comme bicéphale. Mais
je suis convaincu que cette vision s’estompera
au fur et à mesure que le fonctionnement
entre l’AP et le gouvernement
sera plus harmonieux.
Aljazeera : L’administration des Etats-Unis
estimait que votre gouvernement s’effondrerait
au bout de trois mois.
I. H. : Les Américains disent beaucoup
de choses. Regardez juste comment ils
se comportent en Irak. Je veux rappeler
aux Américains que mon gouvernement
est issu des urnes et bénéficie d’un large
soutien populaire, indépendamment des
désirs morbides venant de telle ou telle
capitale.
Ils punissent notre peuple pour avoir
exercé ses droits démocratiques. En se
comportant avec une telle agressivité
contre un peuple qui souffre sous une
occupation militaire étrangère, les Etats-
Unis se créent de plus en plus d’ennemis
dans cette partie du monde. Les musulmans
comme les non-musulmans ne
croient plus que les Etats-Unis sont crédibles
sur la question de la démocratie.
Aljazeera : Le Hamas est-il en train de perdre
son soutien populaire ?
I. H. : Allez dans les rues et posez vousmêmes
la question aux gens. Avez-vous
vu les rassemblements géants dans toute
la Bande de Gaza ?
Aljazeera : Oui, mais les gens sont affamés et
ils veulent nourrir leurs enfants ; ils ne peuvent
pas les alimenter avec des slogans et
des discours.
I. H. : Nous ne vendons pas des mots
et des discours vides à notre peuple.
Mais nous ne pouvons pas nous permettre
d’abandonner nos droits légitimes
et inaliénables pour de l’argent américain.
Abandonneriez-vous la mosquée
d’Al-Aqsa pour de l’aide étrangère ?
Aljazeera : Que diriez-vous aux Palestiniens
qui estiment que le Hamas amène la pauvreté ?
I. H. : La pauvreté et le chômage existaient
bien avant la victoire électorale du
Hamas. En outre, si le Hamas répandait
la pauvreté comme vous le dites, alors
pourquoi une majorité du peuple a-t-il
voté pour le Hamas et pourquoi la majorité
des Palestiniens soutiennent-ils le
Hamas ?
Aljazeera : Quel est le montant de l’aide que
vous avez réussi à obtenir de la part des pays
arabes, islamiques et sympathisants ?
I. H. : En dépit de la sévérité du blocus
américain, nous avons réussi à recueillir
plus de 400 millions de dollars qui auraient
solutionné l’essentiel de nos problèmes
s’il n’y avait pas eu les intimidations américaines
vis-à-vis des banques locales et
régionales pour qu’elles s’abstiennent de
transférer l’argent vers les Territoires
occupés.
Nous nous rendons compte qu’il y a une
conspiration énorme pour exercer un blocus
sur le gouvernement palestinien et pour
l’amener à s’effondrer. Mais la constance
et la vigilance de
notre peuple ne permettront
pas que
cela se produise.
Aljazeera : Quelle est
la politique américaine
en ce qui concerne le
Hamas ?
I. H. : Eh bien,
l’administration Bush
est sous la forte
influence de trois
groupes principaux
qui sont par nature
hostiles à tout ce qui est islamique : la
droite américaine, les chrétiens sionistes
et les néo-conservateurs.
Ces forces combinées sont plus ou moins
commandées ou au moins fortement
influencées par Israël. En fait, tout le
monde sait que le groupe d’influence juif
est réellement parvenu à déterminer la politique
étrangère américaine.
Ceci explique le fait que l’administration
Bush est plus hostile à notre égard que
certains dirigeants israéliens eux-mêmes.
Est-ce que ce n’est pas étrange ?
Quant aux Etats-Unis, nous sommes
convaincus que les Américains ordinaires
ne nous détestent pas. Et nous ne les
détestons pas. Mais ils ne savent pas la
vérité au sujet de ce qui se passe ici.
Aljazeera :Y aurait-t-il la paix entre Israël et
un Etat palestinien éventuel sur l’intégralité
de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et Jérusalem-
Est ?
I. H. : Oui, il peut y avoir la paix, mais
laissez moi vous poser une question :
Israël est-il prêt à abandonner tous les territoires
qu’il a occupés en 1967, même
en échange d’une paix totale avec les
Palestiniens ?