Après avoir été détenu trois ans dans une prison israélienne, puis enfermé deux ans lors de la pandémie de Covid-19, Nihad Zughair attendait avec impatience le Hajj de cette année.
Mais alors que l’administrateur de voyages du groupe de pèlerinage palestinien réalisait les derniers préparatifs le mois dernier, il a été surpris par la prolongation d’une interdiction de voyage israélienne à son encontre.
Le natif de Jérusalem devra désormais assister au rituel sacré sur un écran, après avoir amèrement fait ses adieux aux pèlerins de son groupe avant leur départ pour La Mecque, en Arabie saoudite, où le Hajj doit commencer jeudi.
"L’interdiction m’a fait payer un lourd tribut", a-t-il déclaré à Middle East Eye. "Mon cœur est attaché à la maison sacrée de Dieu, et je ne trouve mon réconfort que dans cette partie du monde".
Zughair, un militant bien connu à Jérusalem, s’est vu imposer une interdiction de voyager de trois mois en avril, prolongée de quatre mois en juin.
La notification qui lui a été donnée invoquait des "raisons de sécurité", a déclaré Zughair, sans donner plus de détails.
"Personne ne sait ce que signifie la privation du Hajj, sauf ceux qui ont goûté à la douceur du Hajj", a-t-il écrit dans un post Facebook après avoir appris l’interdiction.
"Chaque année, les gens nous disent au revoir lorsque [nous partons pour La Mecque], et cette année, je dis au revoir aux pèlerins avec des larmes."
Zughair a déclaré que depuis ses 18 ans, il a été ciblé par les autorités israéliennes pour son activisme et interdit d’entrer dans la mosquée al-Aqsa à plusieurs reprises au fil des ans.
Au retour d’un voyage de la Omra à La Mecque en 2017, il a été arrêté par la police israélienne et condamné à trois ans de prison.
Il a été accusé de soutenir une organisation appelée "les jeunes d’al Aqsa", un nom qu’il dit n’avoir jamais entendu de sa vie.
Après sa libération, les déplacements de Zughair ont été largement limités et il n’a pas été autorisé à partir avec une équipe de football de jeunes qu’il entraînait pour un tournoi en Europe.
Depuis lors, il s’est juré de ne plus quitter Jérusalem, sauf pour se rendre à la Mecque, une destination qu’il ne peut plus atteindre non plus.
Une prison étroite
Les autorités israéliennes émettent régulièrement des interdictions de voyager à l’encontre des Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupés, pour des raisons de sécurité qui ne leur sont pas précisées.
En 2017, Israël a inscrit près de 13 937 Palestiniens sur une liste d’interdiction de voyage pour "raisons de sécurité" - ce chiffre est tombé à 10 594 en 2021, selon le groupe israélien de défense des droits HaMoked.
Souvent, les interdictions visent les défenseurs des droits humains et leurs proches.
"Je n’ai pas pu me rendre dans les deux saintes mosquées de toute ma vie, alors que c’est mon seul souhait".
- Nasser al-Hadmi, chercheur palestinien
Nasser al-Hadmi, chercheur palestinien et responsable du comité de Jérusalem contre la judaïsation, a été victime de cette pratique pendant presque toute sa vie d’adulte.
En plus des interdictions de voyager renouvelées à son encontre, il lui est également interdit d’entrer dans la mosquée al-Aqsa et dans tout quartier de Jérusalem-Est autre que celui où il réside.
"Je vis dans une prison étroite ", a déclaré Hadmi à MEE, décrivant la vie dans le quartier d’al-Suwaneh, où il est confiné.
L’ordre d’interdiction de voyager contre lui, généralement signé par le ministre israélien de l’Intérieur, l’accuse d’être une "figure de proue du Hamas".
Chaque fois qu’il dépose un recours contre cet ordre régulièrement prolongé depuis 2017, celui-ci est rejeté.
"Je n’ai pas pu me rendre dans les deux saintes mosquées [La Mecque et Médine] toute ma vie, alors que c’est mon seul souhait", a déclaré Hadmi.
"Chaque fois que j’entends mes amis parler de l’enregistrement de leur nom pour la prochaine saison du Hajj, je suis profondément attristé."
Restrictions de mouvement
Depuis des décennies, Israël est accusé d’imposer des restrictions discriminatoires à la circulation des Palestiniens à Jérusalem-Est occupée, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Amnesty International et Human Rights Watch citent toutes deux les restrictions de mouvement "draconiennes" comme l’une des mesures imposées contribuant à un "système d’apartheid", une accusation qu’Israël dément avec véhémence.
À Jérusalem-Est, où Israël applique le droit civil contrairement à la Cisjordanie, les Palestiniens se voient toujours imposer des interdictions de voyager pour activité politique de manière disproportionnée par rapport aux Israéliens, a déclaré l’avocat Khaled Zabarqa dans une interview accordée à MEE.
Les raisons de ces interdictions sont souvent dissimulées et ni l’avocat ni les défendeurs ne peuvent y avoir accès.
Lorsque les affaires font l’objet d’un appel et parviennent aux hautes cours, elles sont présentées aux juges sans la présence des requérants ou de leurs avocats en raison de la nature "confidentielle" des informations discutées, selon Zabarqa.
L’avocat basé à Lydd (Lod), qui a passé sa carrière à défendre des militants palestiniens à Jérusalem et en Israël, affirme que cette pratique juridique reflète une politique israélienne "raciste".
"L’interdiction de voyager n’est pas pratiquée pour préserver la loi ou la sécurité publique comme le prétendent les autorités israéliennes", a déclaré Zabarqa.
"Elle vise à soumettre les habitants de Jérusalem et à supprimer leurs libertés".
Traduction et mise en page : AFPS /DD