Plus d’un an après des élections annulées et un violent soulèvement, les Palestiniens sont confrontés à la perspective d’une transition déstabilisante. Le président Mahmoud Abbas, 87 ans, continue d’exercer une forte emprise sur le pouvoir, mais son règne touche inévitablement à sa fin. Une succession en douceur sera difficile, car Abbas occupe trois postes de direction - il est président de l’Autorité palestinienne (AP) et chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du Fatah, son principal parti. Il a vidé de leur substance ou mis hors d’état de nuire les institutions et les procédures qui auraient autrement permis de décider qui prendrait sa place. Pour compliquer les choses, si Abbas est le leader des Palestiniens du monde entier, le centre de gravité du mouvement national s’est déplacé vers les territoires qu’Israël occupe ; Pour des raisons pratiques, seuls les Palestiniens qui y vivent auront voix au chapitre pour choisir un successeur. Pour éviter le risque de chaos, toute direction palestinienne intérimaire devrait assurer une transition stable, que les Palestiniens reconnaissent comme légitime, en autorisant une élection présidentielle qui ratifierait un successeur désigné ou, mieux encore, qui permettrait aux Palestiniens de choisir librement parmi les candidats.
En tant que successeur du cofondateur de l’OLP, Yasser Arafat, Abbas a assumé de grandes responsabilités lorsqu’il est devenu chef de l’OLP à la mort de ce dernier en 2004 et président de l’AP un an plus tard. Il était nominalement le principal représentant politique des Palestiniens du monde entier : dans les territoires occupés, dans la diaspora et (en sa qualité de chef de l’OLP) même en Israël. Il n’existe pas de mécanisme unique permettant à cette communauté large mais fragmentée d’élire ses dirigeants, et l’OLP a donc mis au point différentes procédures de succession dans ses diverses institutions et organes. Depuis les accords d’Oslo de 1993, qui ont conduit à la création de l’AP dans les territoires occupés, les 5,35 millions de Palestiniens de Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de Gaza portent le poids politique de ce qui reste du mouvement national palestinien. Pourtant, leurs dirigeants, avec l’aide d’Israël, ont à maintes reprises contrecarré leur aspiration à voter aux élections présidentielles et législatives, qui auraient pu leur conférer une légitimité populaire.
C’est donc un casse-tête, lorsque la personne qui cumule les trois principaux postes de direction, et qui a gouverné d’une main toujours plus autoritaire, écartant les procédures, affaiblissant les institutions et réduisant au silence les critiques, arrive à la fin de son mandat. Le défi est d’autant plus grand qu’Abbas n’a pas indiqué clairement qui il souhaiterait voir lui succéder, semant ainsi la confusion et encourageant la rivalité extra-institutionnelle entre les successeurs potentiels.
Trois scénarios se présentent. Dans le premier, Abbas ou ses successeurs intérimaires ordonneraient un retour aux règles, en faisant revivre les institutions de contrôle judiciaire qu’il a mises de côté et en réintroduisant un certain degré de volonté populaire dans les procédures de succession. Pour l’instant, rien n’indique que les dirigeants palestiniens choisiront cette voie, bien qu’elle soit la plus sûre. Dans le second scénario, Abbas désignerait un successeur avant de quitter la scène ou, s’il ne le fait pas, le Fatah en sélectionnerait un par la suite. Une telle mesure pourrait apporter une stabilité initiale lors d’une transition, mais il est peu probable qu’elle soit durable. Il est probable que la pression monte rapidement parmi les Palestiniens en faveur d’un vote populaire. En outre, un successeur ne bénéficiera pas de l’autorité d’Abbas en tant que cofondateur de l’OLP ni de l’emprise sur les institutions palestiniennes qui lui a permis de repousser les élections. Le troisième scénario, qui est certainement plausible, verrait la transition s’effondrer dans le désarroi et, potentiellement, la violence surgir entre les factions armées alignées sur des politiciens particuliers et contrôlant différentes parties de la Cisjordanie. Cette dernière éventualité pourrait remettre en question la survie de l’AP.
Ce que veulent les acteurs non palestiniens est loin d’être sans importance. Israël considère la situation avant tout comme une question de sécurité dans les territoires qu’il occupe - raison principale pour laquelle l’AP, qui était l’intendante d’un futur État palestinien, est devenue, dans les faits, une auxiliaire de l’exercice du contrôle israélien. Pour perpétuer l’occupation et tout ce qui l’accompagne, Israël préfère que les cercles dirigeants existants restent en place après Abbas. Mais il se garde bien de soutenir ouvertement un quelconque candidat, de peur que son soutien ne soit politiquement fatal pour cette personne auprès du public palestinien. Plus inquiétant encore, il est presque certain que le nouveau gouvernement d’extrême droite israélien introduira de nouveaux éléments déstabilisants dans l’occupation militaire - expansion accélérée des colonies, mouvements vers une annexion complète, actions provocatrices sur les lieux saints musulmans de Jérusalem - qui compromettraient la préférence apparente de l’establishment sécuritaire israélien pour le maintien du statu quo.
De même, les États voisins comme la Jordanie et l’Égypte, bien que leurs responsables restent muets, préféreraient une transition qui ne change rien à l’équation, ne serait-ce que parce qu’une différence pourrait les obliger à agir. Quant aux puissances extérieures, telles que les États-Unis et l’Europe, elles continuent de prononcer des paroles en faveur de la démocratie, même si elles signalent qu’elles se contenteraient de ce qu’Israël et ses voisins peuvent accepter ou réaliser.
Il n’y a pas de moyen facile de renouveler la direction du mouvement national palestinien. Les accords d’Oslo ont permis aux échelons supérieurs de l’OLP de retourner en Cisjordanie et, dans tous les cas, ce sont maintenant les Palestiniens de cette région qui auront ou non la possibilité de peser sur le choix du prochain président de l’AP. Si les Palestiniens doivent continuer à chercher à renouveler la politique dans son ensemble, l’imminence de la transition dans les territoires occupés suggère que les préparatifs d’une succession doivent y débuter immédiatement si l’on ne veut pas aggraver une situation déjà tendue.
Il existe des procédures constitutionnelles pour déterminer la succession, que les dirigeants palestiniens devraient prendre des mesures pour réaffirmer et rétablir après des années de négligence. Il est toutefois peu probable qu’ils le fassent. Il ne semble pas non plus que les acteurs internationaux nominalement investis dans une solution juste et durable du conflit fassent beaucoup pour pousser Abbas dans cette direction. Mais même sans restaurer les institutions palestiniennes avant qu’Abbas ne quitte la scène, il est difficile d’envisager un scénario dans lequel la pression n’augmente pas pour un vote peu après, même si le transfert effectif du pouvoir se fait sans heurts. Il sera donc essentiel que les acteurs étrangers fassent tout ce qu’ils peuvent pour soutenir - et certainement ne pas faire obstacle - à un processus post-Abbas qui verrait la légitimité de tout successeur confirmée par une élection, au minimum un vote présidentiel, organisé dans l’ensemble des territoires occupés. Cela ne suffirait pas, loin de là, à renforcer les efforts chancelants visant à créer un État palestinien viable, mais cela réduirait les risques qu’une succession bâclée ne déclenche un nouveau chaos, voire l’effondrement de l’AP.
Traduction : AFPS