"Israël s’identifie à tout ce qui est classé en zone C, nous allons faire la même chose avec la zone A", a déclaré le Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh aux familles de Wadi al-Hummus dont les maisons ont été détruites par Israël. Bien dit, à condition d’ignorer que la partition artificielle de la Cisjordanie en différentes zones sous autorité administrative, policière et militaire était censée arriver à expiration en 1999. Pour corroborer ses paroles, Shtayyeh aura besoin de bien plus qu’une compensation pour les démolitions.
Cette lettre "C" incarne le génie du plan israélien et la naïveté des dirigeants palestiniens. Le génie s’est enrôlé au service d’un formidable acte de fraude : achever la prise de possession du territoire par Israël et créer des réserves séparées pour les Palestiniens, sous couvert de l’euphorie des négociations d’Oslo.
Parce que le monde a promis de soutenir un Etat palestinien, les dirigeants de l’OLP ont cru que la division artificielle de la Cisjordanie serait temporaire. La naïveté s’est enkistée, elle est devenue bêtise. Ou pour le dire autrement, cette naïveté s’est transformée en collaboration avec le fraudeur, alors même que les intentions d’Israël sont claires comme de l’eau de roche. La bêtise a servi les intérêts matériels du système étatique et de son entourage, tout en exigeant le prix fort : le peuple a perdu toute confiance en ses dirigeants, au point de les haïr et de mépriser le Fatah.
Cette lettre "C", c’est la droite ligne tracée entre Yitzhak Rabin, Shimon Peres, Ehud Barak, les équipes mises en place pour négocier l’accord temporaire et son application et Bezalel Smotrich [NDT : ministre des Transports, parti Israël Notre Foyer] , Benjamin Nétanyahou et Moshe Ya’alon [NDT : ministre de la Défense, parti Bleu-Blanc].
Il existait probablement une logique pour le retrait de l’armée de différentes zones de Cisjordanie, qui aurait donné matière à la création et au déploiement des institutions de l’Autorité Palestinienne. Mais si les intentions de Peres et de Rabin avaient été libérées du colonialisme, tous les pouvoirs civils et administratifs pour la planification et la construction, pour la réhabilitation et l’agrandissement des zones agricoles, la modernisation des infrastructures d’approvisionnement en eau auraient été immédiatement restitués aux Palestiniens. Délibérément, elles ne l’ont pas été.
Les enclaves palestiniennes et l’expansion des colonies qui les engloutissent n’ont pas été créées par hasard. Elles sont le fruit des brillants planificateurs de l’entreprise sioniste – les dirigeants du Parti travailliste. Smotrich et Nétanyahou ont juste appris d’eux. Les 700 permis de construire promis par Israël la semaine dernière (apparemment à la place de bâtiments palestiniens existants) relèvent de la plaisanterie. Même le gouvernement n’a plus à se cacher quand il jette du sable dans les yeux de tout le monde.
La COGAT [NDT : Coordination des Activités Gouvernementales dans les Territoires], l’Administration civile et le conseil régional du Yeshastan [NDT : Yesha ou Judée-Samarie en hébreu, appellation israélienne de la Cisjordanie] vont continuer leurs croisades pour empêcher l’AP de poser des canalisations d’eau et des câbles électriques, de construire des stations d’épuration, de goudronner des routes pour répondre aux besoins des Palestiniens, de bâtir des écoles ou de développer le tourisme.
Quand les faits sont si clairs, le Premier ministre palestinien devrait prouver que ses mots ne sont pas des slogans vides. Le président Abbas et lui doivent d’abord exiger que les centaines de membres des services de sécurité soient déployés en dehors des villes et des villages, sans armes ni uniformes, pour ne pas donner aux Israéliens l’excuse pour un bain de sang. Chaque jour, sur ordre d’Abbas et de Shtayyeh, ils devraient accompagner les troupeaux, les ouvriers sur les chantiers, ceux qui aident à réhabiliter les champs et les terrasses arborées, et escorter les camions qui transportent les matériaux de construction.
Ils devraient monter la garde des villages et des maisons menacés par les voyous juifs et les employés de la COGAT. Ils devraient pénétrer dans la Vielle Ville de Hébron par dizaines, par centaines, chaque jour ; aller prier à la mosquée d’Abraham, escorter les touristes, rendre visite aux héros assiégés de Tel Rumeida [NDT : un site archéologique près de Hébron revendiqué par les colons], défendre la rénovation des bâtiments anciens et accompagner les étudiants quotidiennement attaqués par les colons et la police des frontières.
Shtayyeh et Abbas ont le pouvoir d’ordonner aux dirigeants des services de sécurité et du Fatah comme Majid Faraj [NDT : patron des services palestiniens], Ziad Hab al-Reeh [NDT : patron de la sécurité intérieure palestinienne] et Hussein al-Sheikh [NDT : dirigeant de l’Autorité générale des Affaires civiles] d’aller à la rencontre du peuple et de visiter tous ces endroits régulièrement. Décréter un changement de fiche de poste entre "sous-traitant de l’occupant" et "défenseur du peuple et de la terre" va avec la promesse d’Abbas de cesser ses activités conformément aux termes des accords obsolètes conclus avec Israël. Et, plus important encore, un tel changement aiderait probablement les Palestiniens à croire que leurs dirigeants prennent soin d’eux.
Traduit de l’anglais (original) par l’AFPS