La bande de Gaza, prison à ciel ouvert, est coupée en trois régions du nord au sud, par des check point fermés très souvent au gré de l’armée et enrayant toute communication. C’est une véritable prison vivante qui a depuis longtemps absorbé ses barbelés.
Les problèmes s’accumulent : chômage massif, pollution de l’eau, destructions régulières, couvre feux, incursions, (ces deux derniers étant le fait de l’ensemble des Territoires Palestiniens Occupés) .
Il n’y a plus ni espoir ni désespoir. La mort est présente, non comme fataliste, mais comme intégrée, faisant partie de la vie, du fait des incursions multiples, des destructions, du bruit permanent des avions et hélicoptères, véritable guerre psychologique. Une mère de famille témoigne : « mes enfants dorment avec moi, si on doit mourir cette nuit, nous serons ensemble ».
A Gaza, nous avons vu le quartier de Zeitoun, détruit dans son ensemble, maisons, oliviers, route, commerces. Les habitants ont installé des tentes sur les décombres.
L’eau est un problème majeur. Un responsable du PHG, (Palestinian Hydrology Group, hydrauliciens palestiniens) souligne que les puits sont pollués à l’exception de quelques uns au nord. L’évacuation des eaux se fait de moins en moins dans la mer en même temps qu’il y a salinisation de l’eau. Il y a un très fort manque d’infrastructures.
Les colons, qui occupent 1/3 de la bande de Gaza, pompent une part importante de Gaza. Ils possèdent un gros réservoir et un réseau de pipes lines. Les déchets de leurs industries et les pesticides empoisonnent l’eau qui est rejetée à Gaza.
Des répercussions sont constatées chez les enfants : troubles sanguins (sang bleu), cancers. A Rafah, le projet d’un bassin d’eau que veulent creuser les Israéliens sur une profondeur de 20 à 40m pour consolider la frontière d’Egypte, détruira de nombreux puits.
Sur le plan économique, selon l’estimation du PARC (Comités de Secours Agricoles), les Gazaouis sont en situation de survie : s’ils peuvent encore assurer leur autonomie en matière de fruits et légumes, tous les autres produits proviennent d’Israël et la consommation, pour des raisons financières est plus que limitée.
Les pêcheurs obtiennent de temps à autre l’autorisation de sortir les bateaux, sur la bande de mer qui leur est réservée, ie : quelques km. Dans un si petit espace, la reproduction des poissons est très difficile.
Des immeubles ont été construits mais ils restent vides, faute de pouvoir payer un loyer.
La situation dans les camps est catastrophique. L’UNWRA lance un cri d’alarme : l’aide apportée a diminué de plus de 60%. Dans la Bande de Gaza où il y a 900 000 réfugiés, s’ajoute, comme ailleurs, le contrecoup de l’Intifada : le relogement de 560 familles de Rafah dont le domicile a été détruit par les bulldozers israéliens ces dernières semaines, la réhabilitation de la voierie dévastée par les chars.
Pour l’ensemble des enfants et des jeunes de la Bande de Gaza, l’éducation reste une priorité. Les résultats aux examens sont très bons. La fréquentation de l’école et de l’université reste élevée (97%) Les jeunes comme leurs professeurs tentent le maximum malgré la fermeture des check point.
Ceux de Rafah et de Khan Younis ont manqué très souvent, mais soit ils s’hébergent sur Gaza, soit ils se transmettent les cours par internet. Rien ne peut arrêter cette assiduité scolaire.
Khan Younis
Khan Younis, au sud de Gaza, est encore plus enfermée que Gaza, car coupée de tout accès à la mer, du fait des colonies. Nous avons pu profiter de quelques heures d’ouverture du check point.
La colonie, insolente de verdure et située au bord de la mer est protégée par un mur. Les maisons palestiniennes, situées devant ce mur, continuent d’être détruites sur une large surface.
La situation est parfois tendue. Des groupes armés, masqués, marginaux certes, sont présents : ainsi, en sortant d’une visite au centre Culture et Pensée Libre [1], nous nous sommes trouvés face à l’une de ces factions, armés, campés sur l’ensemble de la route et il a fallu très vite rebrousser chemin.
En effet, de retour à Gaza, il nous a été signalé au centre culturel qu’il était dangereux de circuler ainsi, certains groupuscules se disant « anti français » du fait de la politique française sur le voile, la France étant jugée « anti islamiste ». De tels slogans sont formulés aussi à l’encontre du centre Culture et Pensée Libre.
Rafah, le monde savait
Rafah est située au sud de la bande de Gaza, à la frontière d’Egypte. Du 18 au 21 mai, présentes à Gaza et Khan Younis, nous avons été témoins, impuissants, de la tragédie de Rafah.
Quatre jours avant l’opération Arc en ciel, un ami israélien nous a informées que la presse israélienne annonçait la destruction de 800 maisons à Rafah et la construction d’un grand bassin de séparation, de 20 à 40m de profondeur. Le monde savait.
Opération Arc en Ciel : Rafah était bouclée, nous entendions le bruit incessant des avions, nous étions témoins des appels des familles de Rafah.
Le 19 mai, vers 20H, un étudiant envoie un SMS à son professeur de français : « ils avancent, mon voisin vient de mourir, je sais que c’est mon tour. Au revoir ».
Le directeur du PARC apprend que son beau frère et deux de ses fils viennent de mourir.
Les messages se succèdent : « ils ont tiré sur la manifestation pacifique et spontanée des habitants de Rafah : trois missiles des hélicoptères, sept obus des chars. » « Des jeunes, des enfants sont morts, des blessés saignent au milieu de la route, on ne peut pas sortir, ils nous tirent dessus. Tous les habitants de R afah sont sous couvre feu, l’électricité est coupée ».
A l’appel de radios françaises qui demandent des nouvelles, Marianne répond laconiquement. A quoi bon donner des détails ! Elle écrira dans la soirée : « je ne peux même pas dire que je suis inquiète ou angoissée. Je ne sais plus ce que je ressens. A vrai dire, j’ai envie de pleurer, surtout quand j’entends la voix de mes étudiants pris au piège. J’ai envie de frapper quand j’entends des jeunes dire que je ne dois pas m’en faire, que la vie et la mort pour les Palestiniens, c’est la même chose. Ils ont 20 ans ».
Au siège de l’UPMRC [2], nous apprenons que les ambulances n’ont pas pu atteindre les blessés ou les morts, des ambulances portent des traces de balles. Beaucoup de blessés sont atteints à la tête ou au thorax, certains sont opérés à même le sol.
Les systèmes d’égout ont été endommagés et le contenu coule à travers les rues. L’interdiction aux soins a été maintenue pendant 24H.
Pour les Palestiniens, cette opération n’est qu’un épisode dans ce long processus de destruction qui a commencé depuis quelques années : 2150 maisons ont été détruites, 1600 endommagées entre octobre 2002 et octobre 2003, selon les sources de l’UNWRA, 191 ont été détruites les deux premières semaines de mai, et environ 200 pendant cette dernière opération, dans les quartiers de Brazil et de Tal Essultan. Nous sommes informées de la poursuite de ces destructions.
Le monde s’est ému trois jours, puis tout est retombé. Des gouvernements ont condamné, rituel devenu classique et banal. Plus que jamais, nous avons ressenti la force et la terrible injustice de ce silence international.
Les Palestiniens, eux, n’attendaient rien. La solidarité s’est mise en route aussitôt, collecte de sang, de vêtements, de vivres.
Simplement, le Président de l’UPMRC nous a remis, le matin de notre départ, un rapport précis sur la situation, un appel à la solidarité internationale a été lancé.
Huit jours plus tard, le 24 mai, alors que j’étais à l’aéroport de Tel Aviv, j’ai pu voir un avion canadien se poser et décharger ses containers avec l’UNWRA. Y en a-t-il eu d’autres ?
Le retrait de la Bande de Gaza n’est pas à l’ordre du jour des discussions palestiniennes. Comment le serait-il dans un univers qui frise parfois l’apocalypse et ne voit que destruction constante ?
Pour eux, les moyens déployés par l’armée pour protéger les colons de la Bande de Gaza sont énormes et seront sans doute plus à même d’être redéployés en Cisjordanie.
Le monde pensera qu’il s’agit encore d’une offre généreuse cette fois ci de Sharon.
Sans aéroport, sans port, sans frontière autonome, sans assurance économique, certains prévoient avec humour, l’arrivée d’Arafat, héliporté et nouveau roi de la « principauté de Gaza ».
Des amis de Gaza nous ont raccompagnées au poste de contrôle d’Eretz. Un très fort moment d’émotion, nous avions le sentiment de leur dire au revoir après une visite dans une prison.
Puis nous avons entamé la longue marche dans le tunnel désert, habillé de barbelés, attendu une heure avant que les soldats nous autorisent à passer le premier tourniquet, sans bagage puis avec bagages. Entre ce premier tourniquet et le deuxième, nous sommes restées une autre heure, tenues en joue par un jeune soldat.
Deux journalistes nous ont rejoints, la mine défaite, ils arrivaient de Rafah. Alternant entre le tragique de la situation du sud [à Rafah] et le côté plutôt ridicule du nord [le passage vers Israël], c’est le fou rire qui l’a emporté en attendant le bon vouloir de tous ceux qui attendaient sans doute un autre feu vert, de qui ? L’ambiance était tendue.
Pourtant, un autre moment fort devait se vivre lorsque l’un des soldats, chargé de la fouille des bagages, a soulevé une bouilloire écrasée et demandé au journaliste concerné quel était cet objet : « c’est un cadeau d’une famille de Rafah », « I am very sorry », a répondu le soldat. Et c’est avec beaucoup de tact qu’il a fouillé les valises suivantes.