Dix mois se sont écoulés depuis la dernière attaque israélienne contre la bande de Gaza, qui - comme les précédentes - a laissé une grande partie de l’enclave assiégée en ruines. Malgré cela, et en dépit des promesses des différents bailleurs de fonds internationaux, les responsables affirment que depuis l’arrêt des combats en mai dernier, seuls cinq pour cent de la reconstruction essentielle ont été réalisés.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation : le retard dans l’acheminement des fonds de reconstruction, les prix élevés des matériaux de construction au niveau mondial et local, et la décision de l’Égypte de réduire les exportations vers la bande de Gaza.
Les autorités de Gaza dirigées par le Hamas estiment le coût de la reconstruction à plus de 400 millions de dollars, en raison des pertes directes subies pendant la guerre israélienne qui, outre les centaines de morts, a entraîné la destruction de milliers de maisons, de logements, d’infrastructures et d’installations commerciales et industrielles.
Le sous-secrétaire du ministère palestinien des Travaux publics et du Logement, Naji Sarhan, a déclaré à Middle East Eye qu’un comité conjoint composé du ministère et du syndicat des entrepreneurs palestiniens (PCU) était prêt à discuter avec les donateurs pour trouver une solution à la crise.
Toutefois, il a déclaré que la reconstruction n’avait pas encore véritablement commencé en raison de ce qu’il a décrit comme des "restrictions des conditions de financement". M. Sarhan a estimé que seuls cinq pour cent environ des travaux nécessaires avaient été réalisés.
Shawki Abu Salah, l’un des entrepreneurs chargés de lancer les projets de reconstruction, a déclaré qu’il avait été contraint d’arrêter les travaux en raison des prix élevés et de la pénurie de matériaux de construction. Cela l’a obligé à licencier environ 70 employés, ne lui laissant que 15 travailleurs.
"Les prix actuels sont complètement différents de la période de passation des contrats pour la mise en œuvre des projets, ce qui entraîne de lourdes pertes", a déclaré Abu Salah à MEE.
Selon les registres du syndicat des entrepreneurs palestiniens, 250 entreprises travaillant dans le secteur de l’entrepreneuriat et de la construction emploient directement plus de 30 000 travailleurs au total, en plus de leur contribution à fournir environ 20 000 autres opportunités d’emploi dans des professions connexes.
Abu Salah a déclaré qu’il n’excluait pas l’effondrement complet du secteur de l’entrepreneuriat et de la construction à Gaza s’il n’y avait aucun répit dans la guerre russe contre l’Ukraine, qui a forcé de nombreux pays, dont l’Égypte, à imposer des restrictions sur leurs exportations de matériaux de construction.
Les responsables palestiniens ont négocié avec les responsables égyptiens dans le but d’exempter Gaza de l’interdiction d’exportation, mais même s’ils y parviennent, il pourrait être trop tard.
Abu Salah a déclaré que Gaza importe la plus grande partie de ses besoins en fer de Russie et d’Ukraine, tandis qu’elle dépend principalement de l’Égypte, et d’autres sources, pour fournir d’autres matériaux de construction.
Il a déclaré que cette situation, combinée à la "hausse insensée" des prix de matériaux comme l’asphalte - dont le prix de la tonne est passé, selon lui, de 2 000 shekels (629 dollars) à 4 500 shekels (1 415 dollars) - rendait son travail non viable financièrement.
Lenteur de l’approvisionnement à Gaza
Un responsable de l’Autorité des points de passage de Gaza a déclaré à MEE que les importations de ciment en provenance d’Égypte avaient diminué de plus de 70 % depuis le 10 mars, passant de 3 000 tonnes par semaine à moins de 1 000 tonnes.
Ce qui est importé d’Égypte est limité aux besoins des projets de reconstruction financés par l’Égypte à Gaza, tandis que les importations d’aluminium et de granit ont complètement cessé.
L’Égypte avait annoncé qu’elle apporterait un soutien financier d’un demi-milliard de dollars à la bande de Gaza pour sa reconstruction, à la suite d’une trêve entre le Hamas et Israël en mai dernier.
Toutefois, les entrepreneurs de Gaza ont déclaré que les quantités de matériaux de construction importées d’Égypte ont fortement diminué au cours des deux dernières semaines, et que les quelques quantités qui parviennent à Gaza à un "rythme lent" ont été limitées à la réalisation de projets de reconstruction financés par l’Égypte concernant les cités résidentielles et la réhabilitation des infrastructures.
Selon les données du syndicat des entrepreneurs palestiniens, ces événements ont entraîné une hausse de plus de 36 % du prix du fer, tandis que le prix de l’asphalte a augmenté de plus de 60 %, celui de l’aluminium de 40 % et celui du cuivre de 35 %.
Une "véritable catastrophe"
Les entrepreneurs s’attendent à une "véritable catastrophe" si leur secteur s’effondre, une catastrophe qui affectera tous les aspects de la vie à Gaza.
Un entrepreneur, Osama Kuhail, préconise d’arrêter temporairement les projets tout en payant les frais administratifs aux entrepreneurs jusqu’à ce que la crise se résorbe, ou d’annuler les contrats et de verser une compensation aux entrepreneurs pour les conséquences.
"Nous préférons continuer à travailler avec le gouvernement, ainsi qu’avec les donateurs, pour supporter les différences de prix, afin d’éviter la faillite des entreprises, les licenciements et une grave crise du chômage", a déclaré Kuhail à MEE.
Le chef du syndicat des entrepreneurs palestiniens, Alaa al-Araj, a averti qu’au moins 100 entreprises contractantes risquaient la faillite si aucune aide n’était apportée.
"La recherche d’alternatives pour se procurer des matériaux de construction est très difficile compte tenu de l’augmentation du tarif d’expédition du fret d’environ cinq fois, passant de 2 000 à 17 400 dollars", a-t-il déclaré à MEE.
Gaza devra également prendre des "mesures d’urgence" et imposer des restrictions sur les exportations de ces matériaux pour faire face aux répercussions de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, a-t-il ajouté.
Al-Araj a déclaré qu’il pensait que la solution résidait dans la prise en charge par le gouvernement et les donateurs des "différences de prix" sur les matériaux de construction, afin de garantir la poursuite de la construction et de protéger le secteur contractuel de l’effondrement.
Traduction : AFPS