Tous les tunnels ne se valent pas. Il y a les passages artisanaux, étroits et sombres, et les véritables forages. Celui de D., à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, appartient à la seconde catégorie. Une poulie électrique massive a été installée au-dessus du puits d’entrée. Sous le toit en tôle, protégeant les lieux des drones israéliens, un véritable atelier a été installé. Sous terre, les parois ont été consolidées avec du bois et du fer. Depuis quatre jours, grâce à un générateur bourdonnant et un long tuyau, on y pompe un flot d’eaux usagées.
C’est l’armée égyptienne, de l’autre côté de la frontière, qui pensait ainsi condamner l’un des rares tunnels de contrebande encore en activité, par lequel circulent notamment les cigarettes. Trois semaines plus tôt, le même tunnel avait déjà été inondé, puis asséché. « J’ai dû changer la sortie en faisant creuser plus loin, raconte D. Ça fait six ans que je suis dans cette activité, et ça devient vraiment de plus en plus dur. »
En moins d’un an, 90 % des tunnels ont été détruits. Une douzaine se sont effondrés. Le régime égyptien n’a pas ouvert, en contrepartie, le point de passage de Rafah, si ce n’est un jour ou deux, de temps à autre. L’armée israélienne aussi traque les tunnels. Elle a annoncé, lundi 18 avril, avoir neutralisé un tunnel d’attaque creusé par le Hamas, qui s’étendait du sud de la bande de Gaza vers l’une des communautés israéliennes frontalières. Il s’agit du premier tunnel de cette nature identifié depuis la guerre de l’été 2014.
« Les tunnels, c’était le seul endroit où l’on embauchait »
Le blocus demeure impitoyable autour de la bande de Gaza, aux mains des islamistes du Hamas. Le Caire ne compte pas faire de geste conciliant à l’égard du mouvement armé palestinien, accusé d’un double péché : sa proximité avec les Frères musulmans, et ses relations discrètes avec les djihadistes dans le Sinaï, qui ont fait allégeance à l’organisation Etat islamique (EI) en novembre 2014.
Ces derniers mois, une dizaine de personnes sont mortes dans l’effondrement et l’inondation de tunnels. Parmi eux, Fadi Abou Dein, 23 ans. A Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, sa famille s’est serrée sous un abri de fortune, en guise de tente de deuil. Nous sommes à la mi-mars. Les habitants du quartier viennent présenter leurs condoléances. L’oncle de Fadi, Emad Abou Dein, 54 ans, raconte son histoire banale. Le jeune homme a terminé le lycée, puis n’avait pas les moyens de poursuivre des études. « Il a sept frères et sœurs. il a dû travailler pour nourrir tout le monde. C’était très facile d’aller à Rafah et de trouver du boulot. Les tunnels, c’était le seul endroit où l’on embauchait. » Le 12 mars, Fadi travaillait des dizaines de mètres sous terre, avec l’un de ses frères, lorsque les Egyptiens ont ouvert les vannes et inondé. Lui et un autre jeune homme de Rafah ont péri.
Des rapports ambivalents
Coïncidence : le jour même où Fadi est mort, une délégation de douze officiels du Hamas s’est rendue dans la capitale égyptienne, pour rencontrer les responsables des services de sécurité. Une démarche exceptionnelle. Les accusations des Egyptiens sont nourries. Par exemple, sur l’implication du Hamas dans l’assassinat du procureur Hisham Barakat, en 2015. Ou encore les liens avec les djihadistes dans le Sinaï. Selon l’armée israélienne, la branche militaire du Hamas passe par les hommes de péninsule du Sinaï, la branche locale de l’EI, pour l’acheminement d’armes lourdes. Les djihadistes, eux, prélèveraient leur dîme sur ces livraisons et feraient soigner leurs blessés dans les hôpitaux de Gaza. « Les Israéliens mentent à 100 % », assure Ghazi Hamad, haut cadre du Hamas pour les affaires étrangères.
Selon lui, les discussions entamées avec le régime du maréchal Sissi servent à « briser la glace, après trois années de tension et une longue série d’accusations ». « On leur a dit : si vous avez des accusations précises, parlons-en. Si vous voulez un renforcement de la sécurité le long de la frontière, on le fera. L’Egypte est un pays-clé, aussi bien pour l’amélioration de la vie quotidienne à Gaza que sur les questions de réconciliation palestinienne. »
Malgré les gestes du Hamas, l’Egypte n’a pas confiance. Les rapports ambivalents qu’entretient le mouvement islamiste avec les salafistes à l’intérieur même de la bande de Gaza la conforte dans ce sentiment. Le Hamas balance depuis des années entre tolérance et répression. Selon une source diplomatique, l’une des demandes égyptiennes est l’arrestation et le transfert à ses services d’une liste d’activistes salafistes, Palestiniens ou étrangers, présents à Gaza. Ce foyer salafiste demeure certes très limité ; mais il sert d’exutoire pour une minorité radicale. Parmi elle, il y aurait des déçus des groupes armés palestiniens traditionnels.
L’un des jeunes leaders salafistes a 31 ans. Il dit avoir terminé des études de médialogie à l’université de Gaza. Son dernier surnom en date est Abou Al-Aynein Ansari. Déjà arrêté trois fois, il fait preuve d’une grande prudence dans son expression, au sujet du Hamas. « On ne considère pas le Hamas comme notre ennemi, dit-il. Notre première volonté est de vaincre l’occupation israélienne. Ensuite, d’établir la charia [loi islamique]. » Il se présente comme un « sympathisant de l’Etat islamique », sans pour autant entretenir de « contacts formels » avec ses cadres, qui lui donnent tout de même « quelques conseils ». Selon Abou Al-Aynein Ansari, il y aurait « quelques centaines » de salafistes comme lui, répartis en cinq groupes distincts, dans la bande de Gaza. Un chiffre probablement gonflé. Le sien serait responsable de plusieurs tirs de roquettes vers Israël, depuis la guerre de l’été 2014, n’ayant causé pour l’instant aucun dégât.