Photo : Scènes de la procession funéraire du journaliste Ismail Al-Ghoul, assassiné par l’armée israélienne à l’ouest de Gaza. 31 juillet 2024. Crédit : Karamnaji1 / Palestine online.
Mercredi, l’armée israélienne a tué deux autres journalistes palestiniens à Gaza.
Ismail al-Ghoul et Rami al-Rifi travaillaient lorsqu’ils ont été frappés par les forces israéliennes dans la ville de Gaza.
Al-Ghoul, dont les reportages sur Al Jazeera étaient populaires auprès du public arabe, portait un gilet de presse au moment où il a été tué.
Ces derniers assassinats portent le nombre record du monde de journalistes tués par Israël à au moins 113 au cours du génocide actuel à Gaza, selon l’estimation la plus prudente.
Aucun autre conflit mondial n’a tué autant de journalistes de mémoire récente.
Israël a une longue tradition de violence à l’égard des journalistes, et le nombre de journalistes tués à Gaza n’est donc pas nécessairement surprenant.
En fait, un rapport du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) datant de 2023 fait état d’un "schéma de plusieurs décennies" selon lequel Israël s’en prend aux journalistes palestiniens et les tue.
Par exemple, une enquête de Human Rights Watch a révélé qu’Israël avait pris pour cible "des journalistes et des installations de médias" à quatre reprises en 2012. Au cours de ces attaques, deux journalistes ont été tués et de nombreux autres ont été blessés.
En 2019, une commission des Nations-Unies a conclu qu’Israël avait "tiré intentionnellement" sur deux journalistes palestiniens en 2018, les tuant tous les deux.
Plus récemment, en 2022, Israël a abattu la journaliste palestinienne américaine Shireen Abu Akleh en Cisjordanie.
Israël a tenté de nier sa responsabilité, comme il le fait presque toujours après avoir commis une atrocité, mais les preuves vidéo étaient accablantes et Israël a été contraint d’admettre sa culpabilité.
Il n’y a eu aucune conséquence pour le soldat qui a tiré sur Abu Akleh, qui portait un gilet et un casque de presse, ni pour les Israéliens impliqués dans les autres incidents visant des journalistes.
Le CPJ a suggéré que les forces de sécurité israéliennes jouissaient d’une "immunité quasi générale" dans les cas d’attaques contre des journalistes.
Dans ce contexte plus large, le fait qu’Israël s’en prenne à des journalistes pendant le génocide en court n’est vraiment pas surprenant, ni inhabituel.
Cependant, ce qui est vraiment surprenant, voire choquant, c’est le silence relatif des journalistes occidentaux.
Bien qu’il y ait eu des reportages et de la sympathie en Amérique du Nord et en Europe, en particulier de la part d’organisations de surveillance comme le CPJ, il n’y a pas de sentiment de solidarité journalistique, et certainement rien qui s’approche d’une indignation et d’un tumulte généralisés concernant la menace que les actions d’Israël font peser sur les libertés de la presse.
Pouvons-nous imaginer un instant quelle serait la réaction des journalistes occidentaux si les forces russes tuaient plus de 100 journalistes en Ukraine en moins d’un an ?
Même lorsque les médias occidentaux ont parlé des journalistes palestiniens tués depuis le début de la guerre actuelle, ils ont eu tendance à accorder à Israël le bénéfice du doute, présentant souvent ces meurtres comme des victimes involontaires de la guerre moderne.
En outre, la dépendance écrasante du journalisme occidental à l’égard des sources pro-israéliennes a permis d’éviter les adjectifs colorés et les condamnations.
En outre, la dépendance excessive à l’égard des sources pro-israéliennes a parfois rendu difficile la détermination de la partie au conflit responsable de certains massacres.
Un cas unique ?
On pourrait supposer que les organes de presse occidentaux ont simplement maintenu leur dévotion aux principes de détachement et de neutralité qu’ils se sont imposés en matière de reportage.
Mais dans d’autres situations, les journalistes occidentaux ont montré qu’ils étaient capables de faire du bruit, mais aussi de faire preuve de solidarité.
L’assassinat en 2015 de 12 journalistes de Charlie Hebdo en est un bon exemple.
À la suite de cet attentat, un véritable spectacle médiatique s’est déroulé, l’ensemble de l’institution journalistique occidentale s’étant apparemment unie pour se concentrer sur l’événement.
Des milliers de reportages ont été produits en quelques semaines, un hashtag de solidarité ("Je suis Charlie") est devenu viral, et les déclarations et sentiments de solidarité ont afflué de la part de journalistes occidentaux, d’organes de presse et d’organisations attachées aux principes de la liberté d’expression.
Ainsi, la Society of Professional Journalists des États-Unis a qualifié l’attaque contre Charlie Hebdo de "barbare" et de "tentative d’étouffer la liberté de la presse".
Freedom House a émis une recommandation tout aussi sévère, qualifiant l’attaque d’"horrible" et notant qu’elle constituait une "menace directe pour le droit à la liberté d’expression".
PEN America et la National Secular Society britannique ont décerné des prix à Charlie Hebdo et le Guardian Media Group a fait un don massif à la publication.
Le silence et calme relatifs des journalistes occidentaux face à l’assassinat d’au moins 100 journalistes palestiniens à Gaza sont particulièrement choquants si l’on considère le contexte plus large de la guerre d’Israël contre le journalisme, qui menace tous les journalistes.
En octobre, à peu près au moment où la guerre actuelle a commencé, Israël a déclaré aux agences de presse occidentales qu’il ne garantirait pas la sécurité des journalistes entrant dans la bande de Gaza.
Depuis lors, Israël a maintenu l’interdiction faite aux journalistes internationaux, s’efforçant même de les empêcher d’entrer à Gaza lors d’une brève pause dans les combats en novembre 2023.
Plus important encore peut-être, Israël a utilisé son influence en Occident pour orienter et contrôler les récits occidentaux sur la guerre.
Les organes de presse occidentaux ont souvent obéi aux tactiques de manipulation israéliennes.
Par exemple, alors que l’indignation mondiale montait contre Israël en décembre 2023, Israël a diffusé de fausses informations faisant état de viols massifs et systématiques de femmes israéliennes par des combattants palestiniens le 7 octobre.
Les médias occidentaux, y compris le New York Times, se sont laissés piéger. Ils ont minimisé l’indignation croissante à l’égard d’Israël et ont commencé à mettre en avant l’histoire du "viol systématique".
Plus tard, en janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a pris des mesures provisoires contre Israël.
Israël a réagi presque immédiatement en lançant des accusations de terrorisme absurdes contre l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Les médias occidentaux ont minimisé l’histoire des mesures provisoires, qui était très critique à l’égard d’Israël, et ont mis l’accent sur les allégations contre l’UNRWA, qui dépeignaient les Palestiniens sous un jour négatif.
Ces exemples, ainsi que d’autres, de manipulation israélienne des récits d’actualité occidentaux s’inscrivent dans un schéma d’influence plus large, antérieur à la guerre actuelle.
Une étude empirique a montré qu’Israël planifie régulièrement les attaques, en particulier celles qui sont susceptibles de tuer des civils palestiniens, de manière à s’assurer qu’elles seront ignorées ou minimisées par les médias américains.
Au cours du génocide actuel, les organes de presse occidentaux ont également eu tendance à ignorer la censure généralisée des contenus pro-palestiniens sur les médias sociaux, un fait qui devrait préoccuper toute personne intéressée par la liberté d’expression.
Il est facile de citer une poignée de reportages et d’enquêtes occidentaux qui ont critiqué certaines actions israéliennes pendant le génocide actuel.
Mais ces reportages se sont perdus dans une mer d’acquiescement aux récits israéliens et dans un cadre général pro-israélien et anti-palestinien.
Plusieurs études, notamment les analyses du Centre for Media Monitoring et de The Intercept, ont démontré de manière écrasante que les reportages occidentaux sur la guerre en cours étaient pro-israéliens et anti-palestiniens.
Le journalisme occidental est-il mort ?
De nombreux journalistes aux États-Unis et en Europe se présentent comme des diseurs de vérité, des critiques du pouvoir et des sentinelles.
Tout en reconnaissant les erreurs commises dans les reportages, les journalistes se considèrent souvent, ainsi que leurs organes de presse, comme s’efforçant de respecter les principes d’équité, d’exactitude, d’exhaustivité, d’équilibre, de neutralité et de détachement.
Mais il s’agit là du grand mythe du journalisme occidental.
De nombreux ouvrages spécialisés indiquent que les organes d’information occidentaux sont loin de respecter les principes qu’ils se sont fixés.
Mais la guerre d’Israël contre Gaza a encore montré que les organes d’information sont des fraudes.
À quelques exceptions près, les organes d’information d’Amérique du Nord et d’Europe ont abandonné leurs principes déclarés et n’ont pas soutenu leurs collègues palestiniens pris pour cible et tués en masse.
Face à ces échecs spectaculaires et aux recherches approfondies qui montrent que les organes d’information occidentaux sont loin de respecter leurs idéaux, nous devons nous demander s’il est utile de continuer à entretenir le mythe de l’idéal journalistique occidental.
Le journalisme occidental, tel qu’il était envisagé, est-il mort ?
Mohamad Elmasry
Professeur dans le programme d’études sur les médias à l’Institut de Doha pour les études supérieures.
Traduction : AFPS