Il suffisait de regarder l’émission de Channel Four à la télévision cette semaine avec l’ambassadeur d’Israël au Royaume uni pour comprendre que le renforcement du siège sur Gaza, l’invasion du nord de la Bande aujourd’hui et la crise humanitaire qui menace sur l’ensemble du territoire pour comprendre que cela n’a rien à voir avec la récente capture d’un soldat israélien -ou même les roquettes artisanales de faible portée qui sont tirées, habituellement sans effet, sur Israël par les Palestiniens.
Interrogé par le présentateur Jon Snow de Channel Four sur les raisons qui sous tendent le bombardement par Israël de la seule centrale électrique de Gaza -coupant ainsi l’électricité à plus de la moitié des habitants (1. 3 million) de la Bande pour les mois à venir et menaçant aussi l’approvisionnement en eau- Zvi Ravner a nié que cette action pouvait être une punition collective de la population civile.
Il affirmait plutôt que la centrale électrique devait être mise hors d’usage pour empêcher les personnes qui ont capturé le soldat de le faire sortir discrètement de Gaza la nuit. C’est à Jon Snow, stupéfait, qu’il est revenu de dire que les contrebandiers préfèrent en général opérer dans l’obscurité et que les actions d’Israël risquaient d’aider les personnes qui ont capturé le soldat plutôt que les gêner.
Le miroir déformant de la désinformation israélienne concernant à la fois le siège et l’invasion de Gaza - et sa large reprise par les médias occidentaux crédules, réussit à détourner l’attention du but réel d’Israël dans cette guerre inégale.
A Gaza actuellement la destruction des infrastructures civiles et administratives rappelle les équipées cruelles de l’armée israélienne dans les rues de Cisjordanie lors des invasions répétées de 2002 et 2003 et les attaques sauvages par les colons israéliens des fermiers palestiniens qui essaient de récolter leurs olives.
L’ absence relative de ces histoires d’ horreur aujourd’hui n’est que le reflet du terrible succès du mur qu’Israël a construit au travers des terres agricoles et autour des centres de population palestiniens en Cisjordanie. Les colons n’ont plus besoin de s’attaquer aux récoltes de fruits quand le fruit reste pourrir sur l’arbre parce que les fermiers ne peuvent plus atteindre leurs oliveraies.
Pour ce qui est des invasions en Cisjordanie, les chars israéliens sont entrés facilement dans les villes palestiniennes qui étaient déjà isolées et affaiblies par l’étau des check-points et des barrages de routes sur tout le territoire. Les blindés israéliens détruisaient les pylônes électriques comme s’ils jouaient au bowling, les tireurs d’élite perçaient les citernes sur le toit des maisons, les soldats déféquaient sur les photocopieurs des bureaux et l’armée fouillait les ministères pour y voler leur documents confidentiels ou les détruire.
Il faut noter que c’est seulement dans les dédales d’allées des camps de réfugiés surpeuplés de Jénine et Naplouse que l’armée rencontra vraiment des difficultés et qu’elle subit des pertes relativement élevées.
C’et ce qui peut expliquer la prudence militaire dont fait preuve le Premier ministre Ehud Olmert en ce qui concerne l’ invasion terrestre de Gaza. La minuscule Bande, assiégée sur ses frontières terrestres par une armée israélienne postée derrière une clôture électronique et par la marine israélienne sur son front maritime,est un camp de réfugiés gigantesque et surpeuplé.
La semaine dernière la Bande de Gaza a été « assouplie » par des frappes aériennes sur ses infrastructures et les ministères. Aujourd’hui l’infanterie a commencé à répandre davantage la mort et la destruction -14 personnes ont été tuées au moment où j’écris- dans des exercices de ratissage selon un mode établi précédemment en Cisjordanie
On peut distinguer 3 motifs constants dans la menace israélienne actuelle qui pèse sur Gaza.
D’abord, Israël est déterminé à continuer sa campagne pour détruire la capacité à gouverner de l’Autorité palestinienne. Ce qui n’a rien à voir avec la récente élection du Hamas au gouvernement de l’ANP.
La politique unilatérale d’Israël -qui ignore la volonté du peuple palestinien- a commencé bien avant, quand Yasser Arafat était président. Elle a continué pendant la présidence de Mahmoud Abbas, un dirigeant qui est aussi proche de la collaboration que ce qu’Israël peut jamais espérer trouver. Le succès électoral du Hamas a simplement donné à Israël l’excuse qu’il cherchait pour lancer son invasion et lui a permis de fonder sa demande de soutien international, alors qu’il est en train de faire mourir Gaza.
Israël espère sans aucun doute qu’à la fin de ce processus il se retrouvera avec un Abbas, président potiche, retranché dans un coin, qui sera prêt à signer tout accord qu’Israël imposera.
Ensuite, l’attaque sur Gaza est conçue -comme toujours- pour détourner de la véritable bataille. Il est largement reconnu que l’obstination de Sharon à poursuivre sa politique de désengagement de Gaza l’an dernier avait pour objectif de lui laisser les mains libres pour annexer de larges morceaux d’un gâteau plus gros : la Cisjordanie et pour s’emparer du prix le plus important de tous : Jérusalem-est.
Sur ce front là rien n’a changé.
Comme Israël maintient actuellement les yeux du monde rivés sur la souffrance de Gaza, il commence à mener des actions significatives en Cisjordanie et Jérusalem.
Il se prépare à l’ évacuation plusieurs fois reportée de quelques colonies illégales postées sur les collines de Cisjordanie -appelées avant- postes en Israël- et exigée comme une première étape de l’application de la feuille de route, processus de paix parrainé par les Etats-Unis et quasi oublié.
Ces avant-postes sont minuscules, souvent juste quelques caravanes. Israël trouvera un avantage certain à ce que le monde ne regarde pas de trop près l’évacuation de ces lieux. Ce sera un non événement mais qui sera sans aucun doute présenté plus tard comme un énorme sacrifice pour la paix qu’Israël aura fait et comme une exigence de la Feuille de route qu’il aura satisfaite.
La perte de ces avant-postes et de quelques colonies plus importantes ouvrira la voie à l’acceptation du « plan de convergence » d’ Olmert, l’extension unilatérale des frontières d’ Israël au dépends d’un Etat palestinien viable.
Sont également significatives les mesures que prend Israël à Jérusalem-est et qui passent inaperçues tandis qu’Israël fait résonner les tambours de guerre à Gaza.
La semaine dernière Israël a enlevé à quatre députés du Hamas leur droit de vivre à Jérusalem-est, les expulsant ainsi vers la Cisjordanie. Il vient aussi de montrer qu’il pouvait les enfermer ainsi que des dizaines de représentants démocratiquement élus sans même un frémissement de la communauté internationale.
Pour ajouter à sa politique en trompe l’oeil, la prise en otages de ces députés par Israël est présentée comme des « arrestations » par les médias occidentaux. Peu d’entre eux se sont préoccupés du fait que ces élus sont privés de leurs droits civiques élémentaires tels que la rencontre avec leurs avocats.
Comme l’ont déclaré les quatre avocats des élus du Hamas ça n’a aucun sens qu’Israël ait permis à ces quatre membres du Hamas de se présenter aux élections et que maintenant, après leur victoire, il dise que leur appartenance au parti est du « soutien au terrorisme ».
C’est aussi un signe très préoccupant de la facilité avec laquelle Israël pourra commencer le nettoyage ethnique de Jérusalem- est sous le plus petit prétexte.
Troisièmement et c’est sans doute le plus significatif, Israël utilise le siège et l’invasion de Gaza comme laboratoire pour tester la politique qu’il entend appliquer à la Cisjordanie après la « convergence ». Les Gazaouis sont des cobayes sur lesquels Olmert expérimente l’ “action extrême” dont il se vante.
La destruction de la centrale de Gaza et la perte de l’électricité pour quelque 700 000 Palestiniens ; le manque d’eau qui en découle ; l’amoncellement des déchets qu’on ne peut évacuer et l’inévitable propagation des maladies ; le manque de carburant et les menaces contre les services vitaux tels que les hôpitaux ; les bangs supersoniques de l’aviation israélienne qui terrifient les enfants de Gaza et les raids aériens imprévisibles qui terrifient tout le monde ; l’incapacité des responsables palestiniens de gérer des ministères bombardés et de procurer des services ; la menace permanente d’invasion par les troupes israéliennes massées à la « frontière » et l’écroulement de l’état de droit et de l’ordre quand les hommes armés du Fatah et du Hamas sont encouragés à s’affronter...Tout cela est conçu dans un seul but : faire que les Palestiniens, civils et militants, n’aient qu’une envie, s’enfuir au plus vite du trou à rats qu’est Gaza.
La circulation dans les tunnels qui servaient précédemment aux contrebandiers de Gaza va changer de sens : au lieu de faire entrer des cigarettes et des armes dans Gaza, il est probable que ce seront des gens qui quitteront bientôt Gaza par ces passages sous- terrains pour chercher à vivre à l’extérieur.
Si cette expérimentation du désespoir humain marche dans la petite Bande de Gaza on pourra appliquer ses leçons à bien plus grande échelle dans les ghettos de Cisjordanie qui resteront après la « convergence ».
C’est à ça que ressemble le nettoyage ethnique quand il est conçu non pas par des bouchers e uniformes mais par des technocrates en costumes.