Photo : La Boîte bleue du Fonds National Juif.
Pendant des décennies, des Juifs du monde entier ont choyé l’oeuvre soi-disant charitable du Fonds National Juif d’achat et de gestion de terres en Israël. Des générations d’enfants juifs ont été encouragées à déposer des sous dans ses boîtes de collecte bleues emblématiques.
Le Fonds est également tenu en haute estime par les gouvernements occidentaux, qui subventionnent généralement les dons de leurs citoyens au FNJ en les considérant comme exonérés d’impôts. Parallèlement, des organismes internationaux sollicitent ses conseils sur les questions d’environnement et de durabilité.
Mais un vote du conseil d’administration du FNJ, le mois dernier, menace de démasquer l’organisation caritative sioniste, même auprès de ses plus fidèles partisans. Pour la première fois, l’organisation a accepté d’allouer publiquement des fonds à l’expansion de colonies juives illégales d’Israël en Cisjordanie occupée.
12 millions de $ (10 millions de €) mis de côté
Le FNJ a initialement mis de côté près de 12 millions de dollars pour ce qu’il décrit comme des "achats de terres" en Cisjordanie occupée. En réalité, le FNJ financera la confiscation et l’appropriation de terres palestiniennes par les autorités d’occupation israéliennes.
Selon certains rapports, le FNJ pourrait finalement injecter des centaines de millions de dollars de ses réserves en Cisjordanie afin de plus que doubler la taille de la population de colons dans cette région, qui passerait d’au moins 450 000 à un million de Juifs.
Des analystes ont remarqué que le KKL- FNJ - dénomination connue de l’organisation en Israël - est en train de se réinventer comme une « banque » pour les hommes politiques de droite. Ils veulent utiliser ses énormes réserves pour enraciner la politique d’annexion de facto du gouvernement en aidant les colons à resserrer leur emprise sur la Cisjordanie.
Collusion avec les crimes de guerre
Inquiets de l’image que cela donnera en dehors d’Israël et de la menace que cela pourrait représenter pour les activités de collecte de fonds du FNJ à l’étranger, cinq des 32 membres du conseil d’administration du FNJ ont demandé que la décision soit annulée.
Ils placent leurs espoirs dans une réunion de suivi, après les élections israéliennes du 23 mars, au cours de laquelle le conseil d’administration votera sur la question de savoir si le FNJ change sa politique déclarée et intervient ouvertement en Cisjordanie.
A moins que la décision soit annulée, les donateurs du FNJ - ainsi que les gouvernements étrangers qui accordent le statut d’organisme de bienfaisance au Fonds - seront directement et visiblement complices du développement des colonies et de l’érosion des perspectives d’un État palestinien.
De manière significative, une telle collusion interviendra immédiatement après que la Cour Pénale Internationale de La Haye ait annoncé le mois dernier une enquête sur les crimes de guerre éventuels d’Israël, notamment la construction et l’expansion des colonies.
Blanchiment d’argent public
La décision du FNJ est une dramatique indication sur la façon dont les ultra-nationalistes alliés au gouvernement de Benjamin Netanyahu ont pris le contrôle de la plus ancienne organisation internationale sioniste.
Jusqu’à maintenant, le FNJ en Israël a pris soin de dissimuler son implication dans les colonies pour éviter à la fois de s’aliéner les Juifs américains les plus libéraux et de mettre en danger son statut d’organisation caritative à l’étranger en bafouant ouvertement le droit international. Au lieu de cela il a caché ses opérations en Cisjordanie derrière une filiale du nom de Himanuta.
Mais cette approche a changé depuis que le nouveau président du FNJ, Avraham Duvdevani a pris ses fonctions en octobre. Il a auparavant dirigé l’Organisation Sioniste Mondiale, dont la Division des colonies a été le principal véhicule par lequel les gouvernements israéliens ont blanchi l’argent public pour développer les colonies, souvent en violation des propres lois d’Israël.
« La Division concernant le vol de terres »
Un éditorial de 2017 du quotidien libéral israélien Haaretz a qualifié la division des colonies de l’OSM, alors sous la direction de Duvdevani, de « division du vol de terres » à la suite d’une série d’enquêtes menées par le journal.
De même qu’elle finance des colonies sur des territoires confisqués par l’État israélien en violation du droit international, l’OSM a transféré aux colons des terres que même les autorités d’occupation israéliennes reconnaissent comme appartenant à des propriétaires fonciers palestiniens privés. Sur ces terres, l’OSM a aidé la création de ce que l’on qualifie officiellement d’« avant-postes non autorisés. »
Ces colonies embryonnaires abritent les colons les plus extrémistes et les plus violents, qui sont souvent derrière les attaques contre des agriculteurs palestiniens destinées à les faire partir de leurs terres. L’état israélien a utilisé l’OSM comme un moyen de dissimuler son propre rôle qui était de canaliser l’argent vers ces « avant-postes. »
Haaretz en a conclu : « La Division des Colonies (de l’OSM) se comporte comme une organisation criminelle financée par des fonds publics. »
Projets d’écoblanchiment
Maintenant, Duvdevani semble encourager le FNJ à imiter l’OSM en finançant publiquement les mêmes pratiques de colonisation illégales.
Pour apaiser les donateurs, on rapporte que le FNJ aurait comme projet d’écoblanchir ses activités en Cisjordanie en les décrivant comme impliquant "l’éducation, le reboisement et la protection de l’environnement" - faisant écho aux tromperies similaires qu’il perpétue en Israël.
Là, le FNJ a planté des centaines de forêts sur les terres des réfugiés palestiniens pour les empêcher de ne jamais plus rentrer chez eux, après qu’ils aient été victimes d’un nettoyage ethnique par Israël en 1948, pendant les évènements que les Palestiniens appellent la Nakba, ou la Catastrophe.
D’autres programmes de boisement du FNJ ont été utilisés comme une arme à l’encontre d’une partie des propres citoyens d’Israël - une importante minorité de 1,8 million de Palestiniens qui ont échappé à l’expulsion en 1948.
En collusion avec le gouvernement, le FNJ a forcé des villageois palestiniens, comme ceux de al-Araquib dans le Naqab (Néguev), à quitter leurs terres en plantant des arbres à la place de leurs habitations, ou le FNJ a utilisé les forêts pour enfermer étroitement les communautés palestiniennes afin d’empêcher leur expansion, ce qui a entraîné un surpeuplement et des tensions sociales.
Dans les premières années d’Israël, les responsables ont transféré 13 % du territoire israélien au FNJ de façon à ce que l’organisation puisse renforcer la ségrégation résidentielle entre citoyens juifs et palestiniens. La charte du FNJ exige spécifiquement qu’il réserve toutes ses terres aux seuls Juifs.
Le « consensus » sioniste
Depuis sa création en 1901, le JNF a été le levier de l’expulsion forcée des Palestiniens des terres qu’il contrôle, que ce soit en Israël ou dans les territoires occupés, notamment à Jérusalem-Est.
Cependant, jusqu’à présent, le FNJ a réussi à rester dans le « consensus » sioniste en concentrant l’attention du public sur ses opérations à l’intérieur d’Israël. Ses activités dans les territoires occupés ont été dissimulées derrière Himanuta.
« La Paix Maintenant » a récemment rapporté que, avant le début des années 2000, Himanuta avait affirmé être propriétaire d’au moins 16.000 acres (6.475 ha ou 64,75 km2) de terres en Cisjordanie sur lesquelles ont été créées des colonies, parmi lesquelles Itamar, Alfei Menashe, Einav, Kedumim and Givat Ze’ev.
L’activité de Himanuta s’est concentrée en particulier sur Jérusalem-Est occupée où elle s’est alliée à une organisation extrémiste de colons, Elad. Le duo est derrière les actions pour expulser une famille élargie palestinienne, les Sumarin, de leurs demeures à Silwan, une zone qui a été agressivement ciblée pour une prise de contrôle par des colons armés appuyés par l’état israélien.
Fond secret
Après une longue accalmie, le FNJ a discrètement relancé ses opérations en Cisjordanie par le biais d’Himanuta en 2018.
Le prédécesseur de Duvdevani, Daniel Atar, nommé par le parti travailliste, a constitué un trésor de guerre secret, au nom de Himanuta, d’un montant de quelque 70 millions de dollars (59 millions d’€). L’argent était déguisé en fonds destinés à être utilisés à Jérusalem.
Mais il a en réalité été utilisé pour« acheter » des terres et des propriétés palestiniennes - y compris au moyen de documents falsifiés - dans la vallée du Jourdain, à Jéricho, à Hébron et dans le bloc d’Etzion au sud de Bethléem.
Lorsque le fonds a été démasqué, Atar a justifié son action en citant l’avis d’un juge de haut rang à la retraite, selon lequel les statuts du FNJ l’autorisaient à travailler en Cisjordanie occupée. Cet avis faisait référence aux actes constitutifs datant de 1953 - bien avant qu’Israël n’occupe la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est - qui autorisaient les opérations du Fonds « dans toute zone soumise à la juridiction du gouvernement d’Israël. »
Atar a ainsi ouvert la voie aux démarches actuelles de Duvdevani visant à modifier la politique publique du FNJ à l’égard des colonies.
Un système d’apartheid
La véritable signification de la toute dernière décision du FNJ est qu’elle fait disparaître la prétention selon laquelle le Fonds fait une distinction entre les terres en Israël et les territoires occupés.
Il souligne l’argument avancé dans un rapport publié en janvier par le groupe de défense des droits de l’homme le plus important d’Israël, B’Tselem, selon lequel Israël applique un seul et même système d’apartheid en Israël et dans les territoires occupés.
Le FNJ est l’un des piliers de ce système, car il contribue à faire appliquer des droits supérieurs pour les Juifs par rapports aux Palestiniens dans toute la région.
La décision est donc susceptible de révéler davantage l’aveuglement de nombreux Juifs hors d’Israël. Ils revendiquent depuis longtemps que l’idéologie de l’État d’Israël, le sionisme, est une question non controversée qui ne concerne que le prétendu droit du peuple juif à l’autodétermination sur les terres des Palestiniens. En outre, ils ont affirmé que toute personne questionnant ce droit devait être antisémite.
Il sera désormais difficile pour ceux qui s’identifient comme sionistes de nier que leur mouvement est complice de violations du droit international et que ses institutions clés, dont le FNJ, commettent des crimes de guerre.
La fin du « bluff »
Il est révélateur que de nombreux dirigeants du FNJ se soient empressés de faire remarquer que la décision d’établir un fonds pour confisquer des terres palestiniennes en vue d’une colonisation exclusivement juive ne s’écartera pas du rôle historique du Fonds. Duvdevani lui-même a affirmé que le FNJ ne faisait que poursuivre sa tâche traditionnelle de « rachat » de terres.
Davidi Ben Zion, un colon qui siège au conseil d’administration du FNJ, a fait la même observation : « Le FNJ a agi au fil des ans pour acheter des terres pour le peuple juif en Judée et en Samarie (la Cisjordanie). Même ceux qui s’y opposaient savaient ce qui se passait. La seule différence est que nous en avons fini avec le bluff ».
En d’autres termes, le FNJ entend cesser de prétendre devant les Juifs de l’étranger qu’il n’est engagé que dans des projets non controversés de reboisement et de récupération du désert. Au contraire, il est prêt à rendre public des projets agressifs de judaïsation destinés à déposséder les Palestiniens dans les territoires occupés.
Un autre membre du conseil d’administration, Yishai Merling, militant de 31 ans, du parti du Likoud de Netanyahu, qui vit dans la colonie d’Efrat, a déclaré après le vote : « Nous sommes la nouvelle génération, nous ne travaillons pas sous la table. »
Une image détériorée
Ceux qui se sont opposé à la décision, issus de ce qu’on appelle le centre et la gauche sionistes, l’ont moins fait sur le principe que parce que la décision risque de nuire à l’image du JNF à l’étranger et de réduire sa capacité à collecter des fonds.
Mercaz Olami, le bars politique du Judaïsme Conservateur, a averti le mois dernier, à l’approche du vote, qu’un changement public de politique pourrait mettre le FNJ « dans une situation qui pourrait violer le droit international. »
Elle pourrait également « nuire » aux communautés juives dans les 55 pays où se trouvent des antennes de collecte de fonds du FNJ, note le groupe. « Une décision irresponsable pourrait gravement nuire à la capacité du KKL (FNJ) à poursuivre ses activités dans ces pays. »
Enquête sur le caractère caritative
Cela semble déjà être le cas.
Dans une interview accordée au journal Haaretz, Russell Robinson, directeur du FNJ-USA, a tenu à souligner que l’argent de ses donateurs ne remplissait plus les coffres du KKL-FNJ, l’organisation-mère du FNJ en Israël. Néanmoins, selon Haaretz, certains des dons du FNJ-USA ont également aidé directement les colonies.
Le FNJ-Canada, quant à lui, fait l’objet d’une enquête des autorités fiscales canadiennes pour avoir canalisé des dons « caritatifs » vers l’armée israélienne et les colonies.
Dans une lettre publiée sur son site Internet après le vote du mois dernier, le FNJ-Canada a cherché à se distancer du KKL-FNJ. Il a notamment modifié son logo. Un nouvel accord entre les deux parties garantirait que les fonds du FNJ-Canada ne soient pas « mélangés avec les comptes généraux de KKL », selon la lettre.
Au Royaume-Uni, un groupe de pression similaire, Stop the JNF UK, a augmenté la pression sur la Commission des Oeuvres Caritatives du gouvernement britannique pour qu’elle agisse contre le FNJ-UK en raison de son implication dans la dépossession des Palestiniens.
Immunisé contre la pression
Une déclaration prévisible du département d’État américain a réitéré l’importance d’éviter les « mesures unilatérales » et d’éviter de saper « les efforts pour faire avancer une solution négociée à deux États. »
Mais le FNJ, tout comme le gouvernement israélien, ne se soucie plus depuis longtemps de la pression internationale pour soutenir les négociations ou le rétablissement de la paix. Il ne s’inquiète apparemment plus non plus de la nécessité de tromper ses donateurs et les gouvernements étrangers sur son soutien aux crimes de guerre dans les territoires occupés.
La question qui se pose maintenant est de savoir si les Juifs des États-Unis, du Canada et d’Europe ont enfin compris et si, par conséquent, ils refusent de continuer à déposer leurs sous dans les boîtes bleues du FNJ.
Traduction : Yves Jardin, membre du Groupe de Travail de l’AFPS sur les prisonniers politiques palestiniens.