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« La première femme à être élue à ce poste depuis 5.000 ans » a dit en riant un concitoyen du village.
Fathiya Barghouti a passé les trois premiers jours en réunions avec des employés municipaux, définissant la responsabilité de chacun. Elle s’est donnée deux mois pour comprendre la façon de fonctionner de la municipalité.
Elle a exercé en tant que professeur d’arabe et avait à une époque tenu un poste de responsable au ministère de l’Education. La gestion municipale de l’effraie pas et elle s’attend également à apprendre beaucoup à partir des cours que l’antenne locale de l’Autorité Palestinienne va dispenser pour elle et pour d’autres dirigeants municipaux. Elle connaît les priorités : développer les capacités des travailleurs municipaux, améliorer la situation sanitaire, développer le centre de santé, améliorer les routes.
Fathiya Barghouti est une musulmane pieuse comme sa tenue et le fait qu’elle ne serre pas la main des hommes le démontre. Mais sa religion ne l’a pas empêchée de se porter candidate en tant qu’indépendante ; sa religion ne l’a pas empêchée d’accepter de diriger la municipalité après que la liste du Fatah (nommé pour Arafat) et la liste de Réforme Islamique eurent chacune gagné 5 des 13 sièges municipaux.
Les 13 sièges (dont celui d’une autre femme sur la liste islamique) sont tous occupés par de tout nouveaux membres et tous, sauf deux, ont 40 ans ou moins. Les élections locales qui se sont tenues le 23 décembre dans 26 communes cisjordaniennes, ont amené des forces « fraîches » comme l’a dit un autre conseiller élu, Mahmoud Atta, débordant d’énergie et de volonté de changement. Atta, qui est aussi religieux, s’est présenté sur la liste du Fatah.
Quand les listes du Fatah et de Réforme Islamique sont arrivées ex-aequo, les trois candidats restants sont devenus des « arbitres ». Le représentant de gauche et le candidat indépendant du Parti du Peuple (ex parti communiste) ont refusé fermement de soutenir une personne du Fatah pour le poste maire (montrant ainsi leur méfiance vis-à-vis du parti au pouvoir). Le Fatah a refusé de voter pour quelqu’un qui ne serait pas sur leur liste ; les islamistes ont été plus flexibles. Et ainsi, avec le vote des islamistes et de la gauche, une femme a été élue maire.
« Vous, le Fatah, vous pourrez apprendre ce que c’est que d’être dans l’opposition, cela ne vous fera pas de mal », a dit quelqu’un en se moquant gentiment de Mahmoud Atta lors d’une discussion dans la clinique dentaire du Docteur Yosef Rimawi, le représentant de la gauche au conseil.
Les tensions politiques n’ont pas entamé l’amitié entre les gens. Et Atta a répondu de retour : « Et cela ne leur fera pas de mal, au Hamas, d’apprendre les responsabilités liées à la gouvernance ».
Fathiya Barghouti (aucun lien avec Marwan ou Mustafa Barghouti) a pris la quatrième place lors du vote municipal. Rimawi dit avec un large sourire, qu’il était arrivé le dernier de la liste lors du vote : des dix candidats sur la liste de gauche, lui seul, membre du Front Populaire, a été élu. « Et même, c’est grâce à la confiance personnelle qu’on lui fait », dit Atta. Rimawi a reconnu que les résultats des élections sont arrivés comme un choc : les deux villages étaient connus comme bastions de la gauche et du Fatah et, tout à coup, le Hamas et les islamistes étaient devenus puissants.
Fathiya Barghouti elle-même représente bien le changement : ses parents ont toujours été des activistes de gauche ; elle a été active dans plusieurs organisations assimilées au Front Populaire (au lycée, à l’Université de Bir Zeit, dans une organisation de femmes). A travers ces organisations, elle a gagné une confiance en elle et une connaissance des activités politiques, publiques et sociales. Mais elle a été de plus en plus attirée par la religion et ne se définit pas comme « une femme de gauche ».
C’est son mari, Majdi al-Rahimi, membre du Front Populaire, qui lui a suggéré de se présenter aux élections municipales. Elle dit qu’il prie et jeûne depuis des années dans la prison de l’Autorité Palestinienne à Jéricho. Il a été condamné à huit années de prison pour son rôle dans la planification de l’assassinat du ministre du tourisme israélien de l’époque, Rehavam Ze’evi.
« Il a mentionné l’idée lors d’une de mes visites en prison » raconte-t-elle.
« C’est important que les femmes ne soient pas absentes du processus social, de l’effort social et politique. Il avait totalement confiance en mes capacités ». De son point de vue, le fait qu’elle soit sa femme l’a aidée à être élue, mais cela n’a pas été le facteur principal.
Une femme a également été élue dans un autre village : Beit Furiq. Hanane Abu Ghulme, représentante du Front Populaire, n’a été élue que pour deux ans, en alternance avec le représentant du Hamas. Le frère de Ghulme, Gahed, a été condamné par un tribunal de l’Autorité palestinienne en avril 2002, à une année de prison pour son rôle dans l’assassinat de Ze’evi. Il est également emprisonné à Jéricho.
Coïncidence ? Du même coup, on peut se demander si c’est vraiment une coïncidence que 9 des 13 membres du conseil de Beit Rima aient été incarcérés dans des prisons israéliennes.
Les deux femmes élues appartiennent à une tradition politique remontant à plusieurs années, tradition dans laquelle (surtout dans la gauche palestinienne) la participation des femmes était un pilier idéologique. Il se trouve que l’islamisation d’une partie de cette génération n’a pas modifié son attitude vis-à-vis de la participation des femmes.
La génération qui a aujourd’hui été élue aux conseils municipaux a reçu sa formation politique et publique dans la lutte contre l’occupation israélienne. C’est dans cette lutte que s’est développé un sens des responsabilités sociales qui se reflète maintenant dans le désir d’améliorer le niveau de vie.
Fathiya Barghouti, en critiquant l’Autorité palestinienne, a promis que son seul objectif en tant que maire, sera d’améliorer les services municipaux pour les deux villages de 6.000 habitants.
© Haaretz
Le 23 janvier 2005
Traduction Ana Cleja.
Extraits choisis par C.M.
Une activiste candidate
Nadia Zughbi, directrice du PARC de Bethléem, sera candidate aux élections législatives prévues en juillet prochain. Militante de terrain, elle intègre son action dans une stratégie de développement pour la région de Bethléem et un travail en réseau avec les autres ONG palestiniennes. Activiste reconnue du mouvement des femmes, elle a participé aux comités des femmes pendant la première Intifada. Elle participe à l’organisation des femmes dans les villages au sein de l’Association des Femmes pour le développement rural. Il s’agit de leur permettre de résister à l’occupation en devenant autonomes financièrement, par la mise en place de micro-crédits et de projets économiques qui favorisent à l’autosuffisance alimentaire. Les femmes assurent 67% du travail dans l’agriculture, de manière informelle. Mais elles ne représentent que 12% de la force de travail. Le quart des femmes rurales n’ont pas été jusqu’au baccalauréat et sont quasi-analphabètes. Aujourd’hui, les femmes assurent le revenu de 13% des familles palestiniennes.
« Si je me présente, c’est pour être élue »
La loi électorale pour les législatives définit qu’il y aura un scrutin à deux listes : 30% présentés par les partis politiques (soit 44 sièges) élus à la proportionnelle, et 70% d’indépendants sur des listes départementales à scrutin nominal. Cette loi favorise les influences familiales au détriment des partis politiques. A Bethléem, la situation propre à la région est encore plus complexe puisqu’il serait question d’avoir un quota pour les chrétiens et pour les musulmans. « L’Autorité palestinienne a laissé se développer l’influence clanique. Encore aujourd’hui, à Beit-Sahour (une des trois villes de la région de Bethléem) les gens votent pour leur famille. Je me présente en indépendante car j’ai plus de chances de rallier des voix que si je suis candidate pour mon parti (PPP). »
Pour les élections municipales, les femmes ont obtenu un quota de 20%, ce qui s’est traduit très concrètement par la présence obligatoire d’au moins deux élues dans chacun des conseils municipaux nouvellement élus. « Cela n’empêchait pas que des femmes puissent obtenir plus de voix. C’est le cas dans le village de Doura où quatre femmes ont été élues, ce qui représente plus de 20%. Cette mesure de “discrimination positive” a démontré son efficacité pour la reconnaissance du rôle des femmes dans la vie politique. Et pourtant, la loi électorale n’a pas cru bon d’imposer le quota pour les élections législatives malgré l’exigence des femmes qui demandent au Conseil législatif de revenir sur cette décision. Mercredi prochain, 16 février, nous allons manifester devant le parlement pour réclamer ces quotas. Sans un encouragement de la loi, il est très difficile aux femmes de s’imposer dans ce monde politique clos et réservé aux hommes. » Les sondages indiquent que 61% des hommes palestiniens et 72% des femmes sont opposés à cette décision du Conseil législatif.
« Je vais essayer de mener une campagne très professionnelle pour me rapprocher du plus grand nombre de gens possible, provoquer des débats, écouter leurs besoins pour être leur candidate. J’essaie également d’intégrer dans ma campagne la dimension culturelle. Je sais que ce ne sera pas facile. Il est plus simple de faire la révolution technologique que celle des mentalités. J’ai une bonne équipe pour me soutenir. Heureusement ! »
Propos recueillis par
Monique Etienne