Photo : La présidence de l’Autorité palestinienne à Ramallah (PECDAR)
Benyamin Nétanyahou et son gouvernement, pourtant grands pourfendeurs de l’Autorité palestinienne (AP), viennent de lui trouver une immense vertu : les prérogatives de l’AP en matière de santé justifient, à leurs yeux, qu’Israël ne vaccine que les seuls colons de Cisjordanie contre le Covid-19 (Nétanyahou a juste approuvé la livraison de 5000 vaccins pour le personnel hospitalier, qui couvrent moins de 0,1% de la population palestinienne de Cisjordanie). Quant à l’AP, elle ne s’est pas jointe aux appels de l’ONU, de la Jordanie et des organisations humanitaires pour qu’Israël étende sa campagne nationale de vaccination à la population palestinienne. Cette ambivalence découle du statut même de l’AP, trop souvent perçue comme un sujet de droit international, alors qu’elle n’est que le fruit d’un accord entre Israël et l’OLP (Organisation de libération de la Palestine).
Un mille-feuille juridique
En signant en 1993 leur reconnaissance mutuelle, Israël et l’OLP ont reconnu la légitimité de leur nationalisme respectif. De ces accords dits « d’Oslo », du nom de la capitale norvégienne où ils ont été négociés, découle l’établissement d’une « Autorité palestinienne » sur les territoires évacués par Israël. Les accords israélo-palestiniens de 1995 (Oslo 2), divisent la Cisjordanie en zone A (confiée à l’AP), zone B (d’administration palestinienne et de sécurité israélienne) et zone C (sous contrôle exclusif d’Israël). Les zones A et B représentent chacune un peu moins de 20% du territoire de la Cisjordanie, la zone C en incluant plus de 60%. Les quelque 450.000 colons israéliens se trouvent tous en zone C, alors que la majorité des 2,8 millions de Palestiniens résident en zones A et B. Quant à la bande de Gaza, évacuée par Israël en 2005, elle est depuis 2007 sous l’autorité du Hamas qui, opposé à l’OLP, y a installé sa propre « Autorité palestinienne », basée sur sa victoire aux législatives de 2006.
Israël s’était déjà, de 1967 à 1993, déchargé sur l’ONU de certaines de ses obligations de puissance occupante envers la population palestinienne (l’UNRWA, l’agence dédiée aux réfugiés palestiniens, assume en effet des missions de scolarisation et de couverture médicale). La mise en place de l’AP a permis à Israël de se concentrer sur la colonisation de la Cisjordanie, pendant que les bailleurs de fonds de l’AP, au premier rang desquels l’UE, prenaient largement en charge la population palestinienne. Cette générosité européenne s’inscrit dans la perspective de la « solution à deux Etats », soit de l’établissement d’un État palestinien aux côtés d’Israël, une solution que Nétanyahou a combattue avec constance. L’AP est dès lors mise en cause pour son intégration dans une forme plus insidieuse d’occupation, sensiblement moins coûteuse pour Israël. Mais les velléités de dissolution de l’AP pour replacer Israël face à ses responsabilités ont cédé face à la dépendance de centaines de milliers de Palestiniens envers les réseaux de redistribution de l’aide internationale, mis en place par l’AP.
Une "autorité" en trompe l’oeil
La confusion entre l’OLP et l’AP est favorisée par le cumul de leurs deux présidences par Yasser Arafat, jusqu’en 2004, puis par son successeur Mahmoud Abbas. La présence d’un ministre de Affaires étrangères au sein du gouvernement de l’AP accentue la confusion, alors même que les représentations palestiniennes à l’étranger sont ouvertes au nom de l’OLP, et non de l’AP (y compris le bureau de Washington, fermé par Donald Trump en 2018, que Joe Biden envisage de rouvrir). C’est en tant que président de l’OLP, et non de l’AP, qu’Abbas a proclamé en 2012 « l’Etat de Palestine », admis comme observateur, mais non membre par l’ONU. La confusion s’aggrave enfin du sérieux déficit de légitimité démocratique des institutions palestiniennes : le Conseil national palestinien (CNP), le Parlement de l’OLP, s’est réuni en 2018 pour la première fois depuis 1996, alors que, au sein de l’AP, les dernières élections remontent à 2005 (pour la présidence) et 2006 (pour le Parlement).
Des élections pour le Parlement de l’AP sont prévues le 22 mai prochain, avant la présidentielle de l’AP, le 31 juillet, puis le renouvellement du CNP, le 31 août. La rancoeur des populations envers leur « Autorité palestinienne » respective pourrait entraîner un vote favorable au Hamas en Cisjordanie et au Fatah à Gaza. Il s’agirait en ce cas d’un vote de rejet plutôt que d’adhésion, à l’image du vote islamiste aux législatives de l’AP en 2006, qui valait surtout désaveu de la corruption et de l’incurie du Fatah. Les Emirats arabes unis, en plein rapprochement stratégique avec Israël, misent sur leur protégé Mohammed Dahlan, qui dispose à la fois d’une base partisane au sein du Fatah et de réseaux solides à Gaza. A supposer que ces scrutins, maintes fois reportés, se tiennent à la date prévue, Israël continuera de toutes façons à mettre en avant l’AP pour se décharger de ses obligations de puissance occupante envers la population locale.
Ce n’est pas le moindre intérêt du débat sur la vaccination en Cisjordanie que de rappeler ce troublant paradoxe.