Disons-le d’emblée, cette exposition est passionnante : « À ma connaissance, jamais une initiative de cette ampleur n’avait offert un aussi beau voyage à travers l’histoire des juifs d’Orient […] Jamais on n’avait pu admirer autant d’objets rares [...] témoignages d’une culture qui fait partie intégrante du patrimoine du monde arabe », écrivait sur son blog, le 19 décembre dernier, Dominique Vidal, agacé par les polémiques qui s’engageaient. Cette exposition est-elle pour autant exempte de reproches ?
En fait, c’est surtout la fin de l’exposition intitulée « le temps des ruptures » qui pose problème. Et, plus particulièrement un film d’une dizaine de minutes, consacré à la « naissance » d’Israël. D’une part, parce qu’il exprime une désinvolture déconcertante à l’égard des Palestiniens : « malheureusement l’arrivée d’un peuple en a chassé un autre et quelques 700 000 Palestiniens ont été contraints à l’exil vers les pays arabes environnants ». Et d’autre part parce que des contrevérités historiques y sont assénées. Voici la plus étonnante : « rien ne permet de dire que l’expulsion des Palestiniens a été planifiée ». Est ainsi distillé un argumentaire à peine feutré que Denis Charbit [1] responsable de cette dernière partie, consolide dans le catalogue de l’exposition. Pour lui, le sionisme ne souffre pas discussion et le problème relève surtout du nationalisme pan-arabe. Ainsi « le partage de la Palestine » (sic) a « fourni aux leaders et au corps social des pays souverains la légitimité [contestée par Charbit] nécessaire pour mettre en cause, sinon en péril, l’existence de ces communautés juives, dont ils prétendent [...] qu’elles avaient vécu jusque-là en parfaite harmonie avec leurs voisins musulmans » (catalogue p.159). Et pour faire bonne mesure, les campagnes des « recruteurs » sionistes (par exemple au Maroc) sont à peine évoquées, de même que ces familles arrachées, parfois malgré elles, à leur communauté de destin millénaire. Peut-on accepter ces approximations délibérées ? C’est ce que la pétition relayée – sans autre commentaire- par BDS et l’UJFP désigne comme une « tentative de présenter Israël et son régime de colonialisme de peuplement et d’apartheid comme un État normal ».
Faut-il pour autant considérer cette exposition comme un « Cheval de Troie de la normalisation », comme l’énonçait le 3 décembre dernier (sur le site de l’Agence Media Palestine) Michèle Sibony, dans son adresse à la chanteuse israélo-marocaine Neta Elkayam ? Peut-être, si aucune confrontation historique n’a lieu. Car le véritable enjeu est de rétablir les faits, aujourd’hui bien documentés par les historiens. Quant à Neta Elkayam, elle a su rendre hommage aux Palestiniens lors de son concert à l’IMA.
Avons-nous affaire à « un programme de normalisation qui sape la lutte du peuple palestinien » comme l’avance la pétition d’intellectuels arabes évoquée plus haut ? Si cette intention n’a rien de nouveau pour les propagandistes du sionisme, le propos semble excessif si on se réfère à la réponse de l’IMA à ces interpellations : « Les débats […] sont extrêmement sensibles et touchent profondément chacun d’entre nous. [L’IMA] se propose de les aborder en toute transparence » dans le cadre d’une table-ronde prévue le 13 janvier autour d’un panel de chercheurs, historiens, activistes et artistes.
Enfin, le collectif « Artists for Palestine » rappelle qu’il « est totalement solidaire de l’initiative de la lettre ouverte qu’il a diffusée, [Mais qu’] il n’en a pas été signataire puisqu’il s’agit d’une initiative de personnalités indépendantes et non de groupes organisés ».
Ce qui frappe dans ces réactions, c’est la mesure et le respect qui se sont imposés à tous. Il n’est nulle part question de boycott, mais d’interpellation. Ce qui est d’autant plus sain, quand on sait -comme le rappelle Michèle Sibony- que de plus en plus de juifs dans le monde refusent d’être assimilés à l’oppression coloniale israélienne.
Signalons enfin que l’IMA publie le 18 mars un ouvrage dont le titre est un signe fort d’engagement : « Ce que la Palestine apporte au monde » (aux éditions du Seuil), auquel notre politiste sioniste aura donné (bien malgré lui) un joli coup de pub !
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