La guerre à Gaza : un tournant politique ?
Le 20 février le ministre des finances d’extrême droite Bezalel Smotrich a déclenché des protestations en déclarant à la chaîne publique Kan que le retour des 134 otages n’était « pas la chose la plus importante » pour Israël.
En réaction, les proches des otages et les militants qui organisaient un rassemblement devant le ministère de la Défense et le quartier général de l’armée à Tel Aviv ont bloqué la route Begin qui se trouve à proximité. Ils ont lancé un appel général pour une « manifestation de colère » contre le gouvernement. Les manifestants ont également tenté d’empêcher les voitures des ministres d’entrer dans le quartier général de l’armée où le cabinet de guerre devait se réunir.
Itzik Elgarat, dont le frère est un des otages, a entamé une grève de la faim au même endroit et a déclaré que les familles ne devraient pas envoyer leurs enfants servir dans l’armée d’occupation, ou comme réservistes, tant que le Premier ministre serait au pouvoir.
Netanyahou est confronté à trois crises politiques
En pleine guerre, la plus meurtrière que Gaza ait connue, le gouvernement israélien d’extrême-droite est confronté à trois crises politiques majeures : la fureur des familles et des proches des otages ; les protestations croissantes contre le gouvernement ; et l’échec de la mise en accusation du législateur communiste Ofer Cassif – devenu le symbole de tous les membres anti-guerre de la Knesset, pour la plupart des citoyens arabo-palestiniens d’Israël.
En effet, le 19 février, le vote de destitution à l’encontre du député Cassif a échoué (85 voix sur les 90 nécessaires, pour 120 sièges). Les représentants des deux camps semblant sur le point d’en venir aux mains [1].
Pendant le débat précédant le vote, O. Cassif a déclaré pour sa défense que « cette demande de destitution est basée sur un mensonge – selon lequel je soutiens la lutte armée du Hamas. Il n’y a rien de plus grave, il n’y a pas de pire mensonge. Derrière se cache une intention malveillante : une pression politique et la censure des voix critiques, dont celles des citoyens arabes et de leurs représentants à la Knesset, dont l’objectif est l’exclusion totale de la vie publique et parlementaire ».
La tentative d’expulsion de M. Cassif du Parlement a été la réponse à son soutien public au procès intenté par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de Justice. Il n’est pourtant qu’un des 900 Israéliens qui ont signé une pétition soutenant la plainte de Pretoria accusant les dirigeants israéliens d’extrême-droite de crimes contre l’humanité envers des Palestiniens.
Pour ce faire, le député Forer a argumenté de la loi de suspension (2016), en vertu de laquelle les législateurs peuvent exclure d’autres législateurs s’ils ont commis une infraction, dont l’expression d’un soutien « à une lutte armée » contre Israël ou « l’incitation au racisme ».
La procédure a facilement franchi les deux premières étapes : soumettre une lettre signée par un minimum de 70 députés et obtenir le soutien d’au moins trois quarts de la chambre. Elle a échoué de peu en plénière.
Malgré la réaction maccarthyste contre O. Cassif, le procureur général adjoint Avital Sompolinsky et le conseiller juridique de la Knesset Att. Sagit Afik ont déclaré que les charges retenues étaient loin de « franchir le seuil criminel » nécessaire à la destitution. Selon les avis des conseillers juridiques, si la destitution avait été adoptée, elle aurait probablement été annulée par la Cour suprême. Certains députés de l’opposition affirment que l’objectif réel de cette démarche était de provoquer la Cour suprême.
Une nouvelle vague de protestations
Le week-end précédant l’« affaire Cassif », plusieurs milliers de manifestants antigouvernementaux ont appelé à des élections anticipées et à la destitution du Premier ministre à Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa, Be’er Sheva, Césaré et dans une cinquantaine de villes. Ces manifestations du samedi soir se répètent contre le gouvernement d’extrême-droite et Netanyahou [2].
À Tel Aviv, des milliers de personnes ont bravé l’interdiction d’organiser un grand rassemblement contre le gouvernement devant le ministère de la Défense, officiellement en raison de la proximité de la manifestation pour les otages. Les manifestants ont bloqué la rue, allumés des feux et des accrochages ont eu lieu avec la police. D’autres faits similaires se sont déroulés sur la route côtière et en face des domiciles de plusieurs membres de la coalition, dont les législateurs Yuli Edelstein, Amir Ohana, le président de la Knesset et le ministre Ofir Akunis.
Des centaines de manifestants réclamant des élections et une libération immédiate des otages se sont rassemblés à Jérusalem, ce qui devient une habitude hebdomadaire pour de nombreuses personnes, alors que la guerre s’éternise et que 134 otages sont toujours détenus par le Hamas. Comme les semaines précédentes, la manifestation a débuté devant la résidence du président avec des discours de militants antigouvernementaux et s’est poursuivie sur la place de Paris, où les membres des familles des otages sont montés sur le podium devant la résidence officielle de M. Netanyahou. Nombre d’entre eux ont pris la parole pour dénoncer sa décision de veto à la poursuite des négociations pour la libération des otages, et son refus d’envoyer une délégation israélienne au Caire, où les pourparlers devaient avoir lieu.
Des membres du « bloc anti-occupation », parmi lesquels des militants du Hadash et du Parti communiste israélien se sont également rassemblés contre la guerre à Tel Aviv, Jérusalem et Haïfa. La police a déclaré avoir arrêté des dizaines de personnes lors de toutes ces manifestations.
À Tira, ville arabe, deux cents membres du « Partenariat pour la Paix » se sont rassemblés vendredi 16 février pour protester contre la guerre. Dans le même temps, comme chaque semaine, des dizaines de militants se sont rassemblés à Jérusalem pour exiger la fin de la guerre criminelle contre Gaza et sa population, avec le mot d’ordre : « Nous exigeons la fin des bombardements, de la famine et des déplacements de population. Nous exigeons un accord pour ramener les otages et garantir un avenir de sécurité et de liberté pour tous ».
Le président de la fédération syndicale Histadrut, Arnon BarDavid, déclarait le même jour : « le Premier ministre Benjamin Netanyahou doit démissionner », appelant à une première étape de « redémarrage » de l’État d’Israël, « Il n’y a qu’une seule issue, les élections. Le Premier ministre doit assumer la responsabilité de ce qui s’est passé… ». Puis, alors qu’il s’exprimait à Beersheba, il a attaqué M. Netanyahou pour son échec du 7 octobre, l’appelant à prendre ses responsabilités et à démissionner. Qualifiant le gouvernement de « désastreux », il a ajouté qu’il pensait qu’Israël aurait un nouveau Premier ministre dans les douze mois. M. Bar-David a également promis que la Histadrut se joindrait aux protestations et aux manifestations contre le gouvernement, ce qui a suscité des inquiétudes quant à une éventuelle grève « nous pourrions être amenés à descendre dans la rue pour réclamer des élections », a-t-il averti.
En mars 2023, le syndicat Histadrut avait annoncé une grève générale dans le cadre de manifestations de masse, au moment où la coalition d’extrême-droite tentait de faire passer plusieurs projets de loi visant à reformer le système judiciaire. Cette grève n’avait alors duré qu’un seul jour, M. Netanyahou suspendant rapidement sa procédure.
La gauche israélienne et la guerre
Pendant 7 mois, jusqu’à l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre, les forces de gauche ont défilé contre le gouvernement sous la bannière du « Bloc contre l’occupation ». Depuis, Hadash (Front démocratique pour la paix et l’égalité-Parti communiste d’Israël) a formé le « Partenariat pour la paix » qui s’oppose à la guerre à Gaza, avec la participation de plus de 30 organisations et mouvements, qui malgré les interdictions, ont réussi à organiser une série de manifestations et de rencontres judéo-arabes en Israël [3].
Et même si ces voix restent très minoritaires, on commence à les entendre et il est de notre responsabilité de les relayer.
Efraim Davidi
Traduction : M. S. (27 février)