Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Peut-être triche-t-il sur le fait d’être un tricheur.
Peut-être cherche-t-il simplement à passer pour un imposteur.
Peut-être nous a-t-il trompé sur sa tromperie.
Peut-être est-il un manipulateur particulièrement habile qui nous a conduit à croire qu’il est un niais mégalomaniaque.
Eh bien, c’est aujourd’hui qu’entre en fonction le président Donald Trump.
PRÉSIDENT DONALD TRUMP – il va falloir s’habituer à ces trois mots.
La seule chose que l’on puisse dire avec quelque certitude est que rien n’est certain. Que cet homme est totalement imprévisible. Que nous sommes engagés pour quatre années d’incertitude, nous réveillant chaque matin en nous demandant ce qu’il nous prépare pour aujourd’hui.
Il sera le président-amuseur. Comme il a été le candidat-amuseur. J’avoue que chaque matin en ouvrant le journal quotidien, la première chose que je cherchais était le dernier article sur Trump. Qu’avait-il fait ? Qu’avait-il dit ? De quoi qu’il s’agisse c’était toujours divertissant.
La question est : voulons-nous vraiment que l’homme le plus puissant du monde soit un amuseur ? Ou un égocentrique invétéré ? Ou un narcissique totalement égocentrique ? Un homme qui ne sait rien et qui pense qu’il peut tout résoudre ?
Nous sommes dans un monde dangereux. À partir d’aujourd’hui, il va être bien plus dangereux.
PENSONS un instant au Bouton Rouge.
Il y a plusieurs Boutons Rouges dans le monde, et plusieurs doigts de dirigeants (dont le nôtre) sur ces boutons. De penser au doigt de Trump me rend nerveux.
Certaines des guerres les plus terribles de l’Histoire ont été déclenchées par des imbéciles.
Pensez à la Première Guerre mondiale, avec ses nombreux millions de morts, déclenchée par un moins que rien, un Serbe fanatique.
La Seconde Guerre mondiale, avec ses dizaines de millions de morts, fut déclenchée par Adolf Hitler, une personne tout à fait primaire. Lorsqu’il franchit la frontière de Pologne, il n’imaginait pas déclencher une guerre mondiale. Jusqu’au tout dernier moment il ne crut pas que la Grande Bretagne, un pays ‟aryen” qu’il admirait, lui déclarerait la guerre.
Le président Trump semble ne rien savoir sur l’Histoire. Ni sur grand-chose d’autre, excepté sur l’immobilier et comment gagner de l’argent. Il ne semble pas non plus vraiment écouter les autres pour prendre des décisions. Impressionnant !
Il y a quelque 45 ans j’ai lu un livre d’un écrivain polono-américain, Jerzy Kosinsky, intitulé ‟Être là”. Il s’agissait d’un jardinier handicapé mental dont le riche patron mourut en le laissant seul. Tout son savoir était limité au jardinage et à la télévision.
Par un concours de circonstances il se trouva engagé en politique. Ses réponses naïves à toutes les questions étaient perçues comme profondément sages. Des choses comme : vous devez arroser les racines si vous voulez obtenir de bons fruits.
Il gravit l’échelle politique jusqu’au sommet, devint le conseiller du président. Je ne me rappelle pas si en fait il ne devint pas président. Trump l’est devenu.
ASSEZ CURIEUSEMENT je me souviens d’un film allemand que j’ai vu lorsque j’avais neuf ans. Pas un film très important ou très subtil. Pourtant je m’en souviens, 84 ans plus tard.
Il s’agissait d’un jeune homme de très bonne famille, qui tombe amoureux de la fille d’un simple menuisier. Sa famille refuse absolument de l’autoriser à épouser la fille d’un si modeste travailleur manuel.
Un soir le vieux menuisier est assis dans son bistrot et voit une mouche dans sa bière. Il frappe de son énorme poing sur la table et crie : ‟cette saloperie doit s’arrêter !”
Il y a un moment de silence. Puis des cris de ‟bravo !” fusent de toutes les directions.
Le prétendant saute sur l’occasion. Il fonde un parti, passe des accords, présente le vieil homme aux élections pour à la fin – c’était encore la république de Weimar – le faire élire Premier ministre.
Du coup la famille du jeune prétendant est heureuse de le voir épouser la fille, mais son père refuse obstinément. ‟Qui es-tu pour épouser la fille du Premier ministre ?” demande-t-il ?
Pour se venger, le prétendant qui est aussi celui qui écrit les discours du Premier ministre, modifie les pages du milieu de l’un des discours au Reichtag du vieil homme. C’est ainsi que le vieil homme déclare : ‟Je suis un raté complet, un parfait idiot…”
Je ne me souviens pas de la fin.
Qui est le jeune homme qui a dirigé la campagne de Trump ? Son gendre juif, naturellement, Jared Kushner.
Kushner, comme Trump, est un homme d’affaires. Comme Trump il est né riche et il a consacré sa vie à devenir plus riche. Maintenant il est le principal conseiller politique de Trump.
Kushner est aussi un ardent sioniste. Cela veut dire qu’il ne songerait pas à venir s’installer en Israël, mais il soutient plutôt les éléments les plus fanatiques de ce pays.
Il semble être de règle que plus un Juif est éloigné des champs de bataille passés et futurs d’Israël, plus il est fanatiquement sioniste. Ce Jared est très éloigné.
L’un de ses conseils, semble-t-il, a été de nommer comme ambassadeur des États-Unis en Israël un autre Juif riche, David Friedman. Cette personne est un tel fanatique sioniste de droite qu’il est impliqué financièrement dans la colonie de Beit El (‟Maison de Dieu”), l’une des colonies les plus à droite de Cisjordanie. Certains la qualifieraient de fasciste.
Une curiosité diplomatique : l’ambassadeur israélien aux États-Unis, Ron Dermer, et l’ambassadeur des États-Unis en Israël sont l’un et l’autre des sionistes d’ultra-droite nés aux États-Unis. S’ils permutaient, personne ne s’en apercevrait.
PERMETTEZ-MOI de rappeler aux lecteurs tout ce qui concerne ces colonies.
Lorsque l’armée israélienne conquit en 1967 la Cisjordanie, Jérusalem Est et la bande de Gaza, elles étaient aussi peuplées que le Midwest des États-Unis. Une grande partie de la terre appartenait à des fermiers privés ou à des propriétaires absents, et le reste était des ‟terres du gouvernement”.
À l’époque ottomane, les réserves de terres des villages et des villes étaient enregistrées au nom du Sultan, dont l’héritier fut le haut-commissaire britannique, dont l’héritier fut le roi jordanien dont l’héritier est aujourd’hui le commandant de l’armée israélienne d’occupation.
Maintenant les colons israéliens viennent simplement s’emparer de ces terres, de propriété privée ou ‟gouvernementale” et en font leurs foyers. Aucun paiement à personne. C’est tout simplement du vol.
Maintenant des Américains comme Friedman, Kushner et autres viennent encourager les colons à voler encore plus, en leur offrant même de l’argent pour les y aider.
L’Histoire nous apprend que de telles choses ne durent pas indéfiniment. Tôt ou tard ce genre de chose se termine dans un bain de sang. Mais ce jour-là Friedman, Kushner et Trump seront loin, très loin.
ALORS POURQUOI suis-je en train d’écrire sur Trump ?
Eh bien, tout d’abord parce qu’il s’agit d’un Jour Historique. Je n’aime pas les Jours Historiques. Je me souviens d’un tel jour quand des jeunes gens portant des flambeaux et des symboles mystérieux sur les bras paradaient dans Berlin.
Mais il y a aussi une autre raison pour laquelle je ne veux pas écrire sur Israël en ce moment précis.
Nous sommes en plein dans le plus grand scandale de l’histoire d’Israël. Le Premier ministre et le propriétaire de notre plus grand journal de grande diffusion sont l’objet d’une enquête pour corruption, tout comme des magnats étrangers qui approvisionnent depuis des années Nétanyahou en cigares les plus coûteux du monde et sa femme en champagnes rosés les plus coûteux du monde. (C’est le ‟rosé” qui ajoute de l’intérêt aux commérages).
Non je ne vais pas écrire là-dessus aujourd’hui. Désolé.