L’an dernier une conférence débat entre Leïla Shahid et Stéphane Hessel prévue à l’École normale supérieure (ENS) avait été interdite par sa directrice. Ces dernières semaines trois conférences et un colloque universitaire ont été interdits par les directions universitaires :
- une conférence à l’ENS,
- une autre à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales),
- une troisième à l’IEP (Institut d’études politiques) de Lyon le 2 mars « suite à des menaces » qui ont amener la direction à fermer l’établissement. La conférence, organisée par le Collectif 69 Palestine, Génération Palestine, l’UJFP (Union juive française pour la paix)... a néanmoins eu lieu, dans la cour de l’IEP, avec une centaine de participants, et sans incidents.
- un colloque à Paris 8.
Les 27 et 28 février était prévu à Saint-Denis (Université de Paris 8) un colloque intitulé « Des nouvelles approches sociologiques, historiques et juridiques à l’appel au boycott international : Israël, un État d’apartheid ? » Organisé par le Collectif Palestine de cette université, il avait été autorisé par le président et obtenu une subvention de 2500 € de l’Université de Paris 8. Tout se présentait sous les meilleures auspices : six tables rondes étaient prévues avec de nombreux enseignants-chercheurs (politistes, juristes, géographe, historiens, sociologues, quelques étudiants de master ou de doctorat et quelques personnalités (avocats, journaliste...).
A la mi février, ce colloque « émouvait » le BNVCA (Bureau national de vigilance contre l ’antisémitisme) et le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France, qui prétend représenter tous les juifs français -ce qui est loin d’être le cas- et qui est aujourd’hui devenu un groupe de pression pro-sioniste) qui ont demandé son annulation. Le CRIF se dit « heurté » que soit discutée la pertinence du concept d’apartheid pour Israël et considère que « le thème de boycott » d’Israël est illégal. Or le terme d’apartheid est de plus en plus usité :
- à l’ONU, en 2007, John Dugard, (rapporteur spécial pour les droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés -TPO) concluait que « les lois et pratiques israéliennes dans les TPO rappellent certains aspects de l’apartheid »,
- en France, dans le rapport parlementaire « Géopolitique de l’eau » présenté par Lionel Luca (UMP) et Jean Glavany (PS) en décembre 2011, les auteurs utilisent le terme d’apartheid,
- en Israël même, un ex-ambassadeur a parlé en 2002 de la « stratégie sud-africaine d’Ariel Sharon » et le quotidien Haaretz a aussi utilisé le terme d’apartheid.
- Cédant aux pressions du CRIF et du BNVCA, le président de Paris 8 décidait le vendredi 17 mars de l’annulation du colloque. La mobilisation pour le respect de la liberté d’expression des enseignants-chercheurs (plus de 500 pétitionnaires en quelques jours), des étudiants (plus de 1000 signataires), de plusieurs départements, syndicats et associations de Paris 8 confortaient les organisateurs qui maintenaient le colloque aux lieu et jours prévus. Le président de Paris 8 décidait, la veille du colloque, de la fermeture de Paris 8 pendant deux jours, privant ainsi des milliers d’étudiants de leurs cours.
Le colloque se tenait, in fine, à la Bourse du travail de Saint Denis avec les intervenants et les débats prévus, la notion d’apartheid était discutée, avec son intérêt et ses limites - l’auteur de ces lignes a préféré parler au sujet des ségrégations territoriales de spatiocide plutôt que d’apartheid territorial -, la question du boycott était également débattue, le tout devant un public attentif et nombreux (plus de 300 personnes sur les deux jours, selon les organisateurs) et une excellente ambiance de colloque universitaire qui démontrait que les diverses craintes étaient totalement infondées.
Mais il n’en demeure pas moins que ces quatre annulations de conférences et de colloque concernant le conflit israélo-palestinien posent un problème grave de liberté d’expression dans les enceintes universitaires : peut-on aujourd’hui critiquer Israël à l’Université, même et surtout dans le cadre d’un colloque scientifique ?
Jacques Fontaine est membre de l’AFPS et maître de conférence honoraire en géographie à l’université de Franche-Comté.